Comment mettre davantage à profit l’attachement particulier que les plus riches ont à l’épargne ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les 1% de la population gagnant le plus consacreraient 51,2% de leurs revenus à l'épargne.
Les 1% de la population gagnant le plus consacreraient 51,2% de leurs revenus à l'épargne.
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Gagnant-gagnant

Une étude communiquée par la banque UBS à ses clients américains rapporte que plus les personnes ont un revenu élevé, plus elles épargnent. Les Français aisés étant aussi des épargnants, comment en faire profiter au mieux l'économie ?

Bernard  Cohen-Hadad et Jean-Philippe Delsol

Bernard Cohen-Hadad et Jean-Philippe Delsol

Bernard Cohen-Hadad est président de la commission financement des entreprises de la CGPME. Il est également président du think-tank Etienne Marcel et assureur.

Jean-Philippe Delsol est avocat fiscaliste et administrateur de l'IREF (Institut de recherches économiques et sociales). Il a écrit l'ouvrage "A quoi servent les riches" avec la participation de Nicolas Lecaussin, directeur du développement de l'IREF.

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Atlantico : Une étude communiquée par la banque UBS à ses clients américains rapporte que plus les personnes ont un revenu élevé, plus elles épargnent (51,2% du revenu des plus riches y est consacré). Les Français ont également une réputation d’épargnants. Comment expliquer cette tendance à l'épargne, particulièrement exacerbée chez les plus aisés ? Que reflète-t-elle de notre histoire, de notre mentalité ?

Bernard Cohen Hadad : Comparer la France ou l’Europe aux Etats-Unis est toujours délicat en matière économique et financière. Les Américains vivent dans une véritable économie de marché qui privilégie leurs produits et leurs intérêts. Ils ont un autre rapport à l’argent et une autre façon d’en parler. Une autre façon aussi de le dépenser. Et l’entreprise est là pour faire du business. Mais en matière d’épargne cette étude montre-t-elle une différence de comportement que l’on soit d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique ?

Plus vous disposez de moyens et plus vous avez la capacité financière d’épargner. Mais vous n’épargnerez jamais tout, le plus du plus. Que ce soit de l’épargne financière par exemple un livret A, une assurance vie ou de l’épargne non financière, un logement, un terrain… De tous temps, et particulièrement en période de crise ou d’instabilité politique, les français ont thésaurisé, rempli leur bas de laine et se sont mis à épargner. Avec cette sagesse qui est en réalité un réflexe de survie afin de tenir et pouvoir le moment venu rebondir : aides-toi et le ciel t’aidera.

C’est pourquoi depuis la fin 2008, les français se sont mis à faire des efforts sur leur façon de vivre, limité la consommation de biens et ont épargné beaucoup plus. Ils ont été également très vigilants sur la fiscalité qui touchait les investissements et ils ont mis leur argent sur des produits d’épargne financière qui leur garantissent la rentabilité, la disponibilité et la sécurité. Il suffit de voir le succès du Livret A et la relative désaffection de l’assurance vie. Ainsi l’épargne réglementée Livret A, le Livret de Développement Durable, le Livret d’Epargne Populaire représentent 330 Mds€. Mais les ménages les plus aisés et les mieux informés, ceux qui peuvent disposer de temps et donc de plus de moyens, se tournent plus volontiers vers l’assurance vie qui sur le long terme est un placement stable et de forte rentabilité. L’assurance vie représente 1 400 Mds€.

La France est donc riche de son épargne mais cela ne veut pas dire que tous les français sont riches. Alors au regard du désordre actuel dans lequel se fait le débat sur l’épargne et compte tenu de la moyenne d’âge élevée des épargnants ce qui interpelle est la rentabilité sociale de cette épargne financière qui dort au regard du financement de l’économie et des PME en particulier qui sont en manque de fonds propres. Les termes du débat sont ceux-là.

Jean-Philippe Delsol : Les Français sont très épargnants, à hauteur de 15% de leurs revenus, voire plus selon les années. Cette épargne vient très certainement d’une frilosité par rapport à l’avenir, d’une inquiétude qui peut se comprendre quand on voit nos systèmes de répartition, qui ne sont pas des systèmes d’épargne mais les tonneaux percés des Danaïdes. Sort ce qui rentre. Que les Français soient inquiets face à ce système de répartition, je ne trouve pas cela anormal.

Ceci étant, l’Etat encourage également l’épargne, au travers d’un certain nombre de mécanismes d’exonération ou d’atténuation de l’impôt, notamment pour l’épargne longue. Deux exemples : les caisses d’épargne et l’assurance-vie. L’Etat fait cela car il est un panier percé qui dépense chaque année depuis plus de 40 ans plus qu’il ne gagne, et il a donc chaque année besoin d’emprunter plus. Pour pouvoir répondre à ses besoins, l’Etat a besoin que les Français placent une partie de ce qu’ils possèdent dans des bons d’épargne (obligations d’Etat).

Comment faire se rencontrer ce penchant pour l’épargne et l’intérêt économique du pays ? Dans quelle mesure l’épargne des riches profite-t-elle à l’économie française ? 

Bernard Cohen Hadad : C’est tout l’enjeu. Et cela ne peut être possible que si l’on arrive à créer les conditions de la confiance. Ce que certains appellent « le choc de confiance ». Avec ce genre d’expression reconnaissez, on ne prend pas la voie de l’harmonie. Alors qu’au contraire il faut retrouver un environnement économique et financier paisibles, étayer les fondements de nos valeurs entrepreneuriales, savoir accompagner les entreprises dans leurs phases de développement et faire de la pédagogie pour expliquer aux français où se place réellement leur intérêt commun sur le long terme.

Ce n’est donc pas en opposant une partie des français contre une autre que l’on y arrive : les pauvres contre les riches, les diplômés contre ceux qui n’ont pas fait d’études ou d’études longues, les grandes entreprises contre les plus petites, les salariés contre les patrons, ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas… Et arrêtons de faire croire que les français, ou une partie privilégiée d’entre eux, n’aiment pas ce pays ou qu’ils jouent contre leur économie. Je n’y crois pas. La mondialisation et la dématérialisation des échanges n’ont pas attendu la crise financière pour s’installer. On reproche à certains français, et aux entrepreneurs, de voire leur intérêt dans cette période compliquée. Ont-ils vraiment tort ?

Ce n’est pas de l’égoïsme mais du bon sens économique. Un pays sans entreprises performantes est en voie de sous-développement. L’intérêt des français conjoncturellement rencontre naturellement l’intérêt économique du pays à un moment donné. On ne peut pas arriver à créer une dynamique sans adhésion, sans investissement et sans moyens. Revenons à des principes simples de gouvernance. C’est le travail de motivation quotidien des patrons de PME dans leurs entreprises. En revanche, il est de notre devoir à tous de condamner les dérives, d’ouvrir des pistes nouvelles, d’encourager le débat d’idées sur des questions fondamentales telles que l’épargne et le financement des entreprises moyennes qui pendant longtemps ont été délaissées. La plus grande tragédie serait de constater demain que l’épargne actuellement abondante et liquide est devenue une rareté.

Qui peut garantir le contraire ? Pour ces raisons il faut laisser tomber les dogmes pour un new deal et valoriser l’apport des TPE et PME. Et permettre aux investisseurs privés de jouer le jeu de l‘animation de la vie économique et d’y trouver un juste retour sur investissements. Quand vous savez que vous allez forcément perdre, il n’y a plus de défi, de risques et donc d’envie d’entreprendre. Ce n’est donc pas multipliant les contraintes financières et fiscales et en érigeant en principe leur instabilité au nom de la raison d’Etat, ce n’est pas non plus en développant, en dehors du dialogue républicain, les normes légales, réglementaires de toutes sortes qui cristallisent le monde du capital et le monde du travail que l’on peut redonner aux investisseurs privés la confiance en notre économie. Ne sous estimons pas, non plus, la prise de conscience réelle de nos gouvernants.

Jean-Philippe Delsol : L’épargne est utile en soit, car sans elle il n’y a pas d’investissement, et donc pas de production et pas de consommation. L’épargne la plus utile pour l’économie est celle qui va dans le circuit économique, que l’on place en banque. Le  métier principal de cette dernière étant de transformer un dépôt à court terme en prêt à long terme qu’elle consent. Elle doit le faire avec prudence, même si c’est parfois avec exubérance.

Si l’épargne se fait en tableaux d’art ou en maisons, est-ce utile ? Que serait un pays sans art sinon un pays triste ? C’est une autre utilité. C’est un moyen assez indirect de relancer l’économie, certes. Encore que celui qui achète un tableau rentre de l’argent dans un circuit économique : une galerie qui a des employés, qui paye un peintre et consomme tous les jours. Donc on ne peut pas dire que ce soit inutile, même si cette utilité est un peu différente.

Quels seraient les moyens à mettre en œuvre pour optimiser le couple épargne-dynamisme économique ?

Bernard Cohen Hadad : Ils sont normatifs, informatifs et marketings. Pardonnez la formulation. Tout d’abord, la réglementation qui touche l’épargne, les produits d’épargne doit être simplifiée, clarifiée et sécurisée. A l’occasion du Rapport Duquesne sur l’Epargne Réglementée, Jean-François Roubaud a attiré l’attention du rapporteur sur la nécessité de maintenir l’esprit et l’équilibre du Livret A. Cet outil d’épargne défiscalisé auquel les français et donc les entrepreneurs sont attachés, de génération en génération. L’épargne courte doit être l’antichambre de l’épargne longue. Il convient donc de toiletter notre code des assurances et notre code monétaire et financier.

Tous les freins doivent être levés pour permettre aux investisseurs privés et aux investisseurs institutionnels de mettre en œuvre des produits rentables adaptés au financement de l’économie. Et cela passe évidemment par le financement des PME et des Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) qui ont besoin d’un fléchage de l’épargne à travers des supports d’investissements dédiés en fonds propres et en quasi fonds propres. Ensuite, il faut faire le bilan de ce qui se « trouve dans les armoires ». L’épargne est abondante, elle ne répond peu aux besoins des entreprises. Et les établissements financiers disposent « en rayons » de fonds non affectés.

Où se cache cette épargne ? Comment justifier l’auto censure des dirigeants ? Peut-on trouver un remède aux contraintes prudentielles ? Le récent rapport Berger-Lefebvre sur l’Epargne Financière évoque le fléchage. Depuis longtemps nous attendons la mise en place d’un véritable tableau du financement des entreprises moyennes dans notre économie. Et nous devons créer de nouveaux outils statistiques, garantir leur transparence, leur lisibilité et s’interroger sur les attentes réelles des entrepreneurs en fonction de la taille des entreprises afin que l’épargne puisse participer le plus directement possible à la dynamisation de la microéconomie. La diversité des besoins, la multiplicité des petits tickets, le manque de véhicules d’investissements spécifiques aux PME font qu’il faut paradoxalement répondre à une forte attente, à une urgence même. Eviter les expériences miracles abandonnées peu de temps après faute d’incitations pérennisées.

C’est pourquoi, enfin, on doit s’interroger sur les produits d’épargne existants et leur durabilité au regard de deux axes le risque et la liquidité. On peut toujours créer de nouveaux produits d’épargne ce qui prouve une envie et la volonté de construire ensemble. Mais avant de créer de nouveaux produits d’épargne, fondés sur telle ou telle analyse conjoncturelle, n’ayons pas peur de faire le tri dans l’existant, de regrouper les trop nombreux véhicules d’investissement qui existent, se ressemblent, font doublons et ne se distinguent qu’à travers la particularité de leurs opérateurs ou des appellations marketing différentes. Seuls certains spécialistes et gestionnaires de fonds s’y retrouvent. Et osons mettre en en avant des avantages fiscaux pour les particuliers en fonction de l’affectation des actifs aux fonds propres des PME. C’est la richesse et le développement des entreprises dans les territoires qui créent de l’emploi.   

Jean-Philippe Delsol : On peut inciter à la création, dont la récompense sera l’enrichissement. La richesse n’est que la récompense de la création : celui qui s’est enrichi est celui qui a réussi à vendre des biens ou des services, parce qu’il y avait un marché preneur. Il a satisfait une demande. Donc celui qui s’enrichit rend service.

Cela signifie-t-il par ailleurs qu'il est encore possible de taxer les plus riches ?

Bernard Cohen Hadad : La période compliquée que nous vivons montre qu’il faut dépasser les caricatures, le lyrisme, sortir du dogmatisme ou des provocations et aller au-delà des écrans de fumée. Rien ne peut encourager les grosses fortunes à investir en France dans notre économie sans espoir de rentabilité et sans la confiance durablement retrouvée. Il y a un agacement perceptible de nos concitoyens mais ne sur jouons pas l’exode des talents et des happy few. Notre pays peut retrouver son rôle de place financière internationale et nos métropoles régionales jouer le rôle de locomotives locales si nous retrouvons un climat apaisé.

Et l’éthique que l’on veut instiller doit être pensée conjointement à la performance économique. A défaut, ce n’est qu’un leurre. Les PME sont au centre de cet enjeu. Aujourd’hui la vraie richesse c’est quoi ? Pour la majorité des français, comme des patrons de TPE et de PME, c’est d’abord avoir du travail ou un emploi, un carnet de commande pour son entreprise, juguler la diminution des marges sur les produits fabriqués, travaillés en France ou vendus, bénéficier d’un accès aux soins choisis et de qualité, savoir ce que l’on mange vraiment, pouvoir se loger décemment, vivre en toute sécurité, transmettre à ses enfants une partie de son patrimoine, jouir d’une retraite décente, avoir un accès à la culture… Alors on peut toujours taxer plus ces riches-là. Mais ce n’est pas prendre le pari de la reprise. Les vrais entrepreneurs n’ont jamais songé à partir ni à mettre un frein à tout esprit d’initiative, à toute émulation créatrice et donc s’interdire un espoir de réussite intérieure.

On leur demande pourtant une contribution au-delà de leurs limites d’existence et donc d’investissements. Notre économie a vraiment besoin d’une pause fiscale, d’une embellie. On ne pourra attirer, injecter les capitaux que par la création des conditions fiscales favorables. Des capitaux privés pour investir et soutenir l’investissement dans nos territoires, aider à financer par des fonds privés ces grands projets qui restent dans les cartons, encourager la recherche et développement de pointe sur notre sol et avec nos talents et permettre à nos entreprises de prendre des parts de marchés à l’international grâce à l’attrait de notre stabilité. Et d’en tirer des profits. En prenons-nous le chemin ?

Jean-Philippe Delsol : Si l’on veut qu’il y ait plus de gens qui créent de la valeur, et qui par voie de conséquence s’enrichissent, il ne faut pas trop les pénaliser. Qu’ils contribuent aux dépenses nationales un peu plus que les autres, c’est normal. Mais si on les accable d’impôts - jusqu’à 75% pour le seul impôt sur le revenu, 80% de charges sociales, la TVA, etc. – on les décourage. Car à la fin il ne reste que 5 à 7% de la somme d’origine.

Un impôt proportionnel, plutôt que progressif, encouragerait les gens à créer, car même s’il serait évidemment plus élevé, ils gagneraient plus. Au lieu d’appauvrir  la France, cela l’enrichirait, et enrichirait donc tout le monde.

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