41% de ses électeurs de 2012 ne revoteraient pas pour lui : François Hollande pourra-t-il un jour reconquérir ses électeurs perdus ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement ne s'occupe pas suffisamment des sujets prioritaires.
Le gouvernement ne s'occupe pas suffisamment des sujets prioritaires.
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On creuse encore ?

Selon un récent sondage CSA pour BFM TV, François Hollande n'engrangerait que 18% des voix au premier tour, derrière Nicolas Sarkozy (34%) et Marine Le Pen (23%) si l'élection présidentielle avait lieu aujourd'hui. Un désamour électoral peu étonnant au vu de la situation actuelle mais qui pourrait bien se cimenter dans les années à venir...

Yves-Marie Cann et Thomas Guénolé

Yves-Marie Cann et Thomas Guénolé

Yves-Marie Cann est Directeur d'études au département Opinion de l'institut de sondage CSA.

Thomas Guénolé est politologue à à Sciences Po, maître de conférence à Sciences Po et professeur chargé de cours à l'Université Panthéon-Assas.

Ses tribunes dans la presse et ses interventions télévisées portent principalement sur l'extrême droite, la droite, le centre et la crise de l'euro. Il a fondé en 2012 le Projet Constitution Liberté en partenariat avec OpinionWay.

Site internet :
thomas-guenole.f

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Lien vers l'étude CSA/BFM du 29 avril 2013

Atlantico : L'enquête CSA/BFM révèle que François Hollande perdrait 10 points au premier tour et 12 au deuxième s'il se retrouvait face à Nicolas Sarkozy. Cette partie de l'électorat visiblement déçue de l'actuel Président est-elle perdue pour de bon où s'agit-il d'un effet passager ?

Yves-Marie Cann : Cette enquête d'intention de vote réalisée par notre institut s'est basée sur l'offre du 22 avril 2012 afin de se faire une idée de l'évolution des rapports de force politiques un an après la présidentielle. Les résultat démontrent une forte augmentation du score de Nicolas Sarkozy et de Marine Le Pen alors que François Hollande perd effectivement plus de 10 points. Lorsque l'on se penche dans le détail sur le comportement des électeurs de ce dernier, on constate qu'ils ne seraient que 59% à revoter pour lui tandis que 41% s'en détourneraient. Les deux éléments pouvant expliquer cette érosion sont le contexte économique et social, marqué par la progression continue du chômage et la hausse de la pression fiscale, ainsi que l'enracinement de l'idée que le gouvernement ne s'occupe pas suffisamment des sujets prioritaires (lutte contre le chômage et défense du pouvoir d'achat). Les débats et parfois même les couacs qui ont pu agiter par ailleurs la majorité présidentielle lors des derniers mois (notamment sur la question de l'austérité, NDLR) ont généré un certain doute quand à la capacité du Président de la République à apporter des réponses efficaces au problème du pays. Au delà de ce constat la question du "retour à la maison" de ces électeurs se pose effectivement. Notre analyse des principaux points faibles (chômage, pouvoir d'achat, déficits publics, rassemblement des Français et délinquance) nous invite à dire que le Président devra rapidement faire preuve d'efficacité sur ces sujets, et en particulier sur le front de l'emploi et de la croissance. 

Thomas Guénolé : Il ne faut jamais oublier de prendre en compte la "marge d’erreur" des sondages, qu’on appelle "intervalle de confiance des données à 95%" dans le jargon technique. Pour le sondage CSA-BFM, compte tenu du nombre de sondés, elle est de +/- 3 points. Donc avec 19%, François Hollande est en réalité n’importe où dans une fourchette entre 16 et 22. Il peut donc n’avoir perdu que 6 points par rapport au premier tour de 2012, ou avoir en fait perdu 12 points. Pour éviter les erreurs d’analyse, je recommande d’ailleurs aux médias de toujours publier les résultats des sondages en fourchettes.

Cela étant, il faut rappeler que sous la Ve République, la gauche au pouvoir a systématiquement été battue in fine. 1986 : battue. 1993 : battue. 2002 : battue. D’ailleurs, si on y réfléchit, dans l’hypothèse où François Hollande serait en réalité quelque part entre 16 et 19, il serait dans la même situation que Lionel Jospin le 21 avril 2002.

Quant à savoir si ces électeurs sont perdus définitivement pour le PS, il est encore trop tôt pour le dire. Dans le sondage CSA-BFM, 16% sont sans opinion. Cela laisse une large part d’incertitude, puisqu’ils peuvent voter n’importe quoi. Une remarque cependant : les électeurs indécis, quand ils finissent par choisir, votent rarement pour les extrêmes. Donc le score réel de Marine Le Pen à la présidentielle, si elle avait lieu aujourd’hui, serait très probablement plus bas qu’annoncé.

Quelles sont aujourd'hui les catégories d'électeurs qui boudent le plus le Président ? Constate t-on une érosion du socle PS ?

Yves-Marie Cann : On observe effectivement des évolutions sur ce plan. De façon détaillé il est intéressant de voir que le score obtenu auprès des catégories populaires et plus particulièrement des ouvriers est en nette déperdition. Seulement 14% des catégories populaires et 9% des ouvriers expriment aujourd'hui une intention vote alors que Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen emporteraient respectivement 22% et 41% des ouvriers.

Thomas Guénolé : Clairement, c’est du côté des ouvriers que le PS subit des pertes très lourdes. C’est parfaitement logique, car depuis la note du think-tank Terra Nova pour la stratégie de l’élection présidentielle de 2012, le PS a abandonné la cible du vote ouvrier pour se concentrer sur le vote des classes moyennes. De fait, malgré une aile gauche qui pèse un tiers de son appareil, ce parti a un positionnement de centre-gauche.

Le PS de 2013 est donc très différent du PS de 1981. En 1981, les électeurs d’extrême gauche, surtout ouvriers, votaient PS au second tour, voire dès le premier, par adhésion au programme commun PS-PCF. En 2013, ces mêmes électeurs ne votent PS qu’au second tour et par défaut. Par ailleurs, depuis les années quatre-vingt, les travaux de Pascal Perrineau ont montré qu’au premier tour ils votent de plus en plus FN au lieu de voter pour l’extrême gauche.

Les principaux points de mécontentement (lutte contre le chômage, pouvoir d'achat, résolution des déficits) correspondent aux sujets que les Français considéraient comme prioritaires lors de la campagne de 2012. François Hollande est-il aujourd'hui capable d'améliorer son image sur ces points sensibles de l'opinion ?

Yves-Marie Cann : La campagne et la victoire de 2012 pour le Président s'est certes jouée sur l'idée d'un "changement" face à Nicolas Sarkozy, mais aussi sur la promesse d'inverser la tendance économique actuelle. Lors des sondages réalisées lors des jours de vote on voyait effectivement ressortir nettement cette préoccupation des électeurs, et tout particulièrement des électeurs de François Hollande, sur la situation de l'emploi et de la consommation. Il est particulièrement frappant par ailleurs de voir que les "points forts" de ce dernier un an après les élections sont l'égalité des droits entre individus, la moralisation de la vie politique et la défense des intérêts de la France à l'international alors que les enjeux socio-économiques sont relégués en bas de tableau. On voit bien cependant que les quelques sujets de contentement ne permettent pas au Président de faire remonter sa côte de popularité, actuellement au plus bas (28%). Les scores obtenus sur les points faibles et les points forts sont par ailleurs à peu près similaires pour les électeurs de François Hollande au second tour que pour l'ensemble des Français. 

Thomas Guénolé : S’il faut recommander une politique en la matière, il n’y en a que deux qui soient cohérentes et viables : l’austérité, ou la relance. Dans les deux cas, vous atteignez deux objectifs, mais vous ratez le troisième.

La ligne d’austérité, c’est démanteler une partie de l’État-providence, notamment sur l’assurance-maladie et les retraites, et interrompre certaines activités de l’État. Vous réduisez vos dépenses publiques, donc vos déficits, et cela vous permet de baisser les cotisations sociales, ce qui dope l’emploi. Problème : à force de démantèlements, vous faites baisser la qualité de vie des Français, en particulier des plus pauvres, donc vous manquez la cible du pouvoir d’achat.

La ligne de relance, c’est doper la croissance pour que l’emploi redémarre, et avec lui, le niveau de vie de la population. La façon inefficace de le faire, c’est de dépenser l’argent public pour passer des commandes, comme des grands travaux, afin de stimuler l’activité économique. Ça marche très mal, parce que toute une partie de cette relance dope en fait les exportations de pays étrangers vers la France. La façon efficace, c’est que l’État nationalise des grandes banques, ou se serve de la Banque postale, en donnant l’ordre, comme actionnaire majoritaire, de prêter massivement de l’argent aux ménages et aux entreprises. Problème : ça a un coût, et donc, vous manquez la cible de la baisse des déficits publics.

Il y a aussi des mesures envisageables qui sont beaucoup plus radicales : répudier notre dette publique, par exemple. Cependant de telles mesures ne sont envisagées par personne dans la majorité socialiste-écologiste, donc il est inutile de les prendre en considération.

Toujours selon cette enquête, 54% des Français seraient prêts à changer de Premier ministre. Cela tend-il à révéler que le principal problème de François Hollande est la politique menée plutôt que sa personnalité ?

Yves-Marie Cann : Il est vrai qu'une majorité de Français souhaite que quelqu'un d'autre prenne la place à Matignon mais il n'y a là rien de fondamentalement surprenant. Rappelons que la côte de popularité de Jean-Marc Ayrault, en parallèle à celle de M. Hollande, est actuellement au plus bas et n'a cessé de chuter sur les derniers mois. Il est par contre plus étonnant de constater que cette idée fait aussi son chemin chez les électeurs de gauche (45%). Il est cependant important, comme vous l'avez souligné, de dissocier la personne présidentielle de la politique menée et il ressort effectivement dans nos précédentes enquêtes que c'est effectivement les mesures adoptées qui ont tendance à susciter le plus de mécontentements. Le style du couple exécutif et sa capacité à tenir les troupes dans une période difficile peut aussi entrer en compte, on a pu le voir avec le Mariage pour Tous et le débat sur l'austérité. 

Thomas Guénolé : Il faut se garder de surinterpréter les sondages. Si 54% des Français sont pour un changement de Premier ministre, cela signifie juste qu’ils sont pour …un changement de Premier ministre. Il faut faire appel à d’autres sondages pour voir pourquoi. Cela étant, François Hollande aurait intérêt à changer effectivement de chef du gouvernement, car Jean-Marc Ayrault, faute de pugnacité, de charisme, et de consistance politique qui lui soit propre, ne sert pas de bouclier à la popularité présidentielle.

À cet égard, même si elle est aujourd’hui un outsider dans la course à Matignon parce qu’elle n’est pas membre du PS, je pense qu’après le vote du mariage gay, le meilleur choix serait Christiane Taubira : elle remplit les trois critères pour être un bon bouclier, et sans avoir de divergences avec la ligne politique de l'Elysée.A contrario, Manuel Valls, seul socialiste de droite connu, serait le pire choix possible : il est rejeté viscéralement par l'aile gauche du PS et par l'extrême gauche, et son piètre débat face à Marine Le Pen sur Mots croisés a montré que côté consistance il relève de la "bulle médiatique. " Quant aux autres candidats imaginables : Pascal Lamy est très peu connu des Français et a vécu en dehors du champ politique pendant des années, Pierre Moscovici est en danger dans l'affaire Cahuzac, Arnaud Montebourg ne défend pas la même ligne que François Hollande, Michel Sapin n'a pas le charisme pour servir de bouclier au président, et Martine Aubry a critiqué très durement François Hollande pendant la primaire socialiste.

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