"Les candidats de Koh-Lanta vont pouvoir s'offrir un bon steak-frites"<!-- --> | Atlantico.fr
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Rester plusieurs heures d'affilée sur un poteau sans bouger : voici l'une des épreuves de l'émission de télé-réalité Koh Lanta diffusée sur TF1.
Rester plusieurs heures d'affilée sur un poteau sans bouger : voici l'une des épreuves de l'émission de télé-réalité Koh Lanta diffusée sur TF1.
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Télé-réalité

La Cour d'appel de Versailles a tranché mardi 5 avril : TF1 est condamnée à verser des indemnités aux anciens candidats de "L'Ile de la tentation". Si la Cour n'a pas reconnu aux participants le statut d' "artistes-interprètes", ceux-ci devront désormais bénéficier d'un contrat de travail. Est-ce pour autant la fin de la télé-réalité ? Pas sûr pour l'avocat Jérémie Assous qui a défendu les participants face à TF1.

Jérémie Assous

Jérémie Assous

Jérémie Assous est avocat.

Inscrit au barreau de Paris, il s'est fait connaître pour avoir obtenu la requalification du contrat de participation des candidats à ces émissions, en véritable contrat de travail. Il a également défendu, avec Maître Thierry Lévy, Julien Coupat et le "groupe de Tarnac".

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Comment interprétez-vous la décision de justice de la Cour d’appel de Versailles ?

Je tire une certaine satisfaction de voir TF1 à nouveau condamnée. Ils semblent satisfaits de ne pas devoir payer la somme que je réclamais. Mais l’addition s’élève tout de même à un million d’euros : la chaîne devra payer près de 17 000 euros d’indemnités par participant. Cette somme correspond à 1400 euros par jour d’indemnité pour 12 jours de tournage.

Jusqu’à présent, TF1 a joué la montre. Aujourd’hui, pour leurs actionnaires, c’est catastrophique. Cela illustre l’absence totale de sens stratégique et d’intelligence de la chaîne dans cette affaire : en 2005, lors de la première décision de justice, il n’était question que de 300 euros par participant avec seulement trois personnes concernées. Ils auraient dû demander un accord à l’amiable, comme l’ont fait Etienne Mougeotte (ex-dirigeant de TF1), ou les producteurs Gérard Louvin et Virginie Calmels (Endemol).

Mais en s’obstinant à faire appel, TF1 se retrouve dans une situation où elle doit provisionner près de 3 500 000 euros car il existe 210 anciens candidats à l’Ile de la tentation qui peuvent aujourd’hui demander 17 000 euros chacun. Par ailleurs, en choisissant la voie judiciaire, ils ont provoqué une telle publicité autour de cette affaire que le nombre de clients susceptibles de porter plainte a augmenté largement. La gestion de ce dossier par TF1 est donc calamiteuse.

Cette décision de justice marque-t-elle selon vous la fin de la télé-réalité ?

Non. Le modèle est toujours rentable quelque soit les condamnations. L’Ile de la tentation rapporte 15 millions d’euros de recettes publicitaires par an. Koh Lanta, environ 19 millions d’euros. Cela laisse donc à TF1 une marge importante. La preuve : les producteurs de Koh Lanta s’obstinent toujours à ne pas faire signer de contrat de travail.

Avec cette décision de justice, soit les producteurs ne signent pas de contrat de travail et s’exposent à des condamnations judiciaires de plus en plus élevées. Soit ils respectent la législation sociale qui s’impose à eux et alors le programme ne sera plus exactement le même. Devant votre télévision, grâce au montage, vous ne verrez sans doute pas de différence. Mais l’envers du décor sera différent : les candidats de Koh Lanta pourront par exemple limiter leurs tournages à 10 heures par jour et s’offrir le soir un bon steak-frite !

C’est déjà en partie une réalité… Avez-vous perçu une différence entre Loft Story et Secret Story ? Non ? Pourtant contrairement au Loft, les candidats de Secret Story sont filmés seulement huit heures par jour avec un jour de repos. Le public ne s’en rend pas compte. C’est la magie de la fiction !

Par conséquent,  je pense que les producteurs vont respecter la loi parce qu’ils n’ont pas le choix, sous peine de devoir faire face à du pénal. D’ailleurs, le plus gros producteur de télé-realité, Endemol, signe déjà des contrats de travail avec les participants.

Sur le fond de l’affaire, vous considérez vraiment qu’être candidat de télé-réalité correspond à un travail ?

C’est évident ! Bien-sûr, il existe des tâches beaucoup plus difficiles que d’autres. Votre travail de journaliste, par exemple, est plus agréable que celui d’un ouvrier. Mais on parle de contrat de travail lorsqu’une personne se met sous la subordination d’une autre afin d’effectuer une prestation contre rémunération. Certes, la Cour a refusé d’interpréter, comme je l’aurais souhaité, que la prestation des participants des émissions de télé-réalité soit celle d’ "artistes-interprète". Mais elle reconnait que ces participants étaient à l’entière disposition du producteur : celui-ci disposait d’un planning d’activités, programmé au quart d’heure prêt, afin qu’il puisse disposer de suffisamment d’images.

Je ne dis pas qu’être participant d’une émission de télé-réalité corresponde au métier le plus difficile qui soit. Mais si tout est répété, monté, avec des costumes imposés, on peut parler de programme de fiction. Ce n’est pas un documentaire.

TF1 a annoncé son intention de porter plainte contre vous suite à vos accusations de corruption contre elle ? Où en êtes-vous ?

J’attends toujours qu’il me délivre une assignation à mon domicile. Je suis tout à fait disposé à m’expliquer devant les magistrats. Je note que TF1 a annoncé son intention de m’attaquer au civil pas au pénal. Normalement, en matière de diffamation on saisit les juridictions correctionnelles... (NDLR : pour plus d'informations sur cette affaire)

A titre personnel, cette affaire vous aura finalement apporté une belle notoriété…

Lorsque j’ai commencé ce dossier nous étions en mai 2003. Je n’avais prêté serment comme avocat que depuis un mois. Il s’agit donc de mon premier dossier en droit du travail.

Le fait que TF1 ait choisi la voie judiciaire aboutit à ce que la chaîne soit systématiquement condamnée à verser des sommes de plus en plus importantes aux anciens participants. Le nombre d'anciens participants à venir me voir ne cesse ainsi d'augmenter. J'en compte aujourd'hui plus de 300 parmi mes clients...

Vous êtes rémunéré au pourcentage des indemnités reçues ?

En effet. Je ne manquerai donc pas d’envoyer une caisse de très bon champagne à la chaîne pour la remercier !

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