La Française qui voulait sauver le soldat mimolette des griffes de la FDA américaine

Atlantico : Depuis presque un mois, les autorités américaines refusent un chargement de mimolette qui est coincé dans un entrepôt du New Jersey, retenu par la Food and Drug Administration (FDA). Selon les autorités sanitaires les mites à fromages seraient allergènes. Comment expliquer qu'aujourd'hui la mimolette pose un problème alors que les mites à fromages ont toujours existé et étaient tolérées jusque-là ?

Cécile Delarue : En fait on a appris il y a deux semaines que ce problème se posait depuis plusieurs mois maintenant. Il s'agissait alors d'un stock de 500 kilos de mimolette qui était retenu, mais depuis, semble-t-il, d'autres envois de fromages ont à nouveau été bloqués. L'importateur Isigny, qui a communiqué en premier sur le sujet, explique qu'il n'est apparemment pas le seul concerné. Ce qui est très étrange, c'est que comme vous le notez, jusque-là le problème ne s'était jamais posé. Il ne se pose d'ailleurs pas du tout en Europe, à ce que je sache, et encore moins en France, où la mimolette est consommée depuis Louis XIV.

Les avocats qui défendent l'importateur semblent avoir le plus grand mal à trouver une régulation exacte qui expliquerait le refus de ce fromage. On leur a évoqué le problème des mites, qui sont dans la croûte de la mimolette vieille, et qui provoquent des allergies. Or la FDA serait actuellement en guerre contre les acariens et tout élément provoquant des réactions allergiques. Mais il n'y aurait pas de loi concrète interdisant la présence de mites dans le fromage. Tout est très flou : la FDA a communiqué récemment pour expliquer qu'elle "n'interdisait pas" la mimolette, mais de fait elle n'en laisse plus passer...Les fabricants de fromages se voient contraints de prouver scientifiquement que leur produit n'est pas dangereux, et à chercher des scientifiques spécialistes de la question qui acceptent de faire des expertises sur leur fromage, alors qu'il est consommé depuis des siècles sans que cela pose problème.

D'où vient cette focalisation sur les questions sanitaires liées aux produits importés ? 

Ce n'est pas lié aux produits importés, les États-Unis sont depuis longtemps maintenant obsédés par la question sanitaire. La guerre contre le lait cru a sévi très fortement aux USA, de nombreux fabricants de fromages artisanaux locaux (il y en a de plus en plus) ont été poursuivis par la FDA et certains ont dû fermer boutique. Dans certains États, la vente de lait cru est tout simplement interdite : on ne peut en consommer que si on le produit soit même. 

Il est cependant vrai que les Américains sont de plus en plus sensibles aux problèmes des allergies et des intolérances : autour de moi, à Los Angeles, il y a de plus en plus de personnes intolérantes au gluten, et les supermarchés sont remplis de produits spéciaux pour les consommateurs allergiques. Tout cela semble très paradoxal, quand on voit à quel point la "junk food" est développée et vendue sans problème partout aux États-Unis. Ou que par exemple aucune loi n'oblige à mentionner la présence d'OGM sur les étiquettes. Mais tout cela dépend surtout des lobbies et des réseaux d'influence qui les défendent. 

Est-ce que ce rejet de la mimolette peut être compris comme un rejet d'une partie de la culture française par les Américains ? D'autres décisions sont-elles aussi allées dans ce sens récemment ?

Je ne crois pas qu'il s'agisse de rejet de la culture française : c'est une mesure sanitaire, administrative. Mais ce qui est sûr c'est que si les Français ne se battent pas pour que la mimolette continue d'être vendue aux États-Unis, il ne se passera rien... Et notre pays perdra à nouveau un (petit) marché.Pour paraphraser le général de Gaulle, dont la mimolette était le fromage préféré, la France n'aura pas perdu la guerre, mais elle aura perdu une bataille. Celle de la liberté de proposer ses produits de qualité à un marché conséquent, et de plus en plus curieux de découvrir autre chose que le fast food. 

Les Américains changent complètement leur façon de voir la cuisine depuis dix ans. Ils se remettent aux fourneaux, ils s'intéressent aux produits frais, ils ont envie de découvrir de nouvelles saveurs. C'est au contraire le moment de leur montrer ce qu'on sait faire ! L'année dernière, quand le foie gras a été interdit en Californie, j'ai rencontré beaucoup de professionnels dépités que la France ne se soit pas battue davantage sur ce sujet. La loi est passée en Californie parce que les lobbies pro-animaux ont su mieux se faire entendre.

Est-il possible d'espérer que les autorités américaines changent d'avis ? A quelles conditions ?

J'espère ! C'est pour ça que j'ai créé cette page facebook, et que je multiplie les interventions, cherchant les soutiens les plus divers, de Jamel en passant par Jean-François Piège ou le chef Ludo Lefebvre qui est le chef français star en ce moment aux États-Unis. Comme partout aux États-Unis, tout est affaire de lobby mais aussi de bruit médiatique. Tant qu'on en parlera, il y aura intérêt à trouver une solution à cette situation.De leurs côtés, les importateurs français tentent de régler ce problème judiciairement, avec des avocats et des scientifiques, mais j'ai peur que ce combat-là coûte trop cher, et ne vaille pas la chandelle pour les fabricants...

"French and Parfait !" Le blog de Cécile Delarue (en anglais)

Propos recueillis par Manon Hombourger