Refonte du contrat d’intégration, chômage record et tensions sociales : est-ce vraiment le bon moment pour offrir des titres de séjour pluriannuels aux nouveaux immigrants ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls a annoncé mercredi 24 avril une "réforme d'ampleur" du contrat d'accueil et d'intégration (CAI).
Manuel Valls a annoncé mercredi 24 avril une "réforme d'ampleur" du contrat d'accueil et d'intégration (CAI).
©Reuters

A contretemps

Manuel Valls a annoncé mercredi soir une "réforme d'ampleur" du contrat d'accueil et d'intégration (CAI), signé par les étrangers qui arrivent légalement en France pour s'y installer.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Manuel Valls a annoncé mercredi 24 avril une "réforme d'ampleur" du contrat d'accueil et d'intégration (CAI), signé par les étrangers qui arrivent légalement en France pour s'y installer. Il est question ici de "mieux accueillir ceux qui ont vocation à rester". Le CAI pose les obligations du migrant (respecter les valeurs de la République, apprendre le français, etc.) et celles de la France, en termes de formation notamment. Signé lors de l'arrivée en France par les étrangers ayant un titre de séjour valable au moins un an, il est assorti d'un système de sanctions : si le migrant ne respecte pas ses obligations, le préfet peut décider de ne pas renouveler son titre de séjour. Testé en 2003 il a été généralisé en 2007. Le ministre de l’intérieur a estimé que "Pour 75 % de ses signataires, il se limite à quelques heures de formation sur le 'Vivre en France' et à un bilan de compétences. Ce n'est pas à la hauteur".  Le document "mérite d'être revisité", a-t-il déclaré devant les sénateurs à l'occasion d'un débat sans vote sur l'immigration professionnelle et étudiante.

Mais la véritable information est que le ministre a confirmé la création prochaine de titres de séjour pluriannuels "dans quelques semaines, en fonction de l'avancée des travaux législatifs". Aujourd'hui, les préfectures "confrontées à un flux incessant de demandeurs, renouvellent les titres de séjour sans pouvoirexercer de contrôle" si bien que 99 % des titres vie privée et familiale sont renouvelés chaque année, a-t-il souligné. "Le titre de séjour pluriannuel nous permettra (...) de passer d'une logique de suspicion à une logique d'intégration", estime le ministre.

Ne faut-il pas y voir le résultat de la pression des associations qui se mobilisent autour de l’accueil des populations immigrées en France, qui ne cessent de demander des assouplissements aux conditions d’entrée et d’accueil, et constituent la fraction d’une gauche plutôt radicale qui en a fait sa principale référence au combat contre les injustices oubliant au passage un peu l’ouvrier, à laquelle il s’agirait là de donner quelques gages ? Ce n’est pas impossible mais alors à quel prix ?

Une facilitation qui n’est pas sans questionnements et sans risques 

Déjà, en octobre 2012, Manuel Valls avait assoupli les conditions d’accès à la naturalisation. Il avait abrogé le questionnaire de français et des valeurs de la République pour l’acquisition de la nationalité, texte qui doit entrer en application au 1er juillet 2012. Ce test disparaissait donc au profit d’un simple entretien ou il serait question quand même d’évaluer la connaissance de la langue française et les valeurs de la République dit-on, mais du coup sans aucune garantie.D’autre part, les travailleurs précaires et les étudiants auront eux aussi un accès plus facile à la naturalisation française puisque le CDI n’est plus rendu ici obligatoire. Ainsi, un étranger en situation régulière pourra prétendre à la nationalité française au bout de 5 ans contre 10 ans avant précédemment.

L’intégration, longtemps traitée sous le seul angle social, est maintenant placée au cœur même des politiques d’immigration. Le contrat d’accueil et d’intégration est l’expression la plus claire de cette orientation qui fait de l’intégration une des conditions premières de l’installation en France. La capacité d’intégration est devenue le critère déterminant des politiques d’immigration.

Un rapport de la Cour des comptes de novembre 2004 sur « l’accueil des immigrants et l’intégration des populations issues de l’immigration » énumérait déjà les signes révélateurs d’une crise du processus d’intégration :

- concentration d’une part importante de la population immigrée dans des zones où les difficultés socio-économiques s’accumulent,

- situation économique et sociale dégradée d’un grand nombre d’immigrants et de leur famille,

- nombre important d’étrangers en situation irrégulière, aux conditions de vie précaires génératrices de « désordres » divers (travail clandestin, délinquance) et entretenant, dans une partie de la population, la suspicion vis à vis de l’ensemble des étrangers.

-Sans compter avec des pratiques discriminatoires dont ils peuvent être l’objet qui rajoutent d’autres désordres à ces difficultés.

Des discriminations qui sont d’autant plus difficiles à combattre que le contexte économique et social est soumis à une tension qui ne faiblit pas. On ne saurait ignorer non plus, comment l’encouragement à une politique du bouc-émissaire, trouve dans l’augmentation de l’immigration et les facilitations à sa présence sur notre territoire, un argument de masse pour l’extrême droite.

Différents aspects qui ne sont pas non plus à négliger aujourd’hui au regard de la communication d’hier faite par le ministre, qui parait bien légère en ces temps où les difficultés qui marquaient le début des années 2000, dans la lecture qu’en faisait la Cour des comptes, s’accroissent.

Le Haut Conseil à l’intégration (HCI), a défini, dans un rapport remis en janvier 2007, des catégories de critères qui permettraient de déterminer l’efficacité de ce qu’il appelle les 5 piliers de la politique de l’intégration. Ces 5 piliers, tous complémentaires, seraient :

- Les politiques d’accueil, avec pour noyau, le Contrat d’accueil et d’intégration,

- La compensation des inégalités (socio-économiques, formation, diplôme,...) : politique globalement menée en direction des plus défavorisés dont les fondements ont été définis par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005,

- La lutte contre les discriminations et pour l’acceptation de la diversité symbolisée par la mise en place de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) qu’à remplacé le Défenseur des droits.

- L’incitation à la participation à la « vie de la cité » (implication dans la vie de l’école, les organismes socioprofessionnels, les conseils de prud’hommes, etc.),

- L’accès à la pleine citoyenneté débouchant sur l’accession à la nationalité.

Le contrat d’accueil et d’intégration, quelle orientation ?

Avec le contrat d’accueil et d’intégration, la politique de l’accueil des nouveaux arrivants devient le pilier essentiel de la politique d’intégration : c’est dès l’accueil qu’un engagement volontariste d’intégration est exigé du candidat à l’installation en même temps que sont prévues les modalités de contrôle du respect des engagements pris. Cette loi donne ainsi un contenu à ce qu’elle appelle « l’intégration républicaine ».

La loi du 24 juillet 2006 qui rend la signature d’un contrat d’accueil et d’intégration obligatoire pour tout nouvel arrivant (obligation devenue effective depuis le 1er janvier 2007) élargit son champ d’application aux mineurs entre 16 et 18 ans et précise son contenu. Il impose une formation civique portant sur les institutions françaises et les « valeurs de la République » (Laïcité et égalité homme-femme, notamment) ainsi qu’une formation linguistique (modulée suivant les besoins individuels et validée par un diplôme). S’y ajoutent des sessions d’information sur l’organisation de la société française (système de santé, garde des enfants, enseignement, etc.) ainsi qu’un bilan des compétences professionnelles. Les formations sont gratuites. Il concerne environ 100.000 personnes par an. Sa signature a lieu lors d’une demi-journée d’information à l’occasion notamment de la visite médicale réglementaire.

Le Haut Conseil à l’intégration, dans un avis présenté en janvier 2007, propose des améliorations pratiques : harmonisation des groupes linguistiques, module unique pour la formation civique et la présentation de la vie en France, attention particulière aux formations linguistiques avec la proposition de sanctions en cas de non suivi des cours et celle d’élargir le public aux demandeurs de la nationalité française. Concernant le regroupement familial de première importante en matière d’immigration aujourd’hui, un contrat d’accueil et d’intégration pour la famille est proposé, rendant notamment les parents responsables de l’intégration de leurs enfants.

S’il faut attendre pour juger l’évolution promise du contrat d’accueil et d’intégration, il ne semble pas que l’état d’esprit aille dans le sens de ces préconisations exigeantes.

L’intégration, enjeu de la cohésion sociale et du bien commun

Le véritable problème que pose cette nouvelle proposition du ministre est celle de savoir si, à un moment où la France connait une crise économique et sociale de grande ampleur avec un chômage de masse qui n’a jamais été aussi important depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il est bien raisonnable de créer une facilitation à l’installation de nouveaux migrants ? La période est celle d’une rupture du lien social pour bien des exclus avec un affaiblissement de la cohésion sociale qui la met en risque et donc avec elle sa solidarité, et par voie de conséquence, engage la légitimité même de notre démocratie.

La citoyenneté est au fondement de la cohésion sociale, dans ses trois dimensions politique (Droit de vote et d’éligibilité), civique (Liberté individuelles) et sociale (Droits sociaux). Le processus d’intégration vise peu ou prou à l’intégration à une société dont la culture, ses valeurs et ses normes, engagent cette citoyenneté. Si l’intégration perd en exigence, c’est la citoyenneté qui devient de moins en moins effective et cette adhésion à un modèle de société qui fait notre cohésion sociale. L’apport continue dans cette situation de crise d’une immigration qui risque bien de rencontrer des difficultés croissantes d’intégration, renvoie à des questionnements qui ne sont pas secondaires. 

L’Etat-providence, qui est montré du doigt par un certain nombre de commentateur de la vie politique comme un obstacle au développement économique dans le cadre de la mondialisation pourrait là trouver des arguments supplémentaires, à travers une immigration ainsi encouragée qui viendrait grossir les rangs des exclus en faisant apparaitre les interventions de l’Etat protecteur comme de moins en moins efficace et injustifiées.

A travers cette facilitation à l’accès à la nationalité et maintenant au séjour, il y a tout de même relativement au sens que l’on donne à l’établissement sur notre territoire et de façon durale jusqu’à en devenir français, une certaine dévalorisation autant qu’un appel d’air qui peut s’avérer inquiétant.

Ceci, dans un contexte où l’on voit parmi ceux qui sont immigrés ou leurs enfants une crise du rapport à nos valeurs collectives parfois même un rejet de celles-ci. Il est rendu visible ne serait qu’au travers de ce mouvement de revoilement auquel on assiste pour une partie de ceux de nos concitoyens issus d’une immigration ayant pour origine des pays arabo-musulman, avec un refus de se mélanger au-delà de la communauté de croyance qui prépare un communautarisme qui est un péril mortel pour notre République. La gauche ne devrait-elle pas d’ailleurs s’interroger aussi sur les conséquences de cette évolution qui frappe les forces sociales, moteur de l’histoire de la conquête des droits sociaux particulièrement, qui ainsi se trouvent promises à une division qui les affaiblit jusqu’à les empêcher de jouer leur rôle ?

Cette dépréciation touche d’ailleurs non seulement ceux qui sont promis à être accueillis, mais ceux aussi issus de l’immigration qui déjà installés en France peuvent y voir un signe de faiblesse donner par la France relativement à la façon dont elle-même se considère. On n’a certainement pas besoin de cela dans les quartiers où la France est déjà sujette à de nombreux maux et déconsidération.

L’intégration n’a décidément pas seulement à voir avec la dimension sociale mais aussi l’adoption de valeurs et de normes collectives, relativement à ce que l’on met en commun pour faire société, car une société ne saurait avoir un quelconque avenir en étant une simple addition de différences. Notre République indivisible, laïque démocratique et sociale avec sa devise « Liberté-Egalité-Fraternité » est-elle, et jusqu’à quel point, un bien commun ou non? Voilà l’échelle de mesure de notre cohésion sociale qui fait parait-il la force  de la nation et sa faculté à se perpétuer, ce dont l’Etat, ne l’oublions pas, est le garant. Il en va donc d’un défi avec l’intégration qui ne se relèvera pas en facilitant mais plutôt en redonnant des exigences à l’idée que l’on se fait de la France comme terre d’accueil et d’asile, comme nation, et cela, pour tous, immigrés et Français de tous horizons.

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