Coup à l’italienne : pourquoi la réélection à la présidence de Giorgio Napolitano signe une révolution constitutionnelle que personne n’a votée<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Giorgio Napolitano a été réélu à la présidence de la république.
Giorgio Napolitano a été réélu à la présidence de la république.
©Reuters

Vive le roi ...

Faute de pouvoir désigner un nouveau gouvernement, l'Italie se résigne par défaut à Mario Monti. Du côté de la présidence, même chose : Giorgio Napolitano doit perdurer, faute de remplaçant potentiel. Quelles perspectives offrent les blocages institutionnels de la péninsule?

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto, diplômé en Sciences Politiques (Université de Turin), a d’abord travaillé pour différents organismes parapublics italiens et français avant de rejoindre le secteur financier où il s’occupe de marketing. Historien passionné et très attentif aux évolutions politiques, il rédige depuis environ trois ans un blog d’opinion : « Un regard un peu conservateur ».

Voir la bio »

Si Mario Monti, lors de son arrivée à la tête du gouvernement italien en 2011, rêvait de faire de l’Italie un pays plus ennuyeux qu’auparavant, ce rêve n’a pas été exaucé. Ce qui vient d’arriver, avec la réélection inattendue de Giorgio Napolitano à la présidence de la république, constitue une grande première dans l’histoire politique du pays. Elle traduit bien la crise des institutions, dont la paralysie parlementaire suivant les élections de février est l’ultime et plus évidente manifestation. Rappelons brièvement les faits : avec la complicité d’un système électoral qui frôle l’absurdité (proportionnelle avec prime de majorité, mais avec des modes d’attribution des sièges différents pour la Chambre des Députés et le Sénat), l’issue du scrutin a vu le Parlement incapable d’exprimer une majorité suffisante à la formation d’un gouvernement.

Dans cette situation, avec le gouvernement Monti qui demeure en charge pour expédier les affaires courantes et appliquer les mesures urgentes nécessaires (donc de facto gouvernant sans l’aval du Parlement), le renouvellement de la présidence de la république (Giorgio Napolitano aurait dû quitter ses fonctions le 15 mai, à l’échéance de son septennat) a échoué, faute de trouver un nouveau candidat capable de rassembler la majorité nécessaire des électeurs (rappelons ici que le système italien est une démocratie parlementaire et que le président, qui n’a qu’un rôle de garant de l’état, est élu par les sénateurs et les députés). Cette situation de blocage est due aux résultats des élections dont nous venons de parler.

Du coup, le risque était assez concret, après l’échec de Franco Marini (candidat consensuel mais assez terne soutenu, sur le papier, par la droite de Silvio Berlusconi et la gauche de Pier Luigi Bersani) et de Romano Prodi (candidat de la gauche, abattu pas les « franc-tireurs » de celle-ci…) de voir le dernier rempart encore un peu solide et respecté du panorama institutionnel italien sombrer dans l’incertitude, pour le plus grand plaisir des contestataires populistes guidés par l’ancien comique génois Beppe Grillo.

Le charisme d’un vieux roi

Conscient de la gravité de la situation, pourvu d’un sens de l’Etat désormais plus unique que rare, le presque nonagénaire Giorgio Napolitano, président depuis 2006, s’apprêtait à conclure son mandat. Affecté par le spectacle affligeant d’une classe politique inadéquate, Giorgio Napolitano avait déjà surpris les observateurs avec la nomination de Mario Monti à la fin de 2011, imposant un gouvernement « technique », soutenu par une curieuse alliance entre gauche et droite.

Déçu dans l’espoir de voir une majorité politique stable sortir des urnes au mois de février et obligé de constater l’échec de la gauche à former un gouvernement, Giorgio Napolitano a réalisé sa première innovation politique, tout en restant dans les limites constitutionnels de son mandat : nommer une commission de dix « sages » chargés de réfléchir sur les reformes nécessaires pour le pays, afin de suggérer au prochain gouvernement (mais lequel ?) la base du programme de réformes nécessaires pour sortir le pays de la crise (parmi ces propositions on retrouve, à coté de la tant souhaitée reforme électorale, le paiement par l’administration publique de ses fournisseurs…). Tout cela, le vieil homme d’Etat souhaitait le léguer à son successeur, ou telle, tout au moins, était son encore son ambition vendredi 19 avril en début d’après midi…

Toutefois, on peut tout dire de l’Italie, sauf qu’elle soit une « no country for old men » ! L’échec de la gauche et de son candidat à la présidence de la république, l’ancien président du conseil et de la Commission Européenne, Romano Prodi, a précipité la crise institutionnelle et, entre vendredi et samedi, les trois leaders de la gauche, du centre et de la droite (MM Bersani, Monti et Berlusconi), chacun mu par un calcul politique différent, ont supplié et convaincu Giorgio Napolitano de se représenter. Et quelques heures après, avec une majorité de 73 %, sa réélection était assurée.

Des enseignements, un précédent historique et quelques perspectives

Ce fait inédit dans la politique italienne suscite donc une série de réflexions :

1 – Auparavant, le président de la république, même si parfois il pouvait s’agir de personnalités hautes en couleur comme Sandro Pertini ou Francesco Cossiga, n’était qu’une figure marginale et purement représentative de la politique italienne, une récompense suprême pour remercier des figures vieillissantes (ou gênantes…) et leur aménager un placard doré. Les vrais jeux du pouvoir se tenaient à Montecitorio (siège du Parlement) et surtout aux sièges des partis.

Cette habitude, vraie pendant les années de la « Prima Repubblica » (de 1946 et 1994) fut encore plus accentuée par l’arrivée sur scène d’hommes politiques bruyants et égocentriques tels que Silvio Berlusconi et Umberto Bossi, contre lesquels la gauche, en perpétuelle métamorphose, aligna (et brula) différents leaders (Achille Occhetto, Romano Prodi, Walter Veltroni et enfin Pier Luigi Bersani).

La crise de 2011 et la démission contrainte et forcée de Berlusconi, en revanche, voient la régie du chef de l’Etat, pour la première fois dans l’histoire de l’Italie républicaine appelé à jouer son rôle de suprême garant du pays : Giorgio Napolitano donne mandat à Mario Monti, un non-politique, de former un gouvernement « du président » et l’impose au Parlement, avec le résultat de voir une majorité (certes « contre-nature », certes fragile…) le soutenir. En quelques mois, le vieil homme devient la caution de la légitimité démocratique d’un gouvernement souvent décrié car composé de membres non élus : par le fait que le président de la république est élu par les représentants du peuple, il peut donc cautionner par son investiture un gouvernement non élu, lui donnant la légitimité nécessaire en plus que celle dictée par l’urgence. L’année 2012 voit le rôle de Napolitano s’accroitre et sa stature de « père de la patrie » grandir, et plusieurs voix commencent à s’interroger, à demander même, si une reconduction de ses fonctions serait possible.

Mais c’est après le désastre des cinq premiers tours de l’élection présidentielle que la dernière transformation du président s’opère : il accepte de se représenter, mais à ces conditions : fin des affrontements et des insultes entre les partis, et mise en place d’un gouvernement stable, qu’on le veuille appeler « d’unité nationale », « des larges ententes », « du président », mais qui se forme rapidement, qui jouisse d’une majorité parlementaire (droite, gauche et centre), même si née au forceps, et qui applique le programme de reforme rédigée par les « sages », véritable conseil de la couronne. Moralement, Giorgio Napolitano a accompli celui qui est le devoir d’un monarque constitutionnel : garantir la pérennité des institutions, défendre celles-ci face à la montée du populisme le plus vulgaire et dangereux, et imposer le bien du pays à des partis trop litigieux et divisés. Quel est donc le sens de l’appel à rester fait à Giorgio Napolitano, sinon le souhait, la nécessité même de voir une figure institutionnelle stable est au-dessus de la lutte politique, c'est-à-dire ce qu’est un roi dans une monarchie constitutionnelle ?

Evidemment, Monsieur Napolitano ne songe absolument à coiffer la couronne d’Italie, toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de penser que cet épisode clôt, par une parenthèse « semi-royale », l’aventure de l’Italie républicaine, ou tout au moins de la république des partis.

2 – Si on analyse l’histoire italienne du XXème siècle, nous avons un autre exemple frappant de comment l’autorité du chef de l’Etat intervient pour mettre fin à une situation politique intenable. En juillet 1943, menacé par la défaite militaire imminente, le Grand Conseil du Fascisme ose l’inouï : le limogeage de Mussolini, dans une tentative maladroite de conserver le régime en sacrifiant son chef. Le Duce, ayant encaissé le vote de défiance, se rendit chez le roi Victor-Emmanuel III qui en profita pour le faire arrêter, dissoudre le parti fasciste et, quelques mois après, porter l’Italie du coté des Alliés contre le Troisième Reich. Bien évidemment, toute comparaison ou simple tentative de comparaison entre Victor-Emmanuel et Napolitano serait vaine et vide de sens, toutefois il est important de voir comment les événements politiquement significatifs, en Italie, ne sont pas du fait d’une initiative venant « du bas », mais sont rendus possibles par l’intervention du pouvoir qui, à un moment déterminé, sait interpréter les besoins et souhaits de la nation. Tel a été le cas de Giorgio Napolitano, en mettant fin à la pantomime de la partitocratie.

3 – Le président élu, la vie politique va continuer, avec des importants défis et plusieurs évolutions possibles. Passons-les en revue :

  • Un gouvernement bénéficiant d’une vaste (mais solide ?) majorité se met en place et entreprend les reformes nécessaires : reforme électorale, donc, et évolution vers un régime plus proche d’une république présidentielle, afin de rompre la tradition italienne des exécutifs faibles. Les partis actuels se transforment, avec en perspective la naissance d’un centre-droite modéré (moins « berlusconien » et plus « montien »), un centre-gauche enfin affranchi de son aile extrême et de l’héritage bureaucratique de l’ancien Parti Communiste Italien, plus des petites formations plus ou moins turbulentes et extrémistes tant à droite que à gauche. Ce serait la solution rêvée…

  • Le gouvernement à majorité élargie ne dure qu’un an, mais arrive à effectuer au moins la reforme électorale qui garantira la gouvernabilité au vainqueur des nouvelles élections. Les partis reviennent donc en force sur la scène politique, et rien ne change vraiment. Eventualité peu réjouissante mais avec une bonne dose de probabilités.

  • Malgré les efforts de Napolitano, les partis recommencent leur bagarre dès la semaine prochaine et aucune majorité n’est possible. Les populistes de Beppe Grillo enchainent des grandes protestations publique de masse, tandis que droite et gauche s’abreuvent d’insultes et les finances publiques sombrent. Tout est donc possible, même le pire (éventualité toujours possible, mais qu’il serait recommandé d’éviter…).

Une certaine volonté de changement semble donc inspirer la politique italienne, tant de la part de plus hautes autorités de l’Etat que par la place de plus en plus bruyante. Pourvu que, pour une fois, l’esprit si italien du « Guépard » (« Si on ne veut rien changer, il faut tout changer ») ne reste que dans les pages du chef-d’œuvre de Tomasi di Lampedusa !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !