Ce que Cazeneuve oublie un peu vite quand il se réjouit du bilan de la lutte contre la fraude fiscale<!-- --> | Atlantico.fr
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Bernard Cazeneuve a annoncé une hausse du contrôle fiscal en 2012.
Bernard Cazeneuve a annoncé une hausse du contrôle fiscal en 2012.
©Reuters

Peut mieux faire

Bernard Cazeneuve, qui a succédé à Jérôme Cahuzac au poste de ministre du Budget, annonce une hausse du contrôle fiscal en 2012. Pourquoi cette augmentation n'est pas significative ?

Noël  Pons et Eric Bocquet

Noël Pons et Eric Bocquet

Noël Pons a été inspecteur des impôts, fonctionnaire au  Service central de prévention de la corruption (SCPC). Il  dispense de nombreuses formations antifraude et  anticorruption en France et à l'étrangel est l'auteur de "La corruption des élites" chez Odile Jacob.

Eric Bocquet est sénateur du Nord (Nord-Pas-de-Calais), membre du Parti communiste. Il fait également parti de la commission des finances.

 
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Atlantico : Dans un article des Echos, publié ce jour (lire ici), Bernard Cazeneuve déclare que le contrôle de la fraude fiscale en 2012 est 10% supérieur à 2011 et 45% supérieur pour les gros fraudeurs. Comment analysez-vous ces résultats dont il se félicite ? Qu'est-ce qui a changé dans le dispositif de lutte contre la fraude qui puisse justifier cette amélioration ?

Eric Bocquet : Je mets ces résultats en parallèle avec la croissance continue de la fraude et de l’évasion. Notamment en rapport avec l’augmentation des flux que l’enquête Offshoreleaks a pu confirmer. Au printemps 2012, à l’occasion des travaux de la commission d’enquête, Pascal Saint-Amans, Directeur Centre de politique et d’administrations fiscales de l’OCDE évoquait 350 schémas d’optimisation fiscale, il y a quelques semaines, devant le Sénat, il en évoquait 400. Cette évolution montre que l’ingénierie est toujours à l’œuvre, que la croissance est constatée, les flux croissent et embellissent d’où l’urgence d’intervenir très concrètement et très vigoureusement par rapport à ces phénomènes. C’est un chantier énorme, car tout cela a été installé depuis plusieurs décennies par le monde de la finance. L’enjeu est tel que c’est une question de pérennité de la République et de la Démocratie.

Noël Pons : J’en suis ravi, si les résultats du contrôle augmentent, les sommes en cause allégeront d’autant les cotisations de gens honnêtes qui ne fraudent pas ; de plus cela va -à la condition que la courbe se poursuive- commencer à créer une sensation de risque qui pourrait inverser les tentatives de fraude. De plus, on sait que dans une population donnée à peu près 20% des personnes frauderont, 20% ne frauderont jamais et les 60% restant basculent vers la fraude si le risque est ressenti comme nul. Il faut aussi noter la différence entre les fraudes de moyen et de très haut niveau. Pour les grands fraudeurs, il faut 6 mois voire un an de recherche avant d’avoir le début d’une opération. L’analyse de la grande fraude ne pas se faire d’une année sur l’autre mais sur une durée plus longue. A l’heure actuelle, on a un début de recul.

Le chiffre total de l'évasion fiscale au niveau mondial pourrait atteindre l'équivalent de 10 fois le PIB de la France, selon l’ONG Tax Justice Network (soit entre 16 344 et 25 000 milliards) : les chiffres de Bernard Cazeneuve ne sont-ils pas une goutte dans l'océan ?

Noël Pons : Le chiffre de l’évasion fiscale est immense, il faut distinguer l’évasion qui consiste à utiliser les textes pour payer moins d’impôts et la fraude. Cependant, un premier ministre britannique avait coutume de préciser que souvent la différence entre les deux était l’épaisseur des murs dans lesquels étaient enfermés les fraudeurs. La goutte d’eau s’il s’agit d’une goutte reste cependant à la fois symbolique et puissante car elle montre que les jeux ne sont pas faits et qu’il est désormais décidé de poursuivre les fraudeurs et l’industrie de la fraude car il s’agit d’une véritable industrie exceptionnellement et qu’on découvre ces derniers jours que les prémisses de cette lutte apparaissent en Europe ce qui est une très bonne nouvelle. De plus, dans une telle situation de crise, cela aura un effet d’entraînement qui remettra à sa place la recherche de l’intérêt général au détriment du sauve-qui-peut individualiste.

Eric Bocquet : Notre commission d’enquête avait estimé le chiffre de l’évasion entre 40 et 50 milliards d’euros pour la France, et 1000 milliards pour l’Union-européenne. Ces chiffres montrent que tous les pays de l’Union sont concernés, il n’y a pas que la France qui fait fuir ses patrimoines et ses multinationales. Le phénomène est international. Les chiffres sont immenses il ne faut pas se leurrer, ni se réjouir trop vite.

Dans un économie mondialisée, où les mouvements de capitaux sont très rapides, l’État dispose-t-il des moyens et des outils nécessaires pour lutter efficacement contre la fraude fiscale ? Quelles sont les autres pistes pour améliorer cette lutte ?

Eric Bocquet : On avait préconisé un renforcement des moyens humains, des moyens techniques. On a souvent constaté que les fraudeurs avaient un coup d’avance sur les administrations fiscales. Il va falloir ouvrir le chantier au niveau de l’Europe, car il existe des paradis fiscaux en Europe. il faut exiger une transparence absolue, et imposer à ces grands groupes la présentation d’une comptabilité pays par pays. C’est une revendication portée par de nombreuses ONG.

Noël Pons : Le fiscal n’est que l’un des moyens de lutter contre la criminalité financière, les poursuites pénales pour blanchiment, la lutte contre la corruption constituent aussi des moyens qu’il convient de coordonner et d’organiser, et l’échange de renseignements entre les divers pays est un point essentiel de cette recherche.

Le dispositif actuel ne favorise-t-il pas plus la "prise" des petits fraudeurs plutôt que des gros ?

Eric Bocquet : Cette remarque est pertinente, dans l'évasion fiscale on trouve l’évasion physique des gros patrimoines, la partie visible de l’iceberg : Cahuzac, Depardieu… Mais il y a toute la partie invisible des prix de transferts pratiqués par les multinationales à travers le monde, qui utilisent les paradis fiscaux pour stocker leurs profits de manière à les abriter d’une fiscalité trop importante à leurs yeux, et les pertes éventuelles apparaissent en France. Ils représentent une masse cachée qui n’apparaît aux yeux du public. Les échanges intra-groupes représentent 60% du commerce mondial, le gros de l’évasion se trouve là.

Noël Pons : Les grands fraudeurs sont toujours plus difficiles à prendre que les petits car ils disposent de moyens incommensurables pour préparer les montages, en amont de l’opération frauduleuse, pour les améliorer en cours d’utilisation pour faire disparaître les preuves en cas dérapage, c‘est pas nouveau, rappelons-nous "selon que vous serez puissants ou misérables…" C’est cependant une bonne nouvelle de savoir que les contrôles des grands fraudeurs ont sensiblement augmenté, on aurait pu perdre patience.

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