Obsèques de Margaret Thatcher : pourquoi le gouvernement français serait bien inspiré de se procurer le livre de chevet de la Dame de fer<!-- --> | Atlantico.fr
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Margaret Thatcher est morte à l'âge de 87 ans.
Margaret Thatcher est morte à l'âge de 87 ans.
©Reuters

Source d'inspiration

Figure du XXe siècle vénérée par les uns, honnie par les autres, Margaret Thatcher, morte à 87 ans, sera enterrée ce mercredi.

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Comme souvent les héritiers, les Thatchérites, après une première période de choc et de lamentations, commencent à fouiller avec prudence et respect dans les affaires de la défunte.

Son célèbre sac à main pèse plus lourd que le laissent penser les images où Maggie le manie si lestement. A l’intérieur, un livre. Un pavé : The Constitution of Liberty de Friedrich Hayek. En 1976, la nouvelle patronne du Parti Conservateur l’avait sorti de son sac en pleine réunion du Conservative Research Department, en déclarant : « this is what we believe », c’est en cela que nous croyons.

De fait, l’œuvre de Hayek eut une influence considérable sur la pensée politique de Thatcher. Elle lut la Route de la Servitude dès sa parution en 1944, alors qu’elle était étudiante à Oxford. Elle rencontra son auteur trente ans plus tard, juste après son élection à la tête du Parti Conservateur. Tout au long de ses années de pouvoir, elle multiplia les tête-à-tête avec son maître à penser.

La philosophie de Hayek, qui couvre tous les domaines, de l’épistémologie à l’économie, est plus d’actualité que jamais. Tentons bien maladroitement de la résumer en cinq principes.

Premier principe : la liberté, définie négativement comme l’absence de coercition, et positivement comme le moteur du progrès des civilisations humaines. Corrolaire épistémologique : l’ignorance, limite de la rationalité humaine. C’est parce que nous ne savons pas quiémettra une idée nouvelle que nous devons laisser tout le monde s’exprimer (transmis aux socialistes qui veulent réguler twitter). C’est parce que nous ne savons pas comment se forme la perpétuelle adaptation de l’humanité à son environnement que nous devons laisser se développer le processus d’interaction continuelle d’où émergent les tendances de demain (Hayek aurait béni les réseaux sociaux !). C’est parce que nous ne savons pas comment organiser les forces économiques que nous devons laisser fonctionner le marché, non une fin en soi, mais un instrument d’information et de connaissance.

Deuxième principe : l’individualisme, au fondement de la démocratie occidentale de Périclès à Lord Acton en passant par Erasme. Le respect de la propriété privée et des libertés individuelles implique de lutter férocement contre toute forme de planisme et de centralisation. Hayek associe sans nuance le socialisme au totalitarisme dans la mesure où ils imposent des fins collectives supérieures aux choix de chacun. Cette fermeté conceptuelle mérite d’être retrouvée à une époque où, en France, la droite a perdu tout repère idéologique. Est-ce à dire que l’individualisme tolère les inégalités ? Oui. L’essentiel est que l’élite se renouvelle pour conserver son rôle moteur. A rebours, l’égalitarisme conduit à la stagnation et au déclin. C’est tout le sens du bilan social de Margaret Thatcher, qu’elle avait revendiqué lors de sa dernière intervention de Premier Ministre à la Chambre des Communes : les inégalités ont progressé (le coefficient de Gini a clairement crû lors des années 80 au Royaume-Uni), mais l’ensemble des salaires a augmenté, et la mobilité sociale (dans les deux sens !) s’est accélérée comme jamais. Autrement dit : les pauvres sont moins pauvres, les riches plus riches, mais ce ne sont ni les mêmes pauvres, ni les mêmes riches.

Troisième principe : la concurrence, seule à même de briser les rentes et de laisser leur chance aux nouveaux entrants, aux plus créatifs, aux plus talentueux. La concurrence est-elle aveugle ? Certainement, car elle est juste : la déesse Thémis n’a-t-elle pas les yeux bandés ? La concurrence est le moteur même de la catallaxie, ce concept hayékien qui explique comment un ordre global surgit du désordre des intérêts particuliers (en accord, sur le plan scientifique, avec les théories modernes du chaos). Cette concurrence doit s’appliquer à tous les domaines, y compris par exemple le système monétaire, pour lequel Hayek prône la « dénationalisation » hors des banques centrales (en route aujourd’hui avec Bitcoin !). Pour autant, l’Etat garde un rôle primordial, que Hayek a toujours affirmé : "pour que la concurrence puisse jouer un rôle bienfaisant, une armature juridique soigneusement conçue est nécessaire". L’Etat doit créer les conditions dans lesquelles la concurrence sera la plus efficace possible, la remplacer là où elle ne peut être efficace, et prodiguer les biens publics que le privé ne saurait assurer.

Quatrième principe : la légalité. "On peut soit établir un code de la circulation, écrit Hayek, soit dire à chaque passant et à chaque automobiliste où il doit aller". La liberté n’existe que dans un environnement juridique stable et au-dessus de tous les intérêts particuliers. Peu de règles, mais précises et aussi immuables que possible. Sur le plan international, Hayek est donc fort logiquement en faveur d’un système de normes supra-national, avec comme pendant la décentralisation des processus de décisions locaux. Hayek serait donc à la fois en faveur d’une Europe fédérale bien pensée, et horrifié par les dérives interventionnistes de la bureaucratie bruxelloise.

Cinquième principe : la responsabilité, unique source de la moralité. "Une décision n’a de valeur morale, écrit Hayek, que dans la mesure où nous sommes responsables de nos propres intérêts et libres de les sacrifier ". De même qu’on ne peut vivre aux dépens d’autrui, on ne peut être vertueux aux frais des autres. En revanche, être responsable et libre de ses actes permet de devenir authentiquement généreux. Ce principe moral personnel se traduit sur le plan social par une conception universaliste du "filet de sécurité". Dans une société civilisée, l’Etat a le devoir d’assurer le minimum vital à ses citoyens (nourriture, logement), ainsi que d’organiser (mais pas de prodiguer) un système d’assurances sociales (santé, chômage). Nul doute que Hayek aurait soutenu les principes de l’Obamacare, qui veille à ce que chacun soit pris en charge par une assurance sans imposer un monopole d’Etat.

Liberté, individualisme, concurrence, légalité, responsabilité : autant de principes qui ont fait le triomphe de l’Occident, dont le reste du monde s’inspire aujourd’hui pour se développer à grande vitesse, mais que, comme le remarque mélancoliquement Niall Ferguson en conclusion de son dernier essai Civilization, nous n’osons plus assumer. En hommage à Margaret Thatcher, glissons vite dans les mallettes de nos hommes politiques quelques exemplaires de Hayek.

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