Schizophrénie à tous les étages : ces couples infernaux qui brouillent la ligne politique du gouvernement <!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls et Christiane Taubira possèdent deux visions politiques parfois antagonistes;
Manuel Valls et Christiane Taubira possèdent deux visions politiques parfois antagonistes;
©Reuters

Difficile cohabitation

Pierre Moscovici, ministre de l'Économie, et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, se sont récemment encore opposés par médias interposés, cette fois sur le dossier de la reprise de Dailymotion par Yahoo!. Ce ne sont pas les seuls membres du gouvernement à s'écharper publiquement. Quelles conséquences ont ces "couples infernaux" sur la politique gouvernementale ?

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : Pierre Moscovici, ministre de l'Économie, et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, se sont encore opposés jeudi par médias interposés, cette fois sur le dossier de la reprise de Dailymotion par Yahoo!. Les deux hommes s’étaient déjà affrontés sur le dossier de la Banque publique d'investissement. Des conflits qui semblent révélateurs d'une divergence de vision de l'économie. Peut-on parler de « couple infernal » à leur sujet ? Arnaud Montebourg et Pierre Moscovici peuvent-ils cohabiter longtemps dans le même périmètre ministériel, voire dans le même gouvernement ?

Thomas Guénolé : Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg n’ont pas la même vision de la politique économique à suivre. C’est une évidence. Pierre Moscovici est sur la même ligne que François Hollande : rendre les entreprises françaises plus compétitives grâce à la baisse des coûts de production, elle-même obtenue grâce à la baisse des cotisations sociales et aux crédits d’impôt. Arnaud Montebourg est sur la même ligne que Jean-Luc Mélenchon : a minima, entreprendre ponctuellement des nationalisations, comme il l’a proposé pour Gandrange ; a maxima, remettre en cause les règles du libre-échange, comme il l’avait proposé pendant la primaire socialiste de 2011.

Cette divergence de fond n’empêche pas les deux hommes de cohabiter dans le même gouvernement, car dans toute coalition gouvernementale, vous trouvez des divergences politiques fondamentales. Cela tient au fait que dans les rapports de forces électoraux, aucune ligne politique cohérente n’obtient à elle seule la majorité absolue nécessaire pour atteindre le pouvoir. Il faut donc faire des alliances qui, faute d’homogénéité de la ligne politique, ont un « ciment par défaut » : l’opposition commune à l’alliance du camp d’en face.

Par exemple, dans la coalition socialiste-communiste du début des années quatre-vingt, Jean-Pierre Chevènement et Michel Rocard n’avaient rien en commun sur la politique économique et monétaire, mais ils avaient en commun un rejet très net de la droite flanquée du centre. Autre exemple, François Bayrou et Philippe Séguin n’avaient rien en commun sur l’Europe au milieu des années quatre-vingt-dix, mais cela ne les a pas empêchés d’être dans le même gouvernement, celui d’Alain Juppé, après avoir soutenu le même candidat, Jacques Chirac.

Existe-t-il d’autres "couples infernaux" au sein de ce gouvernement ? Lesquels ?

On peut déjà citer le « couple infernal » Valls-Taubira. D’un côté, Manuel Valls, seul socialiste de droite connu à ce jour, tient sur la politique pénale un discours de répression identique à celui de l’UMP. De l’autre, Christiane Taubira tient un discours reprenant une ligne abandonnée par la gauche depuis dix ans : la prévention, la réinsertion, et la préoccupation sociale pour les conditions de vie des détenus. À l’échelle de tout l’électorat, c’est la position de Manuel Valls qui est majoritaire, puisque l’extrême droite, la droite et le centre-gauche y adhèrent. À l’échelle de la gauche, au contraire, c’est la ligne de Christiane Taubira qui est majoritaire, puisqu’elle correspond à la pensée politique historique de la gauche sur ce thème.

On peut ensuite citer le « couple » Ayrault-Fabius qui, sans être « infernal », tient de la rivalité feutrée. Certes, Jean-Marc Ayrault est le chef du gouvernement, sous la forme d’un « super-chef de cabinet » du président de la République qu’induit le passage au quinquennat. Pour autant, Laurent Fabius, fort de sa qualité d’ancien Premier ministre de François Mitterrand et de chef d’un puissant courant du Parti socialiste, se comporte en vice-président de facto. Il joue ainsi un rôle de « maître censeur » sur les enjeux de politique économique – rappels à l’ordre adressés à mots à peine couverts à Arnaud Montebourg – et plus encore sur la politique extérieure, du fait de ses fonctions de ministre des Affaires étrangères. Son rôle ressemble ainsi à celui d’Alain Juppé pour le dernier gouvernement de François Fillon, dans une similitude de situation très frappante.

Sans que cela soit incarné par une tension durable entre deux membres du gouvernement, l’on peut enfin citer quelques singularités incarnées tour à tour par un ou plusieurs ministres. Les positions de Vincent Peillon et de Cécile Duflot sur la dépénalisation du cannabis, les tensions entre Aurélie Filippetti et Jérôme Cahuzac quant à la publicité sur France Télévisions et à la taxation des écrans d’ordinateurs, la position à peine voilée de Manuel Valls contre le droit de vote des immigrés non-européens, le bref envisagement par Jean-Marc Ayrault de revenir aux 39 heures, le front anti-austérité Montebourg-Taubira-Duflot-Hamon, en sont autant d’exemples.

Ces "couples infernaux" représentent-ils des clivages idéologiques profonds ?

Pas toujours, mais le plus souvent, on peut en effet retrouver dans une tension au gouvernement un des grands clivages idéologiques qui traversent la gauche.

Premièrement, le clivage entre gauche social-démocrate et gauche socialiste sur la politique économique et industrielle : c’est par exemple la confrontation Ayrault-Montebourg sur Gandrange. Deuxièmement, le clivage entre gauche de la répression et gauche de la prévention : c’est la confrontation permanente Valls-Taubira. Troisièmement, le clivage entre austérité et relance : c’est la confrontation de plus en plus nette entre le bloc Montebourg-Taubira-Duflot-Hamon et la ligne de François Hollande, qu’on retrouve d’ailleurs à l’Assemblée nationale et au sein du Parti socialiste. Quatrièmement, le clivage entre gauche libérale et gauche conservatrice sur les mœurs : c’est par exemple la confrontation entre les positions de Vincent Peillon et de Cécile Duflot sur le cannabis, et la fin de non-recevoir de Jean-Marc Ayrault.

Vincent Peillon, Fleur Pellerin, Aurélie Filippetti : dans la composition de leur gouvernement, François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont opté pour des personnalités fortes au détriment d’une vraie cohérence idéologique. Après un an d’exercice du pouvoir, peut-on dire que c’était le bon choix ?

Incontestablement, l’on trouve dans ce gouvernement des profils différents à tous points de vue. Au-delà des divergences d’idées, inhérentes à la diversité des familles de pensée de la gauche française, cela va jusqu’à des positionnements en termes de clientèle sociologique, qui parfois proviennent d’abord des vies des ministres. Par exemple, Fleur Pellerin a un parcours, un vécu, elle provient d’un milieu, qui s’adressent aux très diplômés et aux chefs d’entreprise ; là où Aurélie Filippetti, sous les mêmes angles, a une fibre ouvrière marquée.

Toujours est-il que l’accumulation de fortes personnalités, chacune dotée de sa singularité, dans l’orchestre gouvernemental, constitue un vrai atout pour le gouvernement, à double titre. Cela lui permet de couvrir le spectre du « peuple de gauche » dans toute sa diversité. Cela rompt avec le déséquilibre en vigueur sous Nicolas Sarkozy, où un soliste, certes virtuose, ne laissait d’espace autour de lui que pour des choristes ou des métronomes. Encore faut-il que la polyphonie ne vire pas à la cacophonie. C’est tout le problème de l’actuel gouvernement.

Visiblement, il manque à ce gouvernement une stratégie de répartition cohérente des messages entre ministres, pour parvenir, comme dans un tableau impressionniste, à un ensemble lisible. Faute d’une telle stratégie, chacun apporte sa palette sans être encadré : d’où un rendu illisible et rédhibitoire, sauf à apprécier l’art abstrait.

François Hollande, connu lorsqu’il était premier secrétaire du PS pour son goût de la synthèse, semble avoir voulu reproduire la même méthode dans sa gestion du gouvernement. Mais celui-ci peut-il vraiment être géré de la même manière que le PS ?

François Hollande a effectivement reproduit à la tête de l’État ses méthodes de pilotage du Parti socialiste du temps où il en était premier secrétaire. Dans un premier temps, la cacophonie des courants s’exprime dans toute sa diversité et ses divergences. Dans un second temps, il rétablit la paix et fixe un agenda, par une motion de synthèse. Cependant cette dernière apporte par définition autant de frustrations que de satisfactions. En outre, avant qu’elle advienne, l’opinion publique assiste au flou et à l’illisibilité du cap, ce qui est extrêmement anxiogène par temps de crise. Enfin, cela alimente le procès en versatilité et en inconsistance de François Hollande. « Choisis ton camp, camarade ! »

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