Hong Kong Star : ce que révèle le succès persistant de la chirurgie plastique qui vise à occidentaliser les traits<!-- --> | Atlantico.fr
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De plus en plus d'opérations de chirurgie plastique sont pratiquées dans le but de "s'occidentaliser".
De plus en plus d'opérations de chirurgie plastique sont pratiquées dans le but de "s'occidentaliser".
©Reuters

Effet miroir

Les opérations de chirurgie esthétique pour ressembler à un occidental sont fréquentes : blanchissement de la peau, opération des yeux ou du nez.... De quoi cette forme d'uniformisation des profils est-elle le symptôme ?

Jean-François Amadieu - Jean-Paul Mialet

Jean-François Amadieu - Jean-Paul Mialet

Jean-François Amadieu est sociologue, spécialiste des déterminants physiques de la sélection sociale. Directeur de l'Observatoire de la Discrimination, il est l'auteur de Le Poids des apparences. Beauté, amour et gloire (Odile Jacob, 2002).

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V. Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes. Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques.

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Atlantico : De plus en plus d'opérations de chirurgie plastique sont pratiquées dans le but de  "s'occidentaliser" : opération pour débrider les yeux, pour blanchir la peau, affiner le nez... Cette tendance touche particulièrement les personnes voulant s'expatrier. Qu'est-ce que révèle cette volonté de ressembler aux occidentaux ?

Jean-Paul Mialet : L’Occident est un espace de liberté et d’aisance matérielle qui fait rêver. La France, notamment, représente le luxe et l’art de vivre ; mais c’est l’Occident  dans son ensemble qui offre des conditions d’accomplissement  personnel  exceptionnelles par rapport à ce que l’on peut espérer ailleurs. Ce n’est pas pour rien que tous les grands dirigeants de la planète confient leurs enfants à des universités occidentales. Cela pourrait suffire à donner envie de ressembler aux occidentaux en vertu de l’élan mimétique décrit par le philosophe René Girard,  qui pousse à vouloir ressembler à ceux qui nous font envie. Mais il y a plus : une tendance naturelle de l’être humain est de tenter d’échapper à sa condition en construisant des rêves et en mythifiant la vie des autres. C’est ce processus qui est à l’origine des stars. Dans la plupart des cas, cela reste superficiel. Mais dans certains cas, le mythe devient un sujet de fascination : on en adopte l’apparence, on s’y identifie plus ou moins profondément. Cette fascination s’exercera d’autant plus intensément que le besoin d’échapper à sa propre condition est très fort. 

Comme on sait, le monde est devenu un village, mais dans ce village règne la dictature des apparences : on s’y échange des images destinées à capter l’attention en choquant ou en plaisant. Dans ce spectacle planétaire, les paillettes de l’Occident brillent avec un éclat particulier. Avec des arrière-pensées commerciales, les occidentaux soignent la vitrine qu’ils exposent au reste de l’univers. Pour tous ceux qui vivent dans des conditions pénibles à l’écart de notre monde, l’Occident se prête à une idéalisation entretenue par les reflets de ce spectacle.  Le mode de vie occidental fait envie et se rapprocher de l’apparence d’un occidental est une manière de s’approcher de ce mode vie convoité. Certains se contenteront de s’habiller à l’occidentale. Mais puisque le bistouri peut tout, d’autres vont plus loin et  tentent de pousser le rapprochement jusqu’à une modification des traits du visage ou de la couleur de la peau.

Existe-t-il des risques psychologiques liés à ce type d'intervention qui vise à renier en partie ses origines ethniques ?

Jean-François Amadieu : Le problème est similaire à celui qu’on peut observer lors des changements de nom de famille ou de prénom dans le but de faciliter l’intégration. La personne concernée doit gérer une sorte de contradiction entre ce qu’elle continue d’être et d’apparaître, et ceux malgré les changements opérés, et ces origines profondes. Cela peut entraîner des difficultés, en particulier avec le milieu d’origine.

Jean-Paul Mialet : Le risque est double : la déception et la trahison. S’approprier l’apparence n’est pas s’inscrire dans une identité : il ne suffit pas de ressembler à un occidental pour en partager l’expérience, l’histoire et la culture. Le mimétisme peut même être ressenti comme un « faux »  qui éloigne de soi ceux que l’on a fait tant d’effort pour copier. D’un autre côté, ceux auxquels on tente d’échapper alors qu’ils  correspondent à sa communauté d’appartenance se sentent trahis. Il y a donc le risque de se sentir tricheur et traître, flottant entre deux identités sans être à son aise dans aucune, à la fois non adopté par celle qui attire et désormais rejeté par celle dont a voulu s’évader.

D'un point de vue psychologique, qu'est-ce que traduit cette envie d'uniformisation physique ? Voulons-nous tous nous ressembler ?

Jean-Paul Mialet : On notera qu’un grand nombre d’occidentales d’un certain âge, par crainte d’affronter les affres du vieillissement, finissent par se ressembler entre elles en confiant leurs traits à la chirurgie esthétique qui fait à toutes les mêmes lèvres épaissies par le silicone, le même sourire figé et les mêmes fentes palpébrales tendues par le lifting… Pourtant, nous ne voulons surtout pas nous ressembler : chacun d’entre nous aspire à être unique. Ces mêmes femmes qui acceptent de modeler leur visage de façon uniforme ne supporteraient pas de porter la même robe dans une réunion. En fait, nous sommes prisonniers d’une contradiction : nous souhaiterions tous disposer de l’arme absolue de la séduction – qui ne dépend pas que de facteurs naturels mais subit également  les effets de la mode du jour – mais nous voulons également  que cette séduction nous soit propre, qu’elle ne nous amène pas à renoncer à ce qui fait notre spécificité, qu’elle en soit même le prolongement.

Mettre un masque pour se sentir regardé, voire admiré, en tous cas accepté et reconnu en ayant ainsi le sentiment d’exister au milieu des autres alors qu’au fond, on se travestit, c’est le paradoxe auquel nous sommes tous plus ou moins contraint – et à un degré extrême, ceux qui décident d’adopter les traits propres à une autre ethnie et espèrent vivre mieux dans un autre monde en s’effaçant du leur.

Jean-François Amadieu : On observe une mondialisation de l’apparence, c’est la volonté de ressembler, nous pas à tous les autres, mais à ceux qui détiennent le pouvoir, la richesse et le « bon » statut social. On cherche à converger vers une apparence valorisée à un moment donnée. Aujourd’hui c’est la blancheur de la peau, la minceur, les traits occidentaux… On est face à un conformisme de l’apparence.

Quelle est la place du physique dans le processus d'intégration dans la société ? En quoi avoir un profil occidental est-il encore aujourd'hui un avantage ?

Jean-François Amadieu : On remarque que dans le visuel publicitaire du monde entier, le profil occidental est surreprésenté. Même quand les modèles sont adaptés au contexte local, avec des profils asiatiques, sub-sahariens, on retrouve néanmoins des traits communs qui sont par exemple : les peaux peu métissées, la forme des yeux, du nez qui ont tendance à converger vers des profils occidentaux.

Cet idéal de profil est également développé dans ce qui définit l’attirance physique. Encore une fois, on retrouve dans le marché matrimonial une minceur, une blancheur et une forme du visage occidentales. Actuellement, ce sont des standards internationaux.

De plus, l’apparence physique est primordiale dans le marché du travail. Cela est remarquable en France mais également dans les pays émergents ou les pays asiatiques. C’est de plus en plus courant de modifier son apparence physique pour des raisons professionnelles.

Il y a derrière cette tendance l'idée sous-jacente que changer de physique peut permettre de changer de vie. Qu'en est-il réellement ?

Jean-Paul Mialet : Force est de constater qu’il y a une prime à la beauté qui constitue une véritable injustice sociale. Ainsi, la beauté constitue un privilège pendant toute la scolarité : on a pu démontrer que les élèves au physique avantageux étaient mieux notés ; de même, les dirigeants qui ont un physique attrayant sont considérés comme plus compétents ; enfin, même lorsqu’il s’agit de juger un coupable, le physique intervient et un beau physique confère plus volontiers une présomption d’innocence… On conçoit dans ces conditions que certains soient prêts à accepter des transformations physiques importantes pour bénéficier des promesses de la beauté.

Mieux vivre grâce à un changement de son physique, pourquoi pas ?  Mais il n’y a pas de miracle et il serait puéril de croire que l’on change de vie en changeant de peau. Le pouvoir de la beauté n’est qu’un pouvoir d’apparence ; il n’a de sens que s’il est au service d’une expression de soi. On peut même perdre sa vie à courir après le Graal de la beauté parfaite, comme me l’ont démontré certains patients : loin d’être un avantage, la beauté est dans ce cas une tyrannie.

Et si la séduction qu’exerce l’Occident sur certaines populations à travers ses images luxueuses et festives était, elle aussi, à sa façon, une forme de tyrannie ?

Propos recueillis par Manon Hombourger

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