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Rejet de l’anglais à l'université : défense de l’exception française ou réflexe archaïque des élites ?
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No way

Des voix s'élèvent contre le projet de loi sur l'enseignement supérieur, qui prévoit d'autoriser les universités et grandes écoles à dispenser des cours en anglais plutôt qu'en français.

William Genieys

William Genieys

William Genieys est politologue et sociologue. Il est directeur de recherche CNRS à Science-Po.

Il est l'auteur de Sociologie politique des élites (Armand Colin, 2011), de L'élite politique de l'Etat (Les Presses de Science Po, 2008) et de The new custodians of the State : programmatic elites in french society (Transaction publishers, 2010). William Genieys est l’auteur de Gouverner à l’abri des regards. Les ressorts caché de la réussite de l’Obamacare (Presses de Sciences Po [septembre 2020])

Il a reçu le prix d’Excellence Scientifique de la Fondation Mattéi Dogan et  Association Française de Science Politique 2013.

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Marie Curie « réveille-toi » ! Tes héritiers déraisonnent. La référence à ton histoire – toi grande figure de la recherche française, pour laquelle on créa jadis le statut de Maître de conférences car ta nationalité d’origine ne t’autorisait pas à intégrer le corps des Professeurs d’Université – permet d’éclairer sous un autre angle le débat qui remue certains cercles universitaires relayés par l’Académie Française pour dénoncer avec vigueur la réforme du passage de l’université française au « tout à l’anglais ».

Ce sont en partie les mêmes ressorts cachés de l’élitisme à la française – à la notable exception de l’antiféminisme – que l’on retrouve au fondement de cette prise de position. Les défenseurs de langue nationale à l’Université réinventent le même répertoire de légitimation qui au fond n’a pas beaucoup évolué depuis l’avènement des élites républicaines.

L’élitisme culturel : le monopole de la langue française comme alibi

Tout d’abord, il convient de rappeler la dimension bicéphale de l’enseignement supérieur français : les grandes écoles et les universités. Les premières nommées sélectionnent les élites dont l’État à besoin alors que les secondes forment le reste des citoyens. Si la langue française est depuis les origines de la République celle dans laquelle doivent être obtenue nos diplômes d’État (le doctorat d’État – abandonné depuis 1983 – trônant au sommet de l’échelle des valeurs de notre « haute culture » pour reprendre l’expression du célèbre anthropologue anglais Ernest Gellner), au soir du siècle dernier le monopole de la langue française a été écorné de façon subreptice à tel point qu’aujourd’hui, le système de formation du supérieur est un Janus avec une tête bilingue.

D’un côté, les institutions où l’on pratique la sélection par la langue anglaise et que l’on normalise par des séjours à l’étranger inclus dans le cursus. On est dans la cours des grandes écoles historiques, les écoles commerce et de management, Science Po Paris et quelques « écoles » ancrées dans l’Université telles que la Paris School of Economics ou encore la Toulouse School of Economics. Ces dernières partagent l’idée selon laquelle la pratique de la langue anglaise a au moins deux vertus : mieux former à l’étranger des étudiants français susceptibles d’importer leur savoir faire appris ailleurs, d’une part, et attirer en France des étudiants étrangers de bon niveau qui suivront une partie de leur programme en anglais et apprendront en retour le français, de l’autre.

De l’autre, la majorité des universités françaises, ou à des rares exceptions les diplômes anciennement d’État et aujourd’hui d’Université restent « encore » majoritairement cloîtrées dans la langue française, même si dans un grand nombre de disciplines des sciences dures – à commencer par la médecine – l’anglais a fini progressivement par s’imposer bon gré, mal gré. Par ailleurs, depuis le processus de Bologne, la pratique « exceptionnelle » de l’anglais au niveau des master, des doctorats, des Habilitations à diriger des recherches (H.D.R.), hors des sciences « dures », c’est à dire en économie voire en science politique, connaît un certain essor.

Le projet de loi de Réforme de l’enseignement supérieur porté par Geneviève Fioraso propose de donner une base légale, potentiellement plus élargie à des pratiques de niche, en autorisant largement l’emploi des langues étrangères (i.e. l’anglais). Traduit par les universitaires de renom qui s’y opposent, cette tentative est stigmatisée comme passage au « tout à l’anglais », et par dérivation une marche forcée vers le néolibéralisme et la pensée unique.

La culture de l’élitisme : le rejet de l’anglais à l’université comme face cachée de l’élitisme

Nous voilà reparti dans la défense de la langue française, celle d’une République une et indivisible, porteuse d’une vision du monde émancipatrice et seule capable de résister à la langue du capitalisme mondialisé. Il est étonnant que l’on n’ai pas encore entendu les défenseurs des langues françaises minoritaires s’insurger contre cet idiome qui, à d’autres époques, fut celui de l’impérialisme et du colonialisme venu de Paris. Pourquoi ne pas également opposer les bons « notables du droit », entendu les élites de palais francophones, aux mauvais « Chicago boys », élites rependant les idées du consensus de Washington dans les jeunes démocraties ? Passons et dépassons ces lectures arrangées de l’histoire pour examiner les arguments de fonds qui se cachent derrière ce débat.

Le principal argument avancé concerne les étudiants étrangers qui ont pour obligation d’apprendre le français. Au terme d’un raisonnement qui a tous les dehors d’une logique toute cartésienne : c’est bien pour le français qu’ils viennent en France. Toutefois, l’argument ne tient pas si l’on vise le « grand » public étudiant, j’entends par là des étudiants « normaux » (ceux qui ne vont pas à Science po et Cie) qui viennent passer une année d’étude en France pour parfaire leur formation. Imposer le français parlé et écrit sur un an est une gageure, c’est d’ailleurs pourquoi la majorité des étudiants Erasmus passent des examens oraux et non écrits. Bien entendu, l’argument qui met en avant que les élèves chinois des classes prépas du lycée Louis-Le-Grand se débrouillant parfaitement en Français devrait être mis en balance avec les célèbres étudiants chinois ne parlant pas le français et ayant monnayé leur diplôme à l’Université de Toulon. Le seul argument de la défense du tout français recevable aurait dû être tout autre : à quoi sert-il d’apprendre une autre langue quand on est à l’Université et que l’on ne maîtrise déjà pas la sienne ? Mais, j’en conviens dire cela n’est pas politiquement pas correct.

La culture pour tous : sortir du subrepticisme en osant le bilinguisme

Donner la possibilité d’enseigner l’anglais est une nécessité aujourd’hui, notamment si l’on prend l’exemple des pays européens où le système universitaire s’est adapté à la réalité actuelle. Le cas du modèle suisse est peut être le plus pertinent, où le français dans sa partie romande cohabite intelligemment avec l’anglais à l’Université. Pourquoi alors ne penser au bilinguisme qui serait vertueux dans les deux sens pour les étudiants étrangers, aujourd’hui très majoritairement anglophones, mais également pour les étudiants français qui à leur contact seraient confrontés à l’anglais.

J’ai initié dans mon université un tel programme au niveau du master 2. Ce Master bilingue français-anglais est une réussite car il permet d’attirer des étudiants étrangers de tous horizons qui, en dépit de leur faible niveau initial, apprennent le français. La souplesse du bilinguisme doit permettre de tirer les uns vers la langue des autres, le principe de base étant que ce sont les étudiants qui choisissent librement la langue dans laquelle ils produisent leurs rendus écrits. Le seul problème – mais de taille – rencontré à ce jour est avec les services administratifs du Ministère de l’éducation nationale et de l’université qui refusent l’intitulé anglais du master parce que la loi les y oblige. Le bilinguisme reste aujourd’hui encore une pratique qu’il est, à l’image des maladies honteuses, interdit d’afficher.

Pour éviter le ridicule, il ne nous reste plus qu’à sortir de la culture de l’élitisme et apprendre à donner plus de possibilités de réussite aux étudiants normaux. Pas de crainte à avoir, car ils n’attendront jamais le cercle fermé des élites, mais au moins ils n’en seront pas définitivement coupés. Et qui sait, peut être une nouvelle Marie Curie sera attirée dans nos Universités.

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