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Manifs en pagaille et budgets à sec : les CRS au bord de la crise de nerf
©Reuters

Le blues des bleus

Plusieurs officiers font état d'un net ras-le-bol au sein des CRS, ces derniers faisant face à un manque de moyens humains alors qu'ils sont pleinement sollicités par les événements autour du mariage pour tous (encadrement des manifestations, protection des ministres...). Simple surmenage ou risque d'explosion ?

Atlantico : Manif pour tous, Notre Dame des Landes, protection renforcée des ministres, peut-on dire que les CRS sont actuellement au bord de la crise de nerf ? 

Mathieu Zagrodzki : Il est certain que les CRS sont actuellement sollicités sur plusieurs fronts mais l’on se rend compte en regardant l’histoire de France récente que ces compagnies ont été fortement mobilisées à plusieurs reprises depuis mai 68. Notre pays possède une très nette tradition de manifestations et de violences urbaines (CPE, mouvements sociaux…) qui m’incite à dire que la période actuelle est particulièrement exceptionnelle à ce titre. Sur la question des moyens il serait aussi exagéré de dire que les CRS souffrent d’un important problème de sous-effectif ou de sous-équipements. On compte ainsi en France 14 000 CRS auxquels s’ajoutent les 17 000 gendarmes mobiles dont la mission est similaire bien qu’ils soient moins connus du grand public. Il est évident qu’au sein de ces effectifs on trouve des unités qui ne sont pas directement dédiées au maintien de l’ordre en zone urbaine (CRS de montagne par exemple), mais dans les effectifs restent important dans leur ensemble, en particulier lorsque l’on y ajoute les effectifs de la police locale et de la DOPC (Direction de l’Ordre Public et de la Circulation) sur les gros évènements (émeutes, défilés…). On peut ajouter que le temps passé sur des missions de maintien de l’ordre est de moins de 10% pour les CRS, ce qui sous-entend qu’ils sont loin d’être débordés par ce type d’activité.

Les récents évènements, autour du mariage pour tous notamment, ont mis la police sur le devant de la scène et l’ont surtout exposé à une forte pression. Les policiers en sont logiquement amenés à râler mais il s’agit selon moi de la réaction naturelle de tout corps de métier face à une situation prenante. La frustration et le surmenage actuel sont bien réels mais il ne s’agit pas d’une phénomène particulièrement inhabituel.

Jean-Claude Delage : Concernant l'état d'esprit des gradés et gardiens affectés en CRS et le manque de moyens humains, il l est évident que la diminution des effectifs au sein des CRS a participé à compliquer le travail de ces spécialistes du maintien et rétablissement de l'ordre sur le terrain. Ainsi , alors que le nombre de missions est reste stable (mais important) l'effectif opérationnel, sur les unités de maintien de l'ordre au sein des compagnies, à diminué. Il est évident que cette situation génère des tensions et pèse sur le moral des troupes. La charge de travail qui pèse sur chaque agent est donc plus grande. C'est la hausse de la fréquence d'emploi qui pose problème et cela risque d'épuiser moralement et physiquement les troupes, même si celles-ci sont particulièrement volontaires et disponibles.  

Autre élément qui provoque un réel malaise au sein des compagnies républicaines de sécurité : le management archaïque. Méthode de commandement inadaptée à ces unités constituées dans lesquelles l'esprit d'équipe, la cohésion du groupe et la solidarité sont des valeurs indispensables au bon déroulement des missions. Aujourd'hui le management "en gants blancs" éloigné de l'humain gagne du terrain  au détriment d'un commandement à visage humain ,proches des grades et gardiens. Ce commandement du "je décide tu exécutes " est fortement préjudiciable au bon fonctionnement du service et risque de provoquer à très court terme une vraie cassure entre la base et la hiérarchie dans ces unités opérationnelles. Le risque existe ailleurs mais dans ces unités la tension est vraiment palpable. Alliance dénonce sans relâche ces faits sans que cela ne touche particulièrement les hautes autorités policières mais jusqu'à quand ...?

Manuels Valls avait déjà du faire face à une première fronde des CRS en septembre dernier alors qu'il venait d'allonger la durée des missions en zone sensible d'une semaine. Quelle est aujourd'hui l'opinion des CRS face à leur ministre ? S'est-elle améliorée depuis ?

Mathieu Zagrodzki : Je n’aurais pas de réponses précises sur les CRS mais de manière générale on peut dire que le nouveau ministre de l’Intérieur a su se forger une bonne image dans la police, et ce pour plusieurs raisons. Il représente tout d’abord, aux yeux des forces l’ordre, une gauche somme toute réaliste sur les questions de sécurité et capable d’apporter des réponses fortes face à la délinquance. Il a par ailleurs su se forger une expérience concrète lors de son mandat à la mairie d’Evry, où il a été à plusieurs reprises au contact des forces de sécurité. Il fait partie de l’une des rares personnalités de gauche capable de faire passer des réformes tout en préservant l’intérêt des policiers sur certains sujets (notamment l’affaire du récépissé lors des contrôles d’identité, NDLR). Enfin il s’est positionné très tôt contre la politique des quotas, signe qui a été bien reçu.

Jean-Claude Delage : M. Valls est aujourd'hui un ministre apprécié car son discours de fermeté et de soutien aux policiers, donc aux CRS, est perçu comme une marque de soutien et de confiance. Les CRS sont républicains et obéissent aux instructions données. Cependant, les dernières mesures annoncées, telles que le port du matricule sur la tenue où la possibilité offerte à ceux qui n'ont de cesse que de critiquer la police de saisir sur internet l'IGPN, risquent de lui faire perdre ce crédit que lui accorde depuis un an les policiers. Cela risque d'être malheureusement irréversible.

Le budget du ministère de l'Intérieur a été l'un des rares à être relativement épargné pour l'année 2013 avec une hausse de 1.1%. Les récents événements amènent-ils à penser que cette hausse est cependant insuffisante ?

Mathieu Zagrodzki : La France n’a pas de problème de sous effectifs sécuritaires sur le plan du chiffre. La police et la gendarmerie totalisent chez nous 220 000 personnes rien que dans le service actif (administration mise à part) ce qui fait que notre ratio policier / habitant est l’un des plus élevé du monde occidental, devant l’Angleterre et les Etats-Unis. Le vrai souci porte sur l’utilisation et la répartition des moyens. En France les policiers s’occupent de toutes les tâches de sous-traitance (prise d’appels, réparation automobile…) qui sont ailleurs confiées à des civils. Cela nous vient de l’idée que ces tâches doivent être confiées à des professionnels capables d’assurer ces fonctions au mieux. Néanmoins cette conception empêche de libérer des moyens budgétaires et humains pour les replacer sur d’autres lieux.

Jean-Claude Delage : Concernant le budget, il est clair qu'en cette période très tendue, une légère augmentation du budget est plutôt une bonne nouvelle. Mais les besoins, particulièrement en termes de moyens de fonctionnement, sont immenses et cette avancée demeure insuffisante. En effet, de nombreux services de police sont au bord de la rupture lorsque l'on parle de véhicules, de carburant ou simplement de papier pour imprimer les procédures ! Il est vrai que l'argent qui va être dépensé pour créer un matricule sur les tenues aurait pu servir plus utilement aux fonctionnement des unités !

De manière plus générale, le climat au sein des forces de l'ordre est de plus en plus délétère. Sommes-nous face à une tendance lourde ou s'agit-il d'un phénomène passager lié au contexte actuel ?

Jean-Claude Delage : Il est évident que le malaise est perceptible même s'il ne s'exprime pas dans la rue. Le management archaïque évoqué plus haut, l'absence de dialogue social sur les missions et sur les structures, la création de nouveaux dispositifs sans moyens supplémentaires telles que les ZSP, la stigmatisation des forces de sécurité, une politique pénale refusant de prendre en compte la réalité du terrain et la difficulté extrême du travail policier, des reformes inexpliquées et inutiles (fermetures de commissariats de police), l'absence de perspectives claires sur les carrières etc ... Sont des éléments négatifs qui aggravent ce mal-être policier et peuvent provoquer à court terme une réaction du corps policier. Réaction ou simplement démotivation ! Ceci aura forcément des conséquences importantes sur la sécurité des Français.

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