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Jean-Luc & Frigide dans le même bateau ? En quoi les gens qui incarnent les colères françaises dans la rue ne les représentent que très partiellement dans la réalité
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Opportunistes ?

Figures de la contestation populaire dans les manifestations, pas sûr que Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ou Frigide Barjot portent vraiment les revendications du citoyen lambda.

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Atlantico : La France est actuellement agitée de nombreuses manifestations qui viennent de divers bords politiques et qui trouvent leurs justifications respectives dans des problématiques très différentes les une des autres. Ces mouvements populaires ont été essentiellement incarnés par Marine Le Pen, Frigide Barjot et Jean-Luc Mélenchon. La capacité qu’on eu ces personnalités à faire descendre les Français dans la rue reflète-t-elle leur popularité ?

Yves-Marie Cann : Avant tout, il faut bien comprendre que les priorités des Français, comme l’avait déjà montré la dernière élection présidentielle au-delà des questions de personnes, sont essentiellement centrées sur les enjeux économiques et sociaux notamment la lutte contre le chômage et le pouvoir d’achat. Lorsque l’on interroge les Français sur le pourquoi de leur mécontentement à l’égard du gouvernement et de la majorité, ce sont clairement ces enjeux là qui structurent les jugements négatifs. Cela se ressent notamment sur les cotes de popularité de l’exécutif. Après son élection, le président Hollande était crédité, selon notre observatoire mensuel avec le journal Les Echos de 58% de cote de confiance alors qu’il n’est plus aujourd’hui qu’à 31% - baisse qui a été quasi continue sur les douze derniers mois et qui s’est accentuée récemment.

Au niveau des personnalités que vous évoquiez, nous observons des mouvements tout à fait intéressants au sein de l’opinion publique. Jean-Luc Mélenchon pour commencer, a su incarner au cours de ces derniers mois l’opposition à la gauche de la gauche du gouvernement et à François Hollande, incarnation qui a notamment pris forme à travers des sorties virulentes ou humoristiques comme son interview dans le JDD de fin aout dernier dans laquelle il parlait de François Hollande comme d’un "capitaine de pédalo". Il est cependant intéressant de constater que monsieur Mélenchon était crédité à la sortie de l’élection présidentielle de 45% de bonnes opinions, encore porté par sa dynamique de campagne, mais n’est plus aujourd’hui qu’à 32% dans notre enquête de cette semaine.

L’évolution de la popularité de Jean-Luc Mélenchon est d’autant plus intéressante quand on la compare avec ce que l’on observe au cours de la même période pour Marine Le Pen. Cette dernière était, toujours à la sortie de la dernière élection présidentielle, créditée de 32% d’opinions favorables - soit un score très inférieur à celui de Jean-Luc Mélenchon - mais est aujourd’hui à 36%. Ainsi, si le gain de 4 points est modeste d’un point de vue statistique, il prend un sens politique particulier lorsque dans le même temps Jean-Luc Mélenchon en a perdu 13. Ces dynamiques inverses finissent donc par donner à madame Le Pen une meilleure opinion générale que celle de son adversaire du Front de gauche.

Ainsi, il peut paraître surprenant que ces courbes évoluent si différemment puisque, dans un contexte de préoccupations économiques et sociales, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen cherchent à amener à eux les mêmes catégories populaires notamment ouvrières. Et il se trouve que sur ce terrain c’est madame Le Pen qui remporte aujourd’hui le match puisque 48% des classes populaires déclarent avoir une opinion favorable de Marine Le Pen, un score qui monte jusqu’à 53% chez les ouvriers. Monsieur Mélenchon quant à lui ne reçoit que respectivement 34 et 38% de bonnes opinions sur ces groupes.

VIe République, austérité, Jeanne d’Arc, mariage pour tous - pour ou contre : sont-ce là les questions qui intéressent réellement les Français malgré le dynamisme de certains de ces mouvements ?

Il est vrai que lorsque l’on regarde les problématiques dont s’emparent chacune de ces manifestations, notamment la VIe République, les valeurs traditionnelles de la France ou encore l’opposition au mariage pour tous, on constate que ce ne sont pas les sujets sur lesquels les Français attendent une action rapide et efficace de leurs dirigeants politiques. Cependant, il est clair que ces questions sont des marqueurs politiques forts pour chacune de ces personnalités au sein de leur camp et leur permettent de fédérer un certain nombre de soutiens autour de leur personne. Dans le cas de Jean-Luc Mélenchon et de la VIe République, ce n’est clairement pas le sujet qui lui permettra d’attirer sur son nom davantage de soutiens parmi les classes populaires. Plus généralement, la réforme des institutions est un sujet secondaire dans l’esprit des Français. Ce sujet lui permet toutefois de préempter un terrain peu investi aujourd’hui par les autres formations politique et auquel les militants de gauche peuvent être sensibles. Concernant les valeurs que Marine Le Pen veut véhiculer avec le défilé du 1er mai, il est clair que le constat est le même bien qu’une fois encore il s’agit là d’un des ciments essentiels de la création du Front national. Qui aujourd’hui encore se présente comme le premier défenseur des valeurs françaises traditionnelles. En ce qui concerne la "Manif pour tous", Frigide Barjot revendique un positionnement apolitique mais a une influence non négligeable de par les soutiens, politiques eux, dont elle a bénéficié ainsi que la mobilisation populaire dont elle s’est faite la représentante. Il est cependant plus difficile d’identifier le rôle précis qu’elle pourrait jouer à l’avenir tant il y a dans ces manifestations le regroupement de plusieurs types et groupes d’opposition. La première de ces oppositions vient des réseaux catholiques, une autre vient de la frange identitaire et enfin l’opposition est devenue politique par le biais du soutien apporté par plusieurs ténors de l’UMP dont le premier d’entre eux en la personne de Jean-François Copé.

Dans quelle mesure ces manifestations sont-elles contextuelles ? Ne sont-elle pas la simple expression du mécontentement global plutôt que l’adhésion aux corpus idéologiques des leurs leaders respectifs ? 

Il est effectivement clair que le contexte dans lequel s’inscrivent ces manifestations est un terrain favorable à leur succès. Si on reprend l’exemple de la "Manif pour tous", il est très probable que, dans un contexte d’expansion économique et avec une défiance moindre envers le couple exécutif, ce mouvement n’aurait sans doute pas pris aussi facilement et aurait probablement moins mobilisé au-delà de son noyau dur. Cependant, dans le cas de la manifestation du 5 mai organisée par Jean-Luc Mélenchon qui repose sur des problématiques tout à fait différentes, il sera intéressant de voir dans quelle mesure l’appel à descendre dans la rue sera suivi.  En effet, les mobilisations autour des questions économiques ces derniers mois ont toujours été assez limitées en termes d’affluence. Il convient toutefois d’être prudent car le contexte pourrait en effet bien faire changer les choses.

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