Abenomics : pourquoi la politique monétaire du Japon profite surtout aux pays du sud de l'Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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La politique monétaire du Premier ministre Shinzo Abe profite surtout aux pays du sud de l'Europe.
La politique monétaire du Premier ministre Shinzo Abe profite surtout aux pays du sud de l'Europe.
©Reuters

On n'y avait pas pensé...

Alors que la BCE poursuit sa politique de rigueur monétaire, la politique ultra-accommodante de la Banque centrale du Japon - Abenomics du nom du Premier ministre japonais Shinzō Abe - permet contre toute attente aux pays du sud de l'Europe de profiter de taux sur leurs dettes plus faibles une semaine seulement après sa mise en place. Voici pourquoi.

Alexandre Baradez

Alexandre Baradez

Alexandre Baradez, 33 ans, diplômé de l'ESCE (Paris/La Défense) en 2003 a d'abord évolué plusieurs années chez BNPPARIBAS puis la Banque ROBECO en gestion privée avant de rejoindre SAXO BANQUE en 2009 en tant que Sales Trader. Son expérience des marchés financiers et plus particulièrement du marché des devises lui confère rapidement le rôle d’Analyste Marchés. Interlocuteur privilégié des médias français, il délivre quotidiennement des analyses sur les marchés financiers, tendances, risques macro-économiques et participe régulièrement à des conférences dédiées aux investisseurs. En novembre 2013, il rejoint le groupe IG, leader mondial des CFD, côté à Londres au FTSE 250, en tant que Chief Market Analyst.

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Atlantico : Le programme de rachat massif de la Banque du Japon, la banque centrale du pays, lancé la semaine dernière semble profiter aux pays du sud de l'Europe qui voient leurs taux obligataires (les taux auxquels s'endettent les États sur les marchés) se détendre. Comment expliquer ce phénomène ? Est-ce pour cette raison que la France a emprunté à 1,71% pour des emprunts à dix ans (un record historique pour l'Hexagone) la semaine dernière ?

Alexandre Baradez C’est en partie pour cette raison. Pour bien comprendre l’évolution des taux d’emprunt de la France et notamment du "10 ans" qui est le taux de référence, il est important de ce souvenir du calendrier et du contexte économique. A la fin de l’année 2011, les taux à 10 ans français évoluaient au-dessus de 3,50% date à laquelle la BCE a décidé de lancer la première tranche du LTRO qui consistait en des prêts de courte durée à faible taux aux acteurs financiers. Opération renouvelée quelques mois plus tard début 2012 pour un montant global sur les 2 opérations de 1 000 milliards d’euros. L’effet a été immédiat et le "10 ans" français est rapidement repassé sous les 3%. Cette tendance baissière s’est ensuite prolongée courant 2012 et a été accentuée par l’aggravation de la crise de la dette en zone euro qui a vu la dette française agir comme valeur refuge pour des investisseurs fuyant la dette espagnole ou italienne et celle des pays périphériques.

Puis vinrent les déclaration chocs de Mario Draghi à l’été 2012, et la volonté de préserver l’euro à tout prix, qui ont créé une forte vague de détente du risque, entrainant la hausse des marchés actions en Europe et la recherche d’actifs risqués tout en maintenant les taux d’emprunt de la France à des niveaux bas (proche des 2% à mi-2012 et incursion sous ce niveau à fin 2012). Ce qui est plus surprenant, et qui est clairement imputable à l’action entreprise par la Banque du Japon, cumulée à l’action de FED (la planche à billet, ndlr) outre-Atlantique, c’est que dans une phase de retour du risque (crise chypriote, mauvais PMI, hausse du chômage, récession, etc.) et donc de baisse des marchés, non seulement le taux d’emprunt de la France a poursuivi sa baisse pour flirter avec les 1,70% sur 10 ans, un taux historiquement bas, mais surtout les pays fragiles qui habituellement voyaient leurs taux augmenter (Espagne, Italie), ont également connu une trajectoire baissière similaire.

L’objectif clairement affiché par la BoJ est de doubler la masse monétaire d’ici deux ans pour favoriser un retour de l’inflation à 2% et relancer la croissance économique. Face à de la dette japonaise dont le rendement est mécaniquement affaibli, les investisseurs privés de l’archipel se tournent vers la dette étrangère qui offre de meilleurs rendements avec un risque modéré, notamment la dette des pays européens "semi-core" (c’est-à-dire les pays qui ne constituent pas le cœur de la zone euro)

Ce phénomène est-il amené à se poursuivre à plus long terme ou la politique monétaire ultra-expansionniste du Japon est susceptible de peser négativement sur l'économie européenne et, par conséquent, les taux obligataires des États européens ?

A l’image de ce qui se produit sur le marché des changes avec l’affaiblissement massif du yen face aux devises principales comme l’euro ou le dollar, une bonne partie de l’effet d’annonce de la Banque du Japon est déjà dans les cours, n’oublions pas que dès la fin 2012 et l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe, le yen a commencé à s’affaiblir violemment face aux principales devises avant même que les opérations monétaires ne soient confirmées. Il en va de même pour les taux. Toutefois rien n’indique que sur le marché des changes la tendance d’affaiblissement du yen s’arrête à court terme même si une consolidation est possible alors que sur le marché de la dette et notamment pour la dette française, les fondamentaux vont progressivement revenir au cœur du débat et de l’appréciation du risque.

En effet, les "paramètres" de la France ne cessent de se dégrader : hausse du chômage, croissance de seulement 0.1% anticipée en 2013 avec un alignement des prévisions du gouvernement sur le chiffre de la Commission européenne, ralentissement de l’activité industrielle, report de l’objectif de déficit à 3% du PIB en 2014, déficit commercial alors qu’au même moment, l’Allemagne affiche certes une croissance molle mais un budget presque à l’équilibre, un excédent commercial une nouvelle fois en hausse en ce début d’année et un taux de chômage largement inférieur à la moyenne européenne.

Or les taux d’emprunt de la France et de l’Allemagne sur 10 ans sont relativement proches (aujourd’hui 1.8% pour la France et 1.25% pour l’Allemagne). Il est donc probable que le taux d’emprunt de la France se stabilise sur les niveaux actuels voire remonte un peu, même si le contexte européen reste toujours tendu, notamment pour l’Italie engluée dans une crise politique avec un taux d’endettement qui frise les 130% du PIB ou encore l’Espagne plombée par un taux de chômage dramatiquement élevé, à plus de 25% de la population active.

Si la zone euro profite à court terme des politiques expansionnistes japonaise, la BCE va t-elle se conforter dans sa position de rigueur monétaire ?

La question est parfaitement légitime dans la mesure ou pour l’instant, la BCE n’a pas eu à agir concrètement pour calmer les marchés. Il y a encore quelques semaine, le débat qui animait les politiques et observateurs étaient celle du "haut" niveau de l’euro, alors que celui-ci avoisinait les 1,37 $. Sans même agir, la BCE constate que le taux de change de l’euro est aujourd’hui de 1,30 $ après être tombé il y a quelques jours à 1,275 $... Même constat avec le programme OMT, visant à racheter de la dette souveraine pour faire baisser les taux d’emprunt des pays fragiles. Depuis l’annonce de la mise en place de ce programme, le taux d’emprunt à 10 ans de l’Espagne est passé de 7.50% (mi-2012) à 4.70% actuellement…sans même que la BCE ait déclenché ce programme ! Le BCE ou l’art de la dissuasion…Sauf qu’aujourd’hui le problème en zone euro mute. D’un problème de taux élevé, on passe à un problème de liquidité et de crédit notamment dans les pays sous "surveillance" comme l’Espagne ou l’Italie.

En effet, et comme Mario Draghi l’a justement rappelé, on assiste à un problème de transmission monétaire. En clair, les banques ont accès aux liquidités de la BCE mais les acteurs économiques (entreprises notamment) ont difficilement accès aux liquidités de banques…ce qui freine la reprise économique. Un action sur les taux directeurs (baisse de 0,75% à 0,50%) aurait peu d’effet sachant que le niveau actuel est déjà faible et que le problème est plus un difficulté d’accès au crédit que de coût du crédit. La BCE pourrait donc assouplir sa politique monétaire par des mesures supplémentaires comme la modification de la qualité des collatéraux exigés aux banques (les contreparties exigées par la banque centrale lorsqu'elle leur octroie un prêt, ndlr) ou encore la mise en place de taux négatifs sur les dépôts pour inciter les banques à réinjecter les liquidités dans l’économie réelle.

Sachant encore une fois que tout ne dépend pas de la BCE mais aussi des gouvernements. L’Italie vient récemment de voter un décret ouvrant la voie à un remboursement de 40 milliards de dette contractées par l’administration publique envers les entreprises privées. 40 milliards, cela représente presque la moitié du déficit de la France en 2012.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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