Le gouvernement voit-il que ses reformes de moralisation risquent de réserver la politique aux seuls fonctionnaires ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande et son Premier ministre Jean-Marc Ayrault
François Hollande et son Premier ministre Jean-Marc Ayrault
©Reuters

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François Hollande, dans sa volonté de moraliser la classe politique, a exprimé le souhait de voir inscrire dans la loi l’interdiction pour les parlementaires d’exercer des activités professionnelles "qui peuvent appeler un conflit d’intérêts". Jean-Marc Ayrault va plus loin en précisant que les exceptions à cette règle seront "mentionnées dans la loi". Travailler dans le privé serait-il incompatible avec la pratique de la représentation parlementaire ?

Bruno de la Palme

Bruno de la Palme

Bruno de la Palme est journaliste économique et politique. Après la direction du service économique de RFI, il a participé au lancement de l’émission Capital sur M6. Il est aujourd’hui réalisateur indépendant de documentaires pour la télévision. Il a publié 100 ans d'erreurs de la gauche française (la Boite à Pandore 2012).

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Atlantico : François Hollande, dans sa volonté de moraliser la classe politique, a exprimé le souhait de voir inscrire dans la loi l’interdiction pour les parlementaires d’exercer des activités professionnelles « qui peuvent appeler un conflit d’intérêts ». Jean-Marc Ayrault va plus loin en précisant que les exceptions à cette règle seront « mentionnées dans la loi ». Etre avocat ou membre d’une coopérative agricole serait donc incompatible avec la pratique de la représentation parlementaire ? Faut-il être uniquement fonctionnaire pour pouvoir être député ou sénateur ?

Bruno de La Palme : Les socialistes sont redoutablement habiles, pas en matière économique hélas, ça se saurait, mais en manipulation de l’opinion. Ce sont des orfèvres. Un ministre socialiste se fait prendre la main dans le sac (on n’ose dire le Cahu-sac) ? Avec un culot d’acier et une idéologie sortie du meilleur des mondes d’Aldous Huxley c’est toute la classe politique, à commencer par la droite, qu’Hollande semble accuser au motif que l’argent et les intérêts sont forcément de droite. On rêve !

Formés à l’école de la redoutable dialectique marxiste, ils savent comment vous mettre la vérité à l’envers. Une machine très efficace. Un peu comme ces ingénieurs agricoles dans la Hongrie communiste des années 50 qui se font repérer pour avoir osé critiquer l’idée folle du dictateur Rakosi de planter des orangers autour du lac Balaton. Ineptie décidée au nom du communisme tout puissant alors qu’il y gèle à pierre fendre l’hiver. Les ingénieurs qui avaient pourtant prévenu du désastre seront finalement  envoyés au goulag, accusés d’avoir fait saboter le plan avec le gel des orangers ! C’est une préfiguration de l’univers de George Orwell qu’on ferait bien d’avoir en tête avant d’accepter des réformes de ce genre.

Car ils s’apprêtent tout simplement à interdire par loi que des professions entières soient représentées à l’Assemblée Nationale. Médecins, agriculteurs, chefs d’entreprise ou avocats n’ont qu’à bien se tenir. Une négation absolue de la démocratie. Il n’y a plus qu’à autoriser les membres d’un parti unique et c’est l’antichambre de l’Union soviétique.  

Pour bien comprendre l’origine de ce « petit meurtre entre amis parlementaires » concocté par les socialistes, il faut bien connaitre le dessous des cartes.

Le voici : les fonctionnaires et issus d’entreprises publiques représentent en moyenne 50% des parlementaires (contre 20% de la population active). Or une étude de Bernard Lemmenicier (dans le cri du contribuable novembre 2005) indiquait qu’en  2002 –et la situation n’a pas changé- les socialistes avaient 72% de fonctionnaires dans leur groupe à l’Assemblée Nationale contre 42% au sein du groupe UMP. C'est-à-dire que le PS avait 70% de plus de fonctionnaires que la droite UMP. Ce constat amène une vérité très dérangeante pour la gauche : les députés UMP représentent sociologiquement beaucoup mieux la France que la gauche, cantonnée à la fonction publique. On s’en doutait mais pas à ce point-là !

Dès lors on voit bien leur intérêt à légiférer pour renforcer encore un peu plus cet « avantage » pour eux, mais qui sera désastreux pour le pays. Avec cette loi la France ne serait plus dirigée que par une Assemblée d’apparatchiks assurés de retrouver leur poste en cas de défaite.

Les élus issus du privé sont dans une position plus délicate que leurs homologues issus de la fonction publique, qui une fois leur mandat expiré ont la garantie de retrouver leur poste d’origine. Yves Jégo a déclaré que si la loi devait être votée, il « se poserait réellement la question de savoir s’il garderait son mandat de député ». Pourrait-on assister à une « fuite » des élus issus du privé, qui ne seraient pas prêts à sacrifier à la politique leur avenir professionnel ?  

Cette discrimination pour ne pas dire cette chasse aux députés non fonctionnaires va être aussi redoutable qu’arbitraire. La gauche va scruter profession par profession, presque grade par grade. Ensuite la vindicte populaire orchestrée fera le tri. Les médecins seraient-ils autorisés ou non ? Et sur quels critères ? Selon le montant de leurs honoraires ? Les avocats d’affaires eux, sont clairement déjà exclus, nos Robespierre de la vertu vont en faire un épouvantail tout trouvé. Ça tombe bien il n’y en pas à gauche mais c’est au contraire le cas des deux principaux dirigeants de l’UMP, Copé et Fillon. Les chefs d’entreprise vont être bannis du Parlement  au nom de la chasse aux vilains riches, l’antienne préférée de la gauche. Quant aux cas des Dassault père et fils, on va sans doute faire valoir que leur niveau de fortune est incompatible avec la représentation nationale. En quelque sorte le cens électoral à l’envers. En 1789 à l’instar des Anglais, nos révolutionnaires avaient acté qu’il fallait avoir un minimum de bien - payer l’impôt- pour être considéré comme responsable et pouvoir voter ou être élu. Aujourd’hui avec les socialistes ce sera l’inverse ! Il faudra être fonctionnaire, n’avoir jamais rien entrepris et surtout ne rien connaitre au secteur privé ni à l’entreprise pour pouvoir être « digne » de représenter la France. On craint le pire !

Ainsi la moitié du pays réel qui travaille et crée des richesses pour financer par l’impôt les fonctionnaires et le guichet social des aides, aussi énorme qu’incontrôlé, n’aurait plus droit à être représentée au Parlement ! Ça sent le coup d’Etat par la loi. Espérons que nos juristes fassent torpiller cette infamie au conseil Constitutionnel dont l’article 1 de la loi scélérate serait ainsi rédigée. « Seuls les fonctionnaires, et les chômeurs sont éligibles au Parlement. »

La réaction d’Yves Jego est symptomatique : il a été Conseiller en ressources humaines et il est éditeur. Après un mandat, il n’a, contrairement aux fonctionnaires, aucune garantie de retrouver quoi que soit. Pour faire passer la pilule, certains socialistes avancent le fait que les fonctionnaires pourraient certes toujours retrouver leur poste, mais qu’ils n’auraient plus droit à l’avancement ! Ainsi nos députés fonctionnaires collectionnaient les points d’indice durant leur mandat, retrouvant donc un salaire automatiquement supérieur au leur au moment de leur élection. Une discrimination impensable dans le privé où on perd son poste de salarié si on ne l’assure plus ! Ce que la gauche n’a pas compris c’est l’exaspération de nos concitoyens vis-à-vis de ces privilèges des fonctionnaires, à l’exemple de leurs fameux régimes spéciaux de retraites. Prenons garde à ce que cette réforme ne rende les fonctionnaires encore plus impopulaires, ce qu’ils ne méritent pas. Mais on connait l’adage, qui veut faire l’ange, fait la bête. A vouloir laver plus rose que blanc, les socialistes ouvrent la boîte de Pandore.

On reproche souvent à nos parlementaires d’être déconnectés des réalités. En jetant ainsi hors de l’hémicycle les personnes issues du secteur privé, pour qui il peut être compliqué de mettre totalement entre parenthèses leurs activités professionnelles, le gouvernement ne fait-il pas perdre encore plus de crédibilité aux élus du peuple, devenus officiellement des « professionnels de la politique » ? Auront-ils tous le même profil ? Peut-on dire que le gouvernement cède à l’idéologie ? N’y a-t-il pas d’autres moyens de s’assurer de l’intégrité des parlementaires, sans dresser encore une fois les secteurs du privé et du publique l’un contre l’autre ?

Bien sûr qu’il y a d’autres moyens de contrôles, d’ailleurs ils existent déjà, avec l’état du patrimoine d’un parlementaire examiné avant et après son mandat. On n’a pas besoin de cet étalage ridicule de nos politiques avec leur Twingo rouillée à 150 000 Km, leur PEA à 650,35 €. Il ne manque plus que la cage du canari et les raquettes de tennis en supplément des canoës kayak auxquels on a déjà eu droit. Franchement on est la risée du monde entier.

Mais il y a plus grave. Le Risque d’uniformisation de la pensée est énorme avec cette réforme scandaleuse. Comment voulez-vous que les députés fonctionnaires du PS comprennent quoi que ce soit à l’économie de marché. Outre leur idéologie passéiste qui a baigné dans le marxisme, l’origine sociologique de ces fonctionnaires est évidemment une des explications du refus obstiné de la gauche face au réel. Le déni de réalité est une constante chez eux. Thierry Mandon, député PS, le reconnaissait benoitement en marge d’une visite de Hollande en juillet dernier dans une usine d’équipementier automobile. Après le lamentable épisode du lynchage des dirigeants de PSA dans l’affaire de la fermeture de l’usine d’Aulnay, le président avait soudainement loué les chefs d’entreprise. Aux journalistes qui voulaient comprendre le pourquoi de ces contorsions idéologiques, un coup contre les sales patrons riches, un coup pour leur dire que le redressement du pays passait par eux, le député PS précisait : « Hollande et Montebourg sont sur la même ligne. On essaye de trouver  un nouveau discours sur l’entreprise. Cette préoccupation est nouvelle à gauche. Autrefois, à part DSK, personne ne parlait d’entreprise au PS ». L’aveu est effarant : la gauche arrive au pouvoir en 2012 sans rien connaitre à l’entreprise, et alors même qu’elle a gouverné la France 15 ans depuis 1981, à égalité de temps avec la droite, cohabitations comprises. Ils n’avaient donc rien appris ! C’est la triste confirmation qu’Hollande a été élu sur un mensonge.

Pire encore avec ce nivellement des députés et sénateurs  par les fonctionnaires, on est sûr qu’aucune réforme ne passera plus en France ! Les fonctionnaires ne vont pas voter la suppression de leurs propres avantages, encore moins la réduction de leurs effectifs pléthoriques. Vous me demandez si le gouvernement cède à l’idéologie ? Mais il baigne dedans depuis le début comme les socialistes  français depuis un siècle, d’où le titre de mon livre : 100 ans d’erreurs de la gauche !

Si la France tombe dans ce piège mortel, le monde saura qu’elle est finie, incapable de se réformer. Je crains que notre crédibilité soit à mettre au passé. Qui croit encore à la boîte à outils du Président bricoleur ? Le mot employé a hélas tout résumé. Décidément Hollande n’est pas Schröder, pas davantage Tony Blair.

La France a besoin d’un sursaut avant qu’il ne soit trop tard.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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