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Qui de la France ou de l'Allemagne joue le jeu le plus dangereux pour l'Europe ?
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Germanophobie

La diffusion d'un texte du PS sur l'Allemagne ainsi que les propos tenus par Claude Bartolone à l'encontre de la politique menée par la chancelière Angela Merkel suscitent de nombreuses réactions, notamment à gauche.

Fabio Liberti

Fabio Liberti

Fabio Liberti est Directeur de recherche à l’IRIS, chargé du suivi de divers aspects du fonctionnement et développement de l’Union Européenne. Il est également spécialiste de la vie politique italienne, notamment pour les questions économiques et de politique étrangère.

Il a récemment publié L’Union européenne vers la désintégration ? Comment le rêve européen pourrait tourner au cauchemar (in Année Stratégique 2012, IRIS)

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Atlantico : Plusieurs députés PS se sont insurgés ce week-end contre la politique d’Angela Merkel, le tout en appelant à une « confrontation » avec l’Allemagne sur la politique économique de l’Union Européenne. Peut-on dire néanmoins que la France serait à même de mettre en place des mesures plus efficaces que celles prônées par Berlin ?

Fabio Liberti : Je pense tout d’abord que l’idée d’une France qui dicte la ligne de politique économique aux autres Etats membres de l’UE est simplement irréaliste. Le couple franco-allemand est désormais de plus en plus déséquilibré avec un leadership économique nettement en faveur de l’Allemagne. Pour ce qui est de la France, on peut dire que François Hollande et ses équipes ont eu le mérite de développer la bonne analyse de la situation lorsqu’ils ont invoqué des politiques en faveur d’un retour de la croissance et une mutualisation des dettes souveraines plutôt que la poursuite à outrance de politiques d’austérité. Il y a néanmoins un gouffre entre le fait d’avoir raison en théorie et le fait d’être à même de mettre en place une politique donnée. On peut dire ainsi que le Président de la République a déjà commis plusieurs erreurs de son côté. La première d’entre elles ayant été d’avancer l’idée lors de la campagne électorale qu’une renégociation du Pacte de stabilité européen était possible. Nous avons bien vu par la suite que cette option était irréaliste. Dans un autre registre on peut évoquer le fameux Pacte pour la croissance porté par Hollande, présenté comme révolutionnaire et qui ne comportait en réalité aucune dépense nouvelle, ou encore le fait d’avoir accepté la négociation d’un budget européen au rabais. La France est évidemment un pays important au sein de l’Union Européenne mais elle est très loin d’être toute puissante, ni à l’abri de tout reproches.

Le fait que plusieurs parlementaires de l’Hexagone appellent à un leadership français pour contrer le leadership allemand ne prouve-t-il pas en soi que l’on a encore du mal à se faire au principe de consensus européen, forcément nécessaire pour imposer des politiques de redressement ?

Qu’il n’y ait pas de consensus européen, c’est un fait et la France n’est pas isolée, même si elle est entourée principalement par les pays ayant les plus grandes difficultés économiques et budgétaires. Mais l’idée d’un resserrement de l’étau budgétaire a fait son chemin au sein même de la Commission, comme le prouvent les déclarations récentes de M. Rehn, commissaire aux affaires économiques et monétaires, ou le délai supplémentaire accordé à l’Espagne pour respecter le fameux 3% de déficit. Mais il est hypocrite de la part de la France d’appeler à davantage de solidarités, comme le fait l’actuel gouvernement, en s’affranchissant des règles européennes. De parler d’intégration solidaire en rejetant les propos allemands lorsqu’ils invoquent une « Union Politique ». La vraie question à se poser est selon moi celle de la résolution des blocages actuels. L’Allemagne ne semble pas prête aujourd’hui à assumer un leadership politique, en plus de son leadership économique. Mme Merkel ne réalise pas la pédagogie nécessaire à l’encontre de son opinion publique par rapport aux bénéfices de l’intégration européenne. En parallèle, François Hollande et les socialistes restent paralysés par le syndrome de 2005 et le non au référendum qui a créé une véritable faille idéologique au sein du PS. La question du consensus européen est par conséquent aussi clivante au sein des nations qu’à l’échelle transnationale, ce qui explique la difficulté de son instauration.

Cette division croissante du couple franco-allemand est-elle nocive ou peut-elle à l’inverse devenir productive pour l’Union Européenne en débouchant sur une « troisième voie » ?

Ce qui est surtout inquiétant c'est de voir que l’état de la confiance des citoyens européens à l’égard de leurs institutions est absolument pitoyable. Le sentiment anti-européen atteint des records et il est important en conséquence de trouver un moyen de relancer la croissance sans pour autant aggraver significativement les dettes publiques. Cela ne pourra, à mon avis, être possible qu’à travers une refondation de l’intégration, passant par l’instauration d’un véritable budget européen tourné vers la croissance, ce qui impliquerait des réductions des dépenses et des pouvoirs des gouvernements nationaux. Comme je vous le disais plus haut, cela ne pourra être envisageable qu’à une seule condition : à savoir l’instauration d’un leadership politique, en Allemagne notamment, qui n’existe pas à l’heure actuelle.

Angela Merkel fait face aux élections législatives de septembre et dans ce contexte elle caresse ses électeurs dans le sens du poil. Cela passe par une réaffirmation du sérieux budgétaire et la défense du leadership économique allemand, le tout permettant de solidifier la base électorale de la Chancelière. La France est par conséquent « victime » de cette rhétorique, tout comme l’Allemagne a pu elle-même être victime de la rhétorique électorale française lors de la campagne de 2012. Il faut espérer néanmoins qu’aux lendemains des élections législatives allemandes les deux états-moteurs de l’UE réussiront de nouveau à travailler ensemble pour renouer le lien entre les élites européennes et les peuples européens.

Le principal problème, au-delà de ce débat sur le leadership et la politique économique, n’est-il pas finalement celui du manque d’imagination des élites européennes qui restent bloquées dans le traditionnel débat croissance/austérité ?

Effectivement, mais il s’agit aussi et surtout d’un problème de courage politique. Que l’UE passe une période de crise n’est pas nouveau. Mais on ne voit pas du tout la fin du tunnel. Aucune idée ou perspective ne se dégage des leaders européens qui puisse permettre de redonner de l’espoir aux opinions publiques. Entre la maison de redressement et l’accumulation des dettes, il y a de la place pour une intégration politique et économique concrète et non pas incantatoire, passant par la mutualisation des dettes à l’échelle européenne comme le proposait F. Hollande, mais aussi par une plus grande intégration politique.

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