Budget de l’armée sous tension : faut-il sauver le soldat français ? <!-- --> | Atlantico.fr
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34 000 emplois seront supprimés d'ici 2019.
34 000 emplois seront supprimés d'ici 2019.
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Livre noir

Le Livre Blanc de la Défense, publié hier, annonce la suppression de 24 000 postes au sein des différents corps d'armées. Bien que le scénario le moins "économe" ait finalement été retenu, plusieurs gradés dénoncent en privé les coupes annoncées, s’inquiétant d'un probable "déclassement stratégique" de la puissance militaire française.

Vincent  Desportes

Vincent Desportes

Vincent Desportes est un général de division de l'armée de terre française. Il vient de publier "La Dernière bataille de la France" (Gallimard).

 

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Atlantico : Alors que des réductions d'effectif ont été annoncées hier, dans quel état psychologique l'armée française se trouve-t-elle aujourd'hui ?

Vincent Desportes : N’étant plus dans l’armée française, je ne pourrais pas répondre directement. Ce qui est sûr néanmoins c’est que les militaires ont été largement engagés dans des opérations difficiles et qu’ils savent que l’outil de défense est à la limite de la rupture. Ces diminutions conséquentes, tant sur le personnel que sur les moyens, déboucheront logiquement sur un taux d’activité encore plus important alors que sur ce plan notre armée est à déjà à la limite de ce qu’elle peut supporter.

François Géré : Ce dégagement d’effectifs, pour important qu’il soit, a été entamé lors de la présidence de Nicolas Sarkozy et à l’occasion de la publication du Livre blanc de 2008. Je rappelle aussi que la critique fort sage publiée dans Le Figaro par le club « Surcouf » avait entraîné de brutales mesures répressives essentiellement d’intimidation mais humiliantes pour les armées. Plus récemment le ministre de la Défense à réussi à sauver le budget de la Défense pour 2014 mais l’on savait bien qu’il ne s’agissait que d’un répit. Le Livre blanc donne le « la » géostratégique et indique des orientations. Mais c’est la loi de programmation militaire qui, s’en inspirant plus ou moins,  prend les décisions touchant directement les ressources humaines et les systèmes d’armement.

Le climat psychologique n’est par ailleurs pas si mauvais. Le moral des troupes a été singulièrement rehaussé par le succès du Mali. Nos soldats se sont sentis affranchis des contraintes qui pesaient sur les opérations en Afghanistan dont on ne voyait pas la nécessité (voir à ce sujet l’excellente déclaration de l’ambassadeur Bajolet,  lors de sa sortie de fonction).

Peut-on dire que la "grande muette" est arrivée à saturation ?

Vincent Desportes : Je ne parlerai pas forcément de saturation mais il est vrai que l’institution de Défense est de plus en plus fatiguée par les coupes budgétaires et les restructurations qui lui sont imposées depuis plusieurs années. Ainsi les 24 000 suppressions de postes évoquées hier s’ajoutent à celles qui sont encore prévues par le livre blanc de 2008. Au total nous aurons ainsi 34 000 suppressions d'emplois d'ici 2019. Il n’est pas difficile d’imaginer que dans ce contexte le moral des troupes, déjà écorché par les fameux « bugs » du système Louvois n’est pas au plus haut. Demander dans un tel moment aux forces armées un effort budgétaires supplémentaire alors qu’elles sont déployées sur plusieurs théâtres d’opérations sera donc forcément mal vécu par ces dernières.

Un ancien officier des services spéciaux nous indiquait récemment (lire ici) que les questions budgétaires avaient fortement dégradé l'ambiance dans les armées et que des groupes d'officiers s'étaient constitués pour faire valoir leurs intérêts sur ce sujet. La grogne est-elle en train de gagner les armées ? Est-elle commune à toutes les armées ou chacun joue-t-il pour son camp ?

Vincent Desportes : Je n’emploierais pas le mot grogne, puisque la Défense se soumet toujours par définition aux requêtes de l’Etat. Il y a effectivement une fatigue croissante contre les réformes annoncées mais cette nuance est importante à préciser. Pour ce qui est du comportement des des différentes armées il est évident que ces dernières ont une tendance naturelle à défendre en priorité leurs pré-carrés, chaque armée ayant logiquement une vision de l’efficacité militaire qui lui est propre.

François Géré : C’est évidemment aller bien trop loin.  Je crois même que l’idée d’un refus d’appliquer les ordres n’est pas dans l’esprit de militaires qui, il convient de le rappeler, sont devenus depuis bientôt vingt ans des professionnels sous contrat. Il est évident que l’armée de terre paye le plus lourd tribut mais les autres armées ont été réduites de manière telle que l’on ne pouvait guère aller plus loin. En cas d’opération extérieure avec quoi transporter les troupes et leurs matériels terrestres si l’on ne dispose plus des moyens aériens et navals de projection ? 

Quelles sont aujourd'hui les milieux qui seraient les plus susceptibles de contester les arbitrages sur le Livre Blanc ?

Vincent Desportes : Personne ne contestera ces décisions puisqu’elles sont forcément édictoires. L’armée est au service de la Nation, incarnée par le président de la République quel qu’il soit, et le choix de commenter telle ou telle décision ne lui appartient pas. Il est probable que l’armée possède une vision plus ambitieuse de la France que celle qui est proposée dans le Livre Blanc, mais elle s’y soumettra. Le vrai problème pour l’Etat est plutôt du côté des conséquences qui déboucheront de la diminution de ses investissements dans l’industrie de défenses. Le Livre Blanc rappelle ainsi que 165 000 personnes travaillent dans l’industrie de défense et que la balance commerciale du secteur est largement excédentaire. La nette baisse des commandes de l’Etat débouchera donc logiquement sur de nombreuses suppressions d’emplois, la fermeture de sites industriels et de PME liées à cette industrie. La décision n’est donc pas contestée, ni contestable, mais il est clair qu’elle n’en sera pas pour autant indolore : sur le plan de la balance commerciale, ou encore celui de la bonne santé du tissu industriel, ses décisions sont particulièrement néfastes

François Géré : Il ne servirait à rien de contester le Livre blanc dès lors que la réalité passe comme je l’ai indiqué par la mise au point de la loi de programmation. Il serait difficile pour les industriels de l’armement de monter une fronde. Ils sont  les premiers responsables d’un considérable gaspillage : allongement des programmes, hausse des coûts, incohérence des spécifications ; pour ne rien dire de l’export. Bref, l’A 400 M conçu il y a vingt cinq ans n’est toujours pas au rendez-vous opérationnel et la vente du Rafale  à l’Inde  prend l’eau… après les ratés des EAU et du Brésil.

Y a-t-il moyen de redresser le moral de nos troupes ?

Vincent Desportes : Je crois qu’il est important de réduire l'impact de nos militaires des réductions prévues par le Livre Blanc qui sont à l’heure actuelle très sévères pour certaines (dissolutions de garnisons…). Il faudra espérer que ces évolutions à la baisse se feront avec le moins de perturbations possibles pour les militaires, ces derniers ayant déjà été fort malmenés par les décisions précédentes.

François Géré : Les esprits ont besoin de retrouver des fondements assurés. Des missions claires, une stratégie cohérente et le sentiment d’une cohérence entre les buts stratégiques de la France et les missions assignées à ses forces.  Encore une fois, ce n’est pas une question de taille ni de crédits mais de sens de l’efficacité et de l’ajustement des moyens au regard de l’impérieuse nécessité des missions. Avec des effectifs limités et des moyens strictement ajustés la France est parvenue à cela pour fonder durablement sa stratégie de dissuasion nucléaire.  On est prêt à donner sa vie dès lors que l’on sait vraiment pourquoi. Dans les armées, comme ailleurs. C’est une question de psychologie, certes ; mais la perception est fonction de l’étroite relation entre le but et les moyens. Si cette relation devient incertaine comment croire à ce que l’on fait ? Et comment le faire ?

Propos recueillis par Théophile Sourdille 

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