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François Hollande, année 1 : ce que la liste des évènements qui ont marqué les Français révèle de notre psyché collective
©Reuters

Ce qui restera

Un sondage sur ce que les Français retiendront de la première année de présidence Hollande est pour le moins cinglant : l'opposition au "mariage pour tous" (52%), le chômage record (48%) ou l'affaire Cahuzac (38%) éclipsent largement les mesures fortes du gouvernement (l'ANI à 13%, la transparence sur les patrimoines à 10% et la création de la BPI à 6%). La conclusion logique d'une année de chute de popularité.

Alexandre Melnik et Jérôme Sainte-Marie

Alexandre Melnik et Jérôme Sainte-Marie

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle.

Jérôme Sainte-Marie est Directeur du Département Opinion de l'institut de sondage CSA.

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Atlantico : D'après un sondage CSA-Les Echos-Institut Montaigne, les principaux évènements qui ont marqué les Français après un an de présidence sont dans le tiercé de tête : les défilés contre le "mariage pour tous", le taux de chômage record et les aveux de Cahuzac. Les grandes réformes comme l'ANI ou la BPI sont loin derrière. Qu'est-ce que cela nous apprend de l'opinion publique française ? Qu'ils sont totalement désabusés et ne voient que le négatif, ou bien que les réformes de Hollande ne les intéressent absolument pas ? 

Jérôme Sainte-Marie : Il est assez naturel qu'en l'absence de résultats immédiats, les Français mémorisent davantage les problèmes que les tentatives faites pour les résoudre. Il en est ainsi dans notre sondage, avec près de quatre fois plus de citations des aveux de Jérôme Cahuzac que de la transparence imposée sur le patrimoine des politiques. C'est encore davantage évident sur la question de l'emploi, avec une opinion bien plus marquée par le record de chômage que des mesures, par ailleurs controversées, comme l'ANI. François Hollande projette son action dans le temps de son mandat, avec cependant une certaine prise de risque en annonçant une inversion de la courbe du chômage à la fin de cette année. Pour l'heure, c'est dans ce hiatus entre la décision politique et le constat de ses hypothétiques effets que réside une bonne part de l'explication à la forte impopularité de l'exécutif.

Alexandre Melnik : Cela signifie que les Français réalisent de mieux en mieux que le gouvernement élude les vrais problèmes auxquels est confrontée la France dans le contexte de la globalisation du XXI siècle. Et que l’actuel leadership déclare forfait face au fléau du chômage qui s’impose pourtant,pour les Français, comme la priorité urgente, en prenant chaque jour des proportions de plus en plus alarmantes. Or, se réfugiant derrière les demi-mesures et les réformettes à la petite semaine et à courte vue quine vont jamais jusqu’au bout du nécessaire, telle l’improbable posture d’une femme « à moitié enceinte », le gouvernement fuit les réels enjeux,car ceux-ci exigent un changement complet de mode de fonctionnement et de « logiciel mental » de la gauche française, la plus archaïque des pays occidentaux. Un défi dont les socialistes français sont incapables de relever en raison de leur ADN identitaire qui les tire, irréversiblement, vers le bas. Dans ce contexte, ce sondage prouve une fois de plus que l’opinion publique française aujourd’hui est en avance par rapport aux élites françaises installées aux commandes décisionnelles. Ces élites dirigeantes restent prisonnières de leur vision du monde d’un autre âge, alors que la société,plus mobile et plus flexible, s’adapte mieux et plus vite au changement.Bref, le sondage démontre le déchirement croissant des Français : d’un côté, leur rejet des réformettes de Hollande qui devient de plus en plus manifeste, et, de l’autre côté, que l’amertume de la société, confinant au fatalisme, se réfugie dans l’immédiateté des sujets les plus médiatisés(affaire Cahuzac, mariage pour tous) qui dominent la une des journaux et font le buzz dans les réseaux sociaux, sans toucher aux racines des maux qui assaillent la France en ce début de mai 2013.

Les manifestations contre le "mariage pour tous" est ce qui revient en premier dans ce sondage, toutes populations confondues, alors même que les sondages d'opinion montrent que les Français sont en attente d'améliorations économiques et non de réformes sociétales. Comment expliquer ce paradoxe ?

Jérôme Sainte-Marie : Une manifestation, ou plusieurs, a toute la force de l'événement, autrement plus marquant qu'un texte de loi. De plus, le "mariage pour tous" est une mesure conflictuelle, car elle suscite un conflit de valeurs, tandis que les mesures sur l'emploi sont davantage consensuelles, comme le montre d'ailleurs l'attitude mesurée de l'opposition parlementaire à l'égard de l'ANI. Cela joue fortement dans la hiérarchie des événements constatés. Cela tient aussi que les sympathisants de gauche sont gênés pour évoquer les chiffres de l'emploi, tandis qu'ils citent aisément les manifestions contre le "mariage pour tous", qui sera sans doute  à François Hollande ce que l'abolition de la peine de mort fut à François Mitterrand : le symbole d'une action supposée authentiquement de gauche, qui permet de ne pas trop s'appesantir sur les avancées - ou reculades - sociales.

Alexandre Melnik : Je pense avoir déjà, fondamentalement, répondu à cette interrogation. La France flirte actuellement avec le sentiment du fatalisme par rapport à son échec économique, en s’enfonçant ainsi dans un déni de réalité, face à la complexité du nouveau monde global qu’elle ne comprend pas. Ce fatalisme économique qui s’apparente à un constat d’impuissance en matière d’économie, poussent les Français vers un exutoire des problèmes dits sociétaux (à l’instar du mariage pour tous), jugés – à tort – plus faciles à résoudre que les enjeux économiques. Et le gouvernement, au lieu de concentrer ses efforts sur l’essentiel (économie), entretient cette illusion pour faire diversion, en mettant en avant un « sociétal » sans lendemain,sous prétexte d’un nouveau « projet de civilisation ».

Il existe un écart très net sur les manifestation contre le "mariage pour tous", qui est l'évènement largement en tête chez les jeunes (62% chez les 18-24 et 60% chez les 25-34) alors que la sous-représentation est forte parmi les couches plus âgées de la population. Y a-t-il une fracture générationnelle parmi l'opinion publique française sur la perception des évènements politiques ?

Jérôme Sainte-Marie : Le plus étonnant, ce sont les réponses des 25-34 ans, car en deça c'est assez habituel que l'on fixe davantage son attention sur des enjeux dits moraux ou sociétaux. Le succès des manifestations contre le mariage pour tous n'était pas évident, et j'avoue ma grande prudence sur la postérité qu'aura ce mouvement : sera-t-il fondateur ou non ? On a vu dans le passé des mouvements massifs, passionnés, et qui ont fait chanceler le pouvoir en place, bien davantage que celui-ci, et dont la trace s'est largement perdue. Je pense par exemple au mouvement contre la loi Devaquet en 1986, ou plus près de nous contre le CPE.

Alexandre Melnik : Bien évidemment, le changement de monde que vit actuellement l’Humanité creuse un fossé générationnel un partout sur notre planète,mais surtout dans les pays mentalement rigides, réfractaires au changement comme le France. La génération 3.0 née sur Internet dans le monde plat, ne peut que se projeter dans un avenir qui lui paraît flou, en quête de nouveaux repères existentiels, alors que les personnes plus âgées sont naturellement tentées de continuer à vivre sur leurs acquis du passé, en repoussant chaque fois les échéances de la remise en cause indispensable, même si elles réalisent aussi que le sol se dérobe sur leurs pieds. Cette dichotomie débouche sur une lecture différente des mêmes événements politiques en fonction de l’âge des personnes concernées. Les tournants de l’Histoire (et c’en est un, actuellement) exacerbent toujours les clivages générationnels.

Les cadres semblent plus indifférents que la moyenne au "mariage pour tous", se distinguant plutôt sur les aveux de cahuzac, l'intervention au Mali, ou l'ANI, là où les mployés/ouvriers sont eux sureprésentés dans leur perception des chiffres du chômage. Ces chiffres ne dressent-ils pas le portrait d'une France plus que jamais divisée face au ressenti de la crise économique ?

Jérôme Sainte-Marie : La catégorie des cadres, dans les enquêtes d'opinion, mêle des salariés du privé et du public, et parmi ces derniers beaucoup de professeurs. Ils divergent largement sur leurs choix politiques, mais ont en commun de se tenir davantage informés par les médias. Dès lors, ces grands consommateurs d'actualité ont tendance à avoir à peu près les mêmes centres d'intérêts que les journalistes, en quelque sorte. A l'inverse, les employés et ouvriers, surtout dans des périodes de grand risque comme celle que nous traversons, demeurent avant tout vigilant sur la question de l'emploi. Davantage exposés, se sentant moins employables en cas de chômage, ils se révèlent souvent plus hermétiques aux opérations de communication politique et autres diversions que ne le sont les cadres. C'est là un paradoxe plutôt rassurant.

Alexandre Melnik : Ce n’est pas une crise au sens classique que nous vivons actuellement,mais une véritable révolution copernicienne, une totale transmutation des fondamentaux. Confronté à cette nouvelle donne, la société française s’atomise et s’émiette. Les anciens équilibres, qui assuraient sa cohésion, volent en éclats. Le déclassement des classes moyennes, sortie des Trente Glorieuses, s’accélère sous la pression de la globalisation qui transforme de fond en comble le paysage social. Personne, indépendamment de son statut social (cadre, employé, ouvrier, etc) n’est plus à l’abri d’un licenciement,d’un brusque changement de carrière, d’un impératif de démarrer une nouvelle vie à tout moment, car ni l’Etat, ni une entreprise, si performante soit-elle, ne peuvent plus garantir un emploi à vie. La recherche d’une stabilité passe désormais nécessairement par le changement intégré dans la vie quotidienne de chacun. Les nouveaux champs des possibles que la globalisation ouvre pour une individuelle « race to the top » sonnent en même temps le glas de tout projet collectif fédérateur, en divisant de plus en plus la société française, et en reléguant, face au ressenti des nouveaux challenges économiques, le « team spirit » au rang des antiquités.

Les partisans de la droite ont largement plus cité que la moyenne les échecs de François Hollande sur le front du chômage et dans la gestion de la question du "mariage pour tous". Il n'est certes pas étonnant que la droite souligne les erreurs de la gauche, mais François Hollande s'était fait élire en partie sur une image d'homme consensuel et peu clivant. Tout s'est déjà envolé en un an ?

Jérôme Sainte-Marie : Il faut distinguer deux choses. D'une part, vous avez raison de souligner que l'image cultivée par François Hollande d'homme de dialogue, en opposition explicite par rapport à l'image plus brutale de Nicolas Sarkozy, a été écornée par sa gestion du "mariage pour tous". D'autre part, il serait abusif de prolonger cette idée avec les résultats de notre enquête. Une part de mauvaise foi et de parti pris existe aussi bien chez gouverné que chez le gouvernant, et je ne tirerai pas de conclusion particulière sur la sévérité, bien prévisible, des sympathisants de droite à l'égard d'un pouvoir de gauche.

Alexandre Melnik : L’image « d’homme consensuel » véhiculée par François Hollande pendant la campagne électorale était un simulacre qui signifiait, au fond, l’absence de tout projet mobilisateur, de toute boussole capable de tracer le cap. Qui camouflait le vide conceptuel des socialistes ayant perdu leur raison d’être, orphelins du collapse marxiste-léniniste. Faut-il s’étonner qu’un an après son élection, sous la pression des problèmes économiques qui s’accumulent sans qu’aucune solution n’émerge à l’horizon, ce vide de projet éclate au grand jour, en clivant encore plus la société française ?

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