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Quels signes le gouvernement doit-il (et peut-il) envoyer à sa majorité pour endiguer la fronde ?
©Reuters

Je vous ai compris

Le chef de file des sénateurs Europe Ecologie-Les Verts (EELV), Jean-Vincent Placé, a appelé à la désobéissance civile face à un Président dont "plus personne, même parmi le gouvernement, ne soutient la ligne".

David Valence

David Valence

David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005. 
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique. 
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.

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Atlantico : "Il y a un devoir de désobéissance. Il faut avoir de la dignité et de l'honneur, respecter ses engagements et ne pas accepter ces oukases qui viennent d'en haut". Jean-Vincent Placé appelle les députés socialistes à la désobéissance face au refus par le gouvernement du projet d'amnistie sociale. "Je dis aux députés PS : on ne peut pas obéir aux ordres les plus idiots", a  lancé le chef de file des sénateurs Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Jean-Vincent Placé a par ailleurs ajouté que "plus personne, même parmi le gouvernement, ne soutient la ligne du président de la République". Ce constat vous semble-t-il fondé ?

David Valence : Pour soutenir une ligne, il faut la comprendre. Or, François Hollande a fondé sa victoire du 6 mai 2012 sur une double négation, qui ne définit pas une ligne claire mais plutôt un refus de choisir : ni austérité, ni fuite en avant budgétaire. Cette ambiguïté lui a permis de l'emporter sur Nicolas Sarkozy, qui était un candidat d'affirmations, le candidat de l'austérité et de l'identité. Faute d'avoir tranché sur ce qu'elle voulait vraiment pour le pays avant 2012, et tout simplement faute d'avoir réfléchi avant l’élection présidentielle à ce qu'elle comprend du monde et veut pour la France, la gauche hexagonale est condamnée à connaître d'incessants déchirements.

Quels signes concrets le gouvernement doit-il (et peut-il) envoyer à sa majorité pour mettre fin à la fronde ?  De quelle marge de manœuvre François Hollande dispose-t-il ?

Elle est très étroite, car un pays qui emprunte et dont la crédibilité sur les marches est largement indexée sur celle de l'Allemagne ne peut pas se permettre le luxe d'un désaccord avec son propre voisin. Ce qui signifie que la France est contrainte d'ajuster progressivement sa vision économique a celle de l'Allemagne, ou d'espérer que cette dernière abaisse ses exigences d'austérité pour les pays très endettés.

Quels sont les moyens dont use un pouvoir de gauche modérée  pour amadouer la gauche radicale ? La hausse du SMIC, la hausse des salaires dans la fonction publique, la multiplication des contrats aidés, le lancement d'une politique de grands travaux ou l'augmentation des impôts pour les très hauts revenus ou les patrimoines les plus importants. Trois des armes de cet arsenal vont être utilisées par le gouvernement dans les mois qui viennent, à travers la hausse des salaires pour certains fonctionnaires (les instituteurs en particulier), l'assouplissement des critères d'admissibilité pour les emplois d'avenir et le rétablissement d'une nouvelle taxe dite des "75%" qui, même rabotée, séduira peut-être la gauche "radicale". Mais pour combien de temps? En donnant ainsi des gages budgétivores à l'aile gauche de sa majorité, le pouvoir va prolonger un peu plus l'ambiguïté qui caractérise son action depuis un an.

François Hollande doit-il renoncer à certaines mesures impopulaires auprès des députés à commencer par la publication du patrimoine décriées par Claude Bartolone ?

Le système médiatique est ainsi fait que nous sommes déjà passés a autre chose. L'affaire Cahuzac aura certes des effets durables dans l'opinion, mais l'encadrement des conflits d'intérêts est sans doute plus important et plus ambitieux. Les parlementaires le font observer à juste titre. Mais sur ce terrain, le président de la République ne peut céder. Il se dirait alors, en France et a l'étranger, que le président de la République recule devant le président de l'Assemblée nationale. Sauf a souffrir un ridicule définitivement  mortel pour son autorité, François Hollande ne peut reculer sur cette question de la moralisation de la vie politique.

Jean-Vincent Placé insistait sur l'importance de s'atteler aux vraies réformes (relance, logement, politique sociale). Cela pourrait-il suffire, ou cela sera-t-il matière à de nouvelles divisions ?

Une politique aussi budgétivore que celle évoquée par Jean-Vincent Placé ne manquerait pas de soulever des critiques chez les socialistes les plus rigoureux et les plus européens. La majorité se rétrécirait au centre gauche pour un bénéfice discutable...

Dans une interview accordée au journal Le Monde, le président de l’Assemblée Nationale dispense ses conseils à l’exécutif : "il est temps de tirer les leçons pour envisager le nouveau temps du quinquennat". Sur le plan de la stratégie politique, il faut, explique-t-il, ressouder les liens distendus entre l'exécutif et les partis de la majorité, les socialistes mais aussi les communistes et les écologistes. Cela peut-il passer par un remaniement ?  Dans ce cas, le président de la République  doit-il ouvrir encore davantage sa majorité comme le préconise Bartolone ou opter pour un gouvernement resserré ? Le maître du perchoir est-il un candidat crédible pour Matignon ?

Il faut surtout mettre au point une méthode de travail et de concertation satisfaisante au sein du gouvernement et au-dehors. Et sortir de l'ambiguïté sur la ligne politique, toute en "ni, ni"! Bref, il faut assumer de gouverner. La question du nombre de ministres est tout-a-fait anecdotique. On entend ces refrains sur la nécessité d'un "gouvernement resserré" chaque année ou presque ! Quant à M. Bartolone, il ne conduirait pas, une fois au pouvoir, de politiques différentes de celle souhaitées par Jean-Marc Ayrault !

Le risque de rupture avec l’aile gauche du PS existe-t-il ?

Oui, mais le PS est d'abord un parti d'élus locaux, qui regarderaient à deux fois avant de prendre le risque de rompre avec le parti !

Existe-t-il des précédents dans l’Histoire de la Ve république  de conflits ouvert entre un gouvernement et sa majorité ?

La situation ressemble, en beaucoup plus grave, à celle du début de la Présidence Pompidou. Le Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, était alors plus a gauche que la majorité introuvable issue des législatives de 1968 ! Cela s'est terminé... Par une clarification de la ligne économique et sociale du pouvoir pompidolien et par un changement de Premier ministre...

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