Faut-il écouter Lakshmi Mittal quand il affirme que l’Europe ne pourra pas sauver sa compétitivité sans renforcer ses barrières douanières ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les entreprises françaises supportent par rapport aux allemandes un supplément de charges fiscales de 8% du PIB.
Les entreprises françaises supportent par rapport aux allemandes un supplément de charges fiscales de 8% du PIB.
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Changement de cap ?

Le 17 avril dernier, Lakshmi Mittal était auditionné par la commission d'enquête sur la sidérurgie à l'Assemblée nationale. Le PDG d'ArcelorMittal avait notamment plaidé pour plus de protectionnisme en Europe. "Il faut que l’Europe renforce ses barrières douanières comme les USA l’ont fait sinon vous serez envahis par des produits moins chers", déclarait-il. Le débat est relancé.

Gérard Lignac

Gérard Lignac

Sciences Po, Droit, MBA Harvard, Gérard Lignac a d'abord fait carrière dans l'industrie, puis dans la presse comme Président de l'Est Républicain et Président du groupe EBRA.

Il est également actionnaire d'Atlantico.

Il a écrit La mondialisation pour une juste concurrence (Unicom, 2009).

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Si tout le monde est d’accord sur la nécessité d’améliorer la compétitivité, on n’en distingue généralement pas les deux niveaux : entre pays à l’intérieur de l’Europe, où tout est possible, et entre l’Europe et la Chine, où la différence des coûts de main d’œuvre crée un déséquilibre concurrentiel insurmontable pour quelques décennies encore.

Avec le chômage, les caisses de l’État en basses eaux, et des déficits records, la France et plusieurs États européens se trouvent en face de la délicate et indispensable mission où rétablir les comptes se conjugue avec relancer l’économie, l’un n’allant pas sans l’autre, sous peine d’échec et de graves troubles sociaux. En nous en tenant tout d’abord au cas de la France, examinons ce qui paraît être les clés du succès.

Le gouvernement demande avec raison que tout le monde s’y mette : gouvernement, administrations, entreprises, syndicats, mais c’est au niveau des entreprises que la partie se jouera. Ces dernières ont "besoin d’air" comme le dit Yvon Gattaz, règlementairement comme financièrement. Il appartient au gouvernement de créer des conditions favorables dans ces deux domaines.

Un point doit attirer en particulier son attention. Les entreprises françaises supportent par rapport aux allemandes, un supplément de charges fiscales de 8% du PIB, soit la "paille" de 160 milliards d’euros par an : les 20 milliards d’aides prévues par le gouvernement, font pâle mine à côté. Leurs marges s’en trouvent réduites d’autant pour investir. L’idéal serait de gagner ces 8% entièrement par des économies sur le fonctionnement de l’État. A défaut, par des transferts de charges comme une augmentation de la TVA.

Le recours à la monétisation auprès de la BCE est un autre moyen de financement. Il a évidemment ses limites mais est indispensable comme stimulant économique et comme compensation à l’effet déflationniste des mesures de diminution des dépenses de l’État. Ceci semble avoir été bien compris par les autorités responsables, à travers il est vrai un mécanisme que le passage obligé par les banques rend bien inutilement onéreux.

Les dévaluations monétaires restent un recours ouvert aux 10 membres de l’UE, dont l’Angleterre, restés en dehors de la zone euro. Pour les 17 autres, la sortie de l’euro poserait autant de problèmes qu’elle en résoudrait. Peut-être qu’une solution consisterait à dévaluer tout en restant accroché à l’euro, de façon à garder un abri contre les inévitables manœuvres des marchés sur les monnaies faibles.

Enfin, pour redonner à l’Europe une croissance d’au moins 1%, il est indispensable de remédier à la concurrence déséquilibrée – un véritable jeu de massacre –  exercée par la Chine depuis 20 ans. Que ce pays soit la deuxième puissance économique du monde ou la première n’est pas en soi le problème. Le problème est dans sa presque invincible force de pénétration sur les marchés internationaux. N’a-t-on pas vu le PIB chinois passer de 4% du PIB mondial en 2001 à 20% en 2011, en dix années ? Le déficit de l’Europe des 27 sur les échanges avec la Chine s’est élevé en 2011 à 156 milliards d’€, soit 1,3% du PIB européen. Et cette ponction dure depuis la chute du mur de bambou en 1990. Textile, chaussures, téléphonie, petit électroménager, électronique grand public, des pans entiers d’industrie ont ainsi disparu des fabrications européennes. Maurice Allais chiffrait dès 1999 à 60% des causes de chômage en France les délocalisations vers la Chine.

L’ouvrier et le paysan chinois sont les trésors de ce pays. Courageux, méticuleux, héritiers de trois millénaires d’artisanat raffiné, ils coûtent à l’employeur 10 à 20 fois moins qu’en Europe Occidentale. En d’autres termes, ce qui revient à 100 en France, revient à 10 ou 5 en Chine, suivant la province concernée. La Chine vit il est vrai des mouvements sociaux qui se terminent par des augmentations de salaires. Mais l’écart actuel de niveau avec l’Europe est tel qu’il faudra mathématiquement au moins 25 ans avant qu’il soit à peu près résorbé. 20% d’augmentation sur 5, pour reprendre l’exemple précédent, ne fait toujours que 6, nous laissant bien loin de la zone de rattrapage.

Curieusement, les gouvernements des pays occidentaux s’obstinent à sembler ne pas apercevoir l’impact de cette situation. Excès de prudence, survivance de l’idée de la prédominance passée de l’Europe, chemin de la facilité, foi aveugle dans le libre-échange, suivisme de certains voisins, pression de quelques grands intérêts privés, il y a sans doute un peu de tout cela. A part quelques critiques sur la politique monétaire chinoise, qui n’est que l’écume du problème, rien ne se passe. La Chine peut même prélever des droits de douane assez élevés sur à peu près toutes les importations dans le pays pour consolider des avantages déjà décisifs, personne n’en parle jamais, tandis que l’Europe reste complaisamment ouverte à tous les vents. Les déficits et les dettes s’y accumulent, la croissance est arrêtée, le niveau de vie en général en passe de baisser, les investissements découragés parce que remis en cause faute de perspectives d’amortissement à travers une commercialisation rentable : aucune facilité de crédit, même de la BPI, ne pourra lever cet obstacle majeur. On se contente toujours de s’en tenir à des analyses et à des remèdes d’il y a 30 ans, et à se féliciter des quelques exportations qui nous restent pour le moment, comme le luxe, l’aéronautique ou le nucléaire.

"L’industrie textile française est prête à la mondialisation", titrait il y a quelques années un article du Figaro : il n’y a plus de fabrication en France mais il reste la conception ». Comme Bruxelles, l’auteur de cet article ne regardait que l’intérêt des consommateurs, sans se soucier des producteurs, seuls créateurs de richesse.

L’automobile avec son caractère de production de masse et de séries, est à l’évidence la prochaine cible de la Chine. Des usines – chinoises ou étrangères – se construisent dans ce pays, à grande cadence. Que se passera-t-il quand ce gigantesque marché de 20 millions par an subira un ralentissement, ce qui est inévitable ? N’écoulera-t-on pas le surplus vers l’Occident tant qu’il y restera du pouvoir d’achat ?

Clairement l’aéronautique suivra, puis le nucléaire. Dans ce dernier domaine par exemple, on compte actuellement, inspirées des techniques françaises, dérivées elles-mêmes de la technologie « eau pressurisée » de Westinghouse, 29 réacteurs en construction en Chine. Parallèlement, un prototype d’avant-garde de réacteur à lits de galets, avec refroidissement à l’hélium-graphite au lieu d’eau, est en construction à grands frais. La Chine ne cache pas son ambition de devenir le principal constructeur et exportateur au monde en technologie nucléaire.

Les dilemmes que confronte l’Europe

Accroître la compétitivité pour tenir tête à la Chine supposerait finalement une diminution des rémunérations en Europe Occidentale de l’ordre de 50%. Il est peu probable que nos populations soient prêtes à le supporter.

Si on ne le fait pas, la crise s’approfondit, l’économie sombre petit à petit et l’on retrouve le chaos social que l’on veut éviter.

Sortir de l’euro et dévaluer, provoque un isolement contraire à toute l’évolution actuelle des échanges mondiaux et la menace de chaos n’est pas non plus écartée. Dévaluer à l’intérieur du système monétaire européen paraîtrait déjà plus raisonnable mais ne résout pas non plus le problème de fond.

Toutes ces solutions auraient peut-être le mérite d’apporter une bouffée d’air frais, mais présentent l’inconvénient de ne pas s’attaquer au problème que nous avons posé de rééquilibrer le commerce de l’Europe avec la Chine. Actuellement, la concurrence internationale est régie par l’OMC, organisme, on le sait, complètement privé, dont la mission statutaire est mono focalisée, puisqu’elle se limite à réduire progressivement les droits de douane avant de les supprimer, sans prendre aucune considération des situations des parties prenantes.

Pourtant, plus ancienne, moins mécanique et plus humaine, entendant tempérer la concurrence par la coopération entre les nations, une convention dite de La Havane, émanant des Nations Unies, avait été signée en 1948. Elle ne fut pas ratifiée par le Congrès américain et fut remplacée par le GATT puis par l’OMC. Elle prévoyait entre autres que soient prises toutes mesures appropriées afin de corriger pendant le temps voulu, les déséquilibres durables apparus dans le commerce international. Dans cette optique, la Chine a pu dans un premier temps être légitimement considérée comme un pays sous-développé qu’il fallait aider. Par son extraordinaire puissance concurrentielle d’abord, devenue logiquement ensuite également financière, ce pays courageux et laborieux a aujourd’hui pleinement atteint sa majorité et les règles communes doivent lui être appliquées. Des droits de douane simplement compensateurs – c’est une question de niveau – et révisables, négociés, autant que cela dépendrait de nous, avec lui avant toute mise en œuvre, bien entendu au niveau européen, répondraient à la nécessité de redonner à chacun ses chances et de permettre l’indispensable relance économique de l’Europe. Nous avons dans un article précédent exposé les modalités d’un tel système. Protectionnisme, diront certains. Mais c’est concurrentialisme qu’il faudrait plutôt dire, car c’est de rétablir la concurrence qu’il s’agit et non pas de l’éliminer.

Les entreprises qui délocalisent aujourd’hui, souvent par nécessité pour assurer leur survie, ne peuvent être blâmées, poussées qu’elles sont par le libre-échange intégral ambiant. C’est aux États, et à eux seuls, qu’il appartient d’apporter au système les amendements nécessaires, dans le cadre renouvelé de l’égalité des chances.

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