Séquestré par vos salariés ? Petit kit de survie pour patrons en détresse<!-- --> | Atlantico.fr
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Il est important que tout cadre en position de négociation ait sur lui, en permanence, une lettre de décharge de responsabilité.
Il est important que tout cadre en position de négociation ait sur lui, en permanence, une lettre de décharge de responsabilité.
©Reuters

Bonnes feuilles

L'auteur Xavier Tedeschi plonge le lecteur dans la vraie vie des restructurations d'entreprises et apporte des clés pour faire des contraintes d'un plan social un levier éthique et efficace de rebond. Extrait de "Et moi, je fais quoi ? Plaidoyer pour une saine restructuration" (1/2).

Xavier Tedeschi

Xavier Tedeschi

Xavier Tedeschi est fondateur de Latitude RH 

Il accompagne depuis 20 ans les entreprises dans leur projet de transformation et de redéploiement.

Fort de son expérience managériale et des grands projets de transformation, il publie en septembre 2012 son premier livre « Et moi, je fais quoi ? » (Editions du Palio), un recueil de nouvelles à travers lesquelles il plaide la « saine restructuration », une démarche opérationnelle pour une restructuration socialement responsable et économiquement réussie.

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Les négociations sociales ont toujours été risquées.

Contrairement à une idée courante, ce n’est pas hier qu’on a découvert la séquestration : elle est passée de l’anecdotique au médiatique et – beaucoup plus inquiétant – c’est son effet boule de neige qu’on observe. Il y a une contagion entre les différentes entreprises. On peut se demander quelle sera la prochaine étape ?

La séquestration est un moyen de choquer et d’attirer les médias sur le sort de l’entreprise. Mais, depuis quelques années (2009), elle ne cesse de s’étendre. Bientôt l’opinion publique considérera cette pratique comme normale et les médias s’en désintéresseront. Jusqu’à maintenant, les séquestrations durent une nuit, une journée au plus. Mais je ne serais pas étonné que cela évolue. On a déjà connu des menaces à la pollution de l’environnement, des saccages de lieux publics, des menaces à l’explosion de bouteilles de gaz…

Si la séquestration est illégale, immorale, elle semble cependant gagner en légitimité : en avril 2009 un sondage IFOP-Paris Match indiquait que 7% des personnes interrogées condamnaient les séquestrations mais que, dans le même temps, 63% les comprenaient sans les approuver. On pourrait s’interroger sur le développement de ce genre de réaction : n’est-ce pas le résultat de la dévalorisation de la grève (mécanisme institutionnel), sa perte d’impact et la naissance d’un sentiment d’impuissance de la part des salariés ? Le fameux "désormais, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit" lancé en 2008 par Nicolas Sarkozy n’a rien arrangé, encourageant les plus extrémistes à passer à d’autres forme de contestation.

Dans la pratique, la séquestration est souvent la phase finale d’une situation qui est tendue depuis longtemps. Elle est la conséquence d’un déséquilibre du ratio confiance / défiance autour duquel s’articule le dialogue social : devant un projet dont ils ne comprennent pas les causes, qu’ils jugent trop éloigné de leurs préoccupations quotidiennes ou qui leur donne l’impression de n’être que des variables d’ajustement et non des acteurs, les salariés cherchent à reprendre la main.

Je n’ai jamais vu ou entendu de patrons séquestrés dans une entreprise où le dialogue social se passe bien. La violence intervient à la fin d’un cycle que l’on peut décomposer en quatre phases. La première est la dégradation des conditions du dialogue social au quotidien. En résumé, c’est la période où le patron dit "je n’ai pas le temps de m’en occuper". Vient alors la phase "d’ignorance" où le cadre répond à toutes les questions par "on contrôle" sans donner plus d’explications. La phase qui précède les débordements violents est celle dite "des déséquilibres". Le patron évoque alors souvent des éléments extérieurs : "On n’y peut rien, c’est la crise" ou répond de façon rigide, sans écoute, souhaitant imposer par autoritarisme ou … par peur. C’est seulement à l’issue de tout ce processus que l’on s’engage dans la quatrième phase, celle des comportements violents.

J’ai souvent observé des situations où la séquestration est considérée comme le seul moyen d’obtenir des résultats, selon le scénario suivant :

  • Au terme de réunions annulées en réunions inutiles ou fuyantes…
  • On séquestre, une nuit, un jour…
  • Et le lendemain l'écoute active s'est sensiblement améliorée, les moyens ont signi!cativement augmenté, les pouvoirs publics sont sensibilisés.
  • La séquestration devient lors un accélérateur de négociations difficiles, comme si priver quelqu'un de sa liberté de mouvement, de son confort, le forçait à écouter, réfléchir et trouver des solutions !

Les dirigeants ne sont alors pas du tout préparés à affronter de telles situations. Ils ne peuvent imaginer que leur maladresse de comportement, de langage, et leur manque de pouvoir de décision (aux mains de directions générales ou d’actionnaires lointains) tout au long du processus de négociation peuvent provoquer l’irritation des partenaires sociaux et engendrer de la violence.

En ce domaine, seuls ceux qui sont passés par cette étape peuvent comprendre. Le reste n’est que discours.

En dehors des "expérimentés", je n’ai rencontré personne prêt à affronter cette situation, à accepter, même difficilement, cette éventualité. Dans la préparation de projet, c’est souvent une phase de détente, d’humour, c’est le moment où les blagues fusent quand on aborde le sujet pour anticiper le risque. Peut-être pour conjurer le sort ?

Il faut agir avec pragmatisme et bon sens. Lorsque le risque est possible, il est important de s’y préparer : penser à avoir des cigarettes sur soi quand on est un gros fumeur pour mieux tenir la tension, avoir une trousse de toilette au cas où…, des vêtements de rechange dans les armoires du bureau. Sur le fond, il est important de ne rien négocier dans ces conditions de tension extrême.

Je me souviendrai longtemps du désappointement des salariés voyant leur directeur sortir de son bureau rasé de près, chemise impeccablement repassée et cravate changée, après une nuit bloquée dans son bureau. J’ai aussi en mémoire la couardise de ce DRH qui, de peur de se faire séquestrer, voyant les syndicalistes bruyants et chahuteurs s’approcher et pour certains uriner le long de la baie vitrée qui séparait son bureau du couloir, a sauté du premier étage par la fenêtre. Impossible ensuite de se représenter à la table des négociations ! Je pense encore à cette fois où un huissier a accepté d’être présent à une réunion de conseil de direction alors que des fuites nous laissait à penser qu’une action de force se préparait. Il est très dangereux de priver de liberté un officier ministériel : sa présence à permis de rester, après l’irruption des salariés, dans un réunion dite "prolongée" plutôt que de devoir constater une séquestration privant les participants de leur liberté de circulation.

De façon plus formelle, parce que rien n’est à négliger, il est important que tout cadre en position de négociation ait sur lui, en permanence, une lettre de décharge de responsabilité. Si toutes les décisions qu’il prend pendant sa séquestration sont réputées sans effet, il apparaîtra nettement moins intéressant aux yeux de ceux qui le séquestrent et sera d’autant plus vite libéré.

Extrait de "Et moi, je fais quoi ? Plaidoyer pour une saine restructuration" (Editions du Palio), 2012. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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