"Forward us" : Mark Zuckerberg vient-il d’inventer le parti politique à la sauce XXIème siècle ou un gadget de com’ ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Mark Zukerberg est un entrepreneur. Il défend la position de son entreprise. Ça n'est pas nécessairement l'intérêt des citoyens américains."
"Mark Zukerberg est un entrepreneur. Il défend la position de son entreprise. Ça n'est pas nécessairement l'intérêt des citoyens américains."
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FWD.us

La patron de Facebook Mark Zuckerberg vient de fonder un groupe de pression politique militant pour l'ouverture des frontières américaine à l'immigration de travailleurs qualifiés. Simple gadget ou futur acteur incontournable de la scène politique américaine ?

Benoît Thieulin

Benoît Thieulin

Benoît Thieulin est le fondateur de l'agence La Netscouade et président du Conseil National du Numérique.

En 2006-2007, il a participé à la campagne Internet de Ségolène Royal, notamment à travers la création du site Désirs d'Avenir.

 

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Atlantico : Mark Zuckerberg vient de fonder un groupe de pression baptisé FWD.us aux cotés de puissants patrons du secteur des hautes technologies tels que la patronne de Yahoo Marissa Meyer, le président de Google Eric Schmidt. L'objectif : peser sur les débats autour de la réforme de l'immigration, pour assouplir les critères et ouvrir les frontières aux talents potentiels. Ils se prononcent aussi sur l'éducation, la recherche, etc. Simple gadget ou futur acteur incontournable de la scène politique américaine ?

Benoît Thieulin : Il ne s'agit certainement pas d'un gadget. D'abord parce que cela s'inscrit dans des pratiques déjà largement répandues dans la démocratie américaine : le lobbying, dans lequel les entreprises jouent un rôle majeur et au vu de tous, depuis longtemps. Ensuite, parce que les grandes entreprises numériques américaines l'ont déjà pratiqué : l'équivalent du débat Hadopi a eu lieu, la bas aussi, et les lois Sopa-Pipa ont été empêchées en grande partie grâce aux pressions des géants de la Silicon Valley, comme Google, sur le congrès mais aussi à leurs interventions directes dans le débat public. Enfin, la contribution au PIB américain de l'écosysteme numérique dont fait partie Facebook, est déjà considérable, et le sera plus encore demain : ce sont donc des acteurs qui disposent d'un poids économique déterminant pour légitimement intervenir dans le débat politique américain. 

Portée par de puissants patrons du secteur des hautes technologies et de l'Internet, quelle peut être la force de frappe d'une telle organisation ? Pourra-t-elle rivaliser en influence avec les partis conventionnels ? Ce type d'organisation politique ne rend-il pas obsolètes les partis politiques classiques et l'action des politiciens professionnels ?

Concernant le débat sur l'immigration, leur force de frappe a déjà consisté a ouvrir le débat, et à faire connaitre puissamment leur position. Et le chemin parcouru n'est pas négligeable, loin de la : il s'agit d'un revirement assez profond de la politique d'immigration des US, au moins depuis Reagan, qui se prépare peut être. Les effets de leur intervention se font donc fortement sentir, et vont peser sur les débats au congrès. 

Je suis plus réservé, en revanche, sur la rivalité avec les partis politiques traditionnels : il s'agit avant tout d'un lobby, aussi puissant, jeune et innovant soit il. Certes, leur objectif est de connecter, de mobiliser, de mettre sous tension la société pour peser sur le débat public. Mais leur différence tient surtout, pour le moment, à leur gigantesque poids médiatique, à leur connexion aux décideurs publics, à commencer par le Président Obama lui-même : la Silicon Valley a irrigué de ses membres l'aile gauche de la maison blanche depuis 2008 ! Forcément, ça connecte... 

Par ailleurs, on retrouve une certaine naïveté politique derrière l'idée d'une organisation bi-partisane et presque consensuelle. Or, la technologie clive. Elle créée de nouvelles lignes de fractures politiques, qui, certes traversent souvent l'échiquier politique traditionnel. Mais celui ci se recompose et finit par épouser une partie de ces nouveaux clivages. Cela a été le cas, notamment, sur bon nombre de sujets liés au digital ou, au final, les démocrates se sont opposés aux républicains. 

De quelle évolution cette participation toujours plus forte des acteurs économiques et médiatiques dans la vie politique est-elle le signe ?

Elle est le signe, au delà même des acteurs économiques et médiatiques, de la montée en puissance de la société sur les intitulions traditionnelles : les entreprises de la vieille économie, la presse, la TV, l'université, les syndicats, etc.  Longtemps, on a cru que les partis politiques constituaient l'avant garde de la société. Cela parait cruellement l'inverse aujourd'hui...

La révolution numérique est une révolution de l'empowerment : elle arme d'abord et surtout ceux qui n'avaient pas ou n'avaient que très peu de pouvoir médiatique, économique ou politique jusque la. Les individus, les citoyens, les consommateurs, les malades, les employés disposent aujourd'hui de moyens considérables pour s'exprimer comme les plus grands médias, de s'organiser comme les plus puissantes institutions. Et nous en sommes au commencement ! Ça ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur le débat public, sur nos choix politiques, mais plus encore a terme sur le fonctionnement même de nos démocraties...

Une telle incursion des patrons dans la vie politique est moins répandue en France. Est-ce à déplorer ? Est-ce en voie de changement ?

Notons-en d'abord les limites : Mark Zukerberg est un entrepreneur. Il défend la position de son entreprise, de son secteur. Ça n'est pas nécessairement l'intérêt des citoyens américains. Et probablement moins encore celui des pays du sud : la réouverture de la politique migratoire, c'est  aussi le pillage organisé des élites des pays émergents ! Le brain drain, plus encore qu'hier, constitue l'un des signes les plus visibles de l'impérialisme à l'ère de la société de la connaissance. Certes, il ne présente pas que des inconvénients, notamment en matière de formation.  Mais l'on voit bien qu'il faut un débat politique, avec des acteurs politiques, qui représentent les citoyens et non pas seulement quelques entreprises afin d'aborder ce problème globalement et tenter de trouver ou se situe vraiment l'intérêt général... Ce que Facebook défend, c'est d'abord l’intérêt de Facebook ! Même s'il peu  y avoir des convergences, il n'y aura jamais d'identité systématique entre l’intérêt d'une ou de plusieurs entreprises, et le Bien Commun... 

En France, le monde des affaires a toujours moins pesé ouvertement, via des lobbies, qui se font discrets. Son influence d'antichambre se glisse peut-être davantage dans l'osmose existante entre les élites privées et publiques. Mais de la révolte des pigeons aux investigations de Mediapart en passant par les travaux de Regards Citoyens, on voit bien que la tendance est également à l'émergence de nouveaux acteurs qui s'invitent dans le jeu politico-médiatique traditionnel et n'en respectent pas les coutumes : ce sont les hackers de l'establishment ! 

Et c'est une lame de fond qui porte de nouvelles formes d'organisations, de médiatisation, et une nouvelle culture : plus de coopération, plus de transparence, plus d'empathie ; des débats plus pragmatiques, étayées par des données (les fameuses datas) et par des faits (le fameux factchecking).  Ce mouvement dépasse très largement la création de FWD.us qui apparait comme un hacker du système traditionnel parmi de nombreux autres. Et leurs rangs vont grossir. Comme leurs pouvoirs...

Propos recueillis par Julie Mangematin

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