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Une étude canadienne pointe le manque d'information des médecins sur les effets nocifs des médicaments.
Une étude canadienne pointe le manque d'information des médecins sur les effets nocifs des médicaments.
©Reuters

Flou scientifique

Une étude canadienne publiée par Psychomédia sortie mercredi révèle le manque d'information des médecins sur les effets nocifs des médicaments par les visiteurs médicaux. Les généralistes savent-ils vraiment la nature des produits qu'ils prescrivent ?

Philippe  Nicot

Philippe Nicot

Philippe Nicot est Médecin généraliste, membre du Formindep, association dont le but est de favoriser l'information médicale indépendante.

 

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Atlantico : Une étude canadienne sortie mercredi révèle le manque d'information des médecins sur les  effets nocifs des médicaments par les visiteurs médicaux, ces derniers ne donnant aucune information sur les effets secondaires les plus fréquents ou les plus dangereux, et ne précisant pas le type de maladie pour qui le médicament est contre-indiqué. Comment peut-on l'expliquer ?

Philippe Nicot : Les visiteurs médicaux sont de fait les courroies de transmission d’industriels qui ont intérêt à vendre des médicaments. Ils reçoivent pour cela des primes d’intéressement "Des primes liées à des objectifs qualitatifs et quantitatifs ainsi qu’une participation et un intéressement viennent le plus souvent compléter la rémunération fixe." C’est en fonction des résultats financiers que les firmes peuvent prospérer, créer des emplois, servir des rémunérations à leurs dirigeants et à leurs actionnaires.  Cette incitation à faire prescrire et à convaincre est d’ailleurs clairement affichée par la vidéo du syndicat de l’industrie pharmaceutique.

Le scandale récent des pilules a montré que les pilules de 3e et 4e générations qui avaient un risque d’effets secondaires graves deux fois supérieurs à celles de 1ere et 2e génération étaient pourtant les plus prescrites essentiellement par les gynécologues. Si ceux-ci n’ont pas pris en compte ce sur- risque qui était parfaitement connu et publié,  c’est probablement parce que ces effets secondaires n’avaient pas été présentés correctement aux médecins, et que ceux-ci ont accordés une confiance trop aveugle aux dires des visiteurs. En tout cas les données de cette étude canadienne donnent des arguments de poids à cette hypothèse.

Les visiteurs n’ont que quelques minutes pour convaincre un médecin de prescrire leur produit, aussi présenter les effets secondaires graves, et les contre-indications sont  un frein très important à l’incitation à prescrire. Les visiteurs sont par ailleurs en concurrence avec d’autres. De fait s’appesantir sur les effets négatifs ne va pas leur faire gagner des parts de marchés. Nous sommes devant un véritable risque sanitaire.

Mais au mépris de ces risques, les firmes font jouer le risque sur les emplois. Une firme pharmaceutique a récemment fait valoir cela en Conseil d’État suite à une décision de retrait du marché de l’un de ses médicaments. Le conseil d’état avait ainsi le choix entre la santé de la population ou la santé des emplois.

Voir le site de l’ANSM : « le juge a estimé que la décision de suspension d’AMM créait une atteinte grave et immédiate à la situation du laboratoire Menarini, dans la mesure où le médicament Ketum « représente son deuxième chiffre d’affaires et eu égard à l’ancienneté de sa mise sur le marché, lui procure une marge supérieure à celle des autres spécialités qu’il commercialise, de sorte que l’arrêt de commercialisation risquerait de compromettre la possibilité pour cette société de retrouver en 2010 un résultat positif . »

A mon avis on ne doit pas mettre en balance la santé de la population et les emplois.  Le scandale de l’amiante devrait être présent dans l’esprit de tous.

Doit-on envisager de supprimer les visiteurs médicaux ? Quelle pourrait-être l'alternative ? Comment pourrait-on améliorer l'information des médecins ? 

C’est une hypothèse qui a été envisagée. Elle n’est pas résolue à ce jour. Si ces visiteurs exercent c’est qu’il y a des médecins pour les recevoir. A titre personnel, je ne les reçois plus depuis quelques années, ce qui me permet de gagner du temps pour lire des revues indépendantes, et les avis de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé. Je gagne ainsi  du temps et ai accès facilement à toutes les informations nécessaires.

Les constats du réseau de la visite médicale menée par la Revue Prescrire© dans les années 1990-2000 ont montré les limites et les risques de la visite médicale. Ceux-ci ont été repris à leur compte dans un document réalisé par l’OMS et HAI, qui vient d’être traduit et publié par la HAS. Il existe une charte de la visite médicale en France qui se révèle être un échec en témoignent les scandales sanitaires à répétitions.

Quels sont les autres biais d'information sur le médicament dont le médecin et le patient disposent ? 

Pour le médecin c’est l’abonnement à des revues indépendantes. En français citons La Revue Prescrire, la Revue Médecine, ou Pratique. Il est souhaitable que les médecins lisent les revues internationales ce qui nécessite un apprentissage. Mais il existe également, les avis de la commission de la transparence de la HAS, qui évaluent le service médical rendu et l’amélioration du service médical rendu des médicaments. Ces avis sont craints par les industriels ce qui est bon signe. Par ailleurs ces avis devraient être remis par les visiteurs médicaux aux médecins. Or là encore ceux-ci ne les remettent pas, ou alors uniquement à ceux qui les demandent. Et la majorité des médecins ignorent que de tels avis sont rendus. Lorsque ces avis sont très favorables, les firmes n’ont aucun intérêt à ne pas les présenter. Ces avis de la HAS sont accessibles à tous, y compris aux patients.

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