Menace nord-coréenne : qui de Pyongyang ou des Etats-Unis joue le plus un double jeu ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats de l'armée nord-coréenne.
Des soldats de l'armée nord-coréenne.
©Reuters

Alliés objectifs

Certains services de renseignements et complotistes estiment que les gesticulations nord-coréennes n'ont pour but que de justifier la présence américaine en Asie. Au détriment de la Chine.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Depuis fin mars 2013, lorsque le dictateur "éternel" de Pyongyang, Kim Jong-un, a menacé la Corée du Sud et les Etats-Unis de frappes nucléaires, le scénario d’une “troisième guerre mondiale” ou d’un cataclysme régional ne peuvent plus être écartés, même si les gesticulations menaçantes, souvent prévisibles, du régime nord-coréen sont essentiellement destinées à obtenir des avantages (abandon de sanctions, aides alimentaires et financières internationales, etc.). Mais dans le registre des théories conspirationnistes en vogue sur le Net et dans certains services de renseignements, l’apparente irrationalité du régime de Pyongyang cacherait une "alliance objective" entre la Corée du Nord totalitaire d’une part, et les Etats-Unis et la Corée du Sud, de l’autre.

Selon cette thèse, la menace représentée par le régime de Pyongyang, soutenu depuis 1948 par la Chine, servirait à justifier la présence militaire américaine dans la région et ne serait pas aussi hostile que l’on croit aux intérêts sud-coréens, les bases américaines permettant au régime de Séoul de limiter ses couteuses dépenses militaires. Certes, on ne peut nier que la chute du régime communiste du Nord est plus que souhaitée par la Corée du Sud, mais cette dernière y aurait aussi à perdre en termes économiques. Car le coût d’une chute du régime de Pyongyang - et donc d’une réunification payée forcément par le Sud - oscillerait entre 500 et 3.000 milliards de dollars, et pourrait sérieusement ralentir la croissance économique du "dragon" sud-coréen, diminuant ainsi la compétitivité de ses entreprises.

Rivalités Japon-Corée du Sud

Le Japon craint lui aussi l’ennemi nord-coréen, qui l’a souvent menacé militairement, mais il redoute également une réunification des deux Corée qui doublerait la puissance géostratégique de son principal rival économique sud-coréen, dont les produits, déjà meilleurs marchés que les siens, seraient encore plus compétitifs grâce aux coûts de main d’œuvre très bas de nord-Coréens extrêmement pauvres. Dans ce scénario, Goldman Sachs place la Corée du Sud au huitième rang économique mondial en 2050, devant l’Allemagne et le Japon. Par ailleurs, une réunification des deux Corée, détentrice du feu atomique, obligerait le Japon à se doter de l’arme nucléaire, ce qui serait fort coûteux et ce dont elle ne veut pas, tant en raison de la crise économique que de l’abandon progressif du nucléaire civil (depuis le drame écologique de Fukushima).

Double jeu américain ?

Ainsi, certains experts aux visions fort cyniques expliquent que si les Etats-Unis ont laissé faire la Corée du Nord pendant des années, l’aidant même à acquérir une industrie nucléaire, jusqu’à ce que le régime nord-coréen se dote, sans intervention américaine (contrairement à l’Irak…), de l’arme atomique, c’est en fait parce que la Corée du Nord ferait partie des "ennemis utiles", menace qui servirait de prétexte à la présence militaire US au sud de la Chine… Cette véritable "asian belt", ceinture asiatique (ou Rimland), face au nouvel Heartland chinois, aurait pour rôle non pas seulement de contenir la menace nord-coréenne, danger réel mais aussi prétexte au maintien de bases US, mais surtout d’encercler le vrai ennemi géostratégique des Etats-Unis : la Chine, alliée de la Russie au sein de l’organisation de la Conférence de Shanghaï (OCS), alliance des puissances ex-soviétiques et de la Chine face à l’hégémonie américaine.

D’où l’idée folle qui court dans certains milieux selon laquelle le jeune dictateur nord-coréen, si longtemps élevé en Suisse et pris en compte par les services secrets nord-américains, serait téléguidé par les ennemis de son propre régime... Bien sûr, cette thèse se heurte à l’objectif primordial actuel de Washington et de ses alliés locaux de tenter de convaincre Pékin d’exercer des pressions sur Pyongyang afin que ce régime totalitaire renonce à sa stratégie nucléaire du "fou au fort". Officiellement, Washington rêverait de remplacer le régime de Pyongyang par un régime plus sage, qui demeurerait forcément pro-chinois et dictatorial, mais qui pourrait abandonner ses ambitions nucléaires en échange d’une aide économique et d’une levée des sanctions internationales.

Mais officieusement, les stratèges américains savent que les Chinois y verraient un double avantage : éviter une guerre mondiale sino-coréo-américaine que l’axe Chine-Corée du Nord perdrait forcément, puis supprimer la justification morale et stratégique de la présence militaire américaine dans la région… Ce scénario rassurant, que certains dignitaires et stratèges chinois n’écartent pas, ne convainc en fait pas totalement ou pas du tout ni le régime nord-Coréen, que les Chinois maîtrisent de moins en moins, ce qui est évident, ni même les Etats-Unis, qui perdraient la légitimité et la justification de leur présence militaire dans la péninsule coréenne.

Le jeu plus raisonnable qu’on le croit de la Chine

D’un côté, la Chine a intérêt à défendre l’encombrant allié nord-coréen, sur lequel elle peut faire pression, puisque le régime de Pyongyang ne peut pas vivre sans les échanges et l’aide de la Chine. Certes, la Chine voit dans la Corée du Nord un pion stratégique, et bien que faisant mine de désapprouver son encombrant partenaire, elle s’est toujours opposée à l’application de sanctions internationales réellement fermes et susceptibles de provoquer la chute du régime de Pyongyang.Elle n’a jamais souhaité ni eu intérêt à rompre avec la Corée du Nord, qui lui a attribué la gestion d’installations portuaires nord-coréennes qui lui procure un avantage commercial sur ses concurrents japonais et sud-coréens. Sur le plan stratégique, la Corée du Nord constitue donc pour Pékin un avant-poste pro-chinois sur sa frontière sud-est, face aux alliés militaires des Etats-Unis que sont la Corée du Sud (qui abrite 30 000 soldats et marins américains) et le Japon voisin. L’allié militaire nord-Coréen permet de surcroit à la Chine de "déléguer" la surveillance militaire de cette partie orientale de l’Asie du sud pour mieux se concentrer sur Taïwan, autre pierre d’achoppement entre les Etats-Unis et la Chine. Mais d’un autre côté, Pékin sait que plus le régime nord-coréen menace les alliés de Washington, plus cela justifie la présence américaine et l’augmentation des capacités militaires nippones et sud-coréennes, ce qui nuit aux objectifs chinois visant au contraire à bouter hors d’Asie les forces américaines. Par conséquent, le régime chinois a surtout intérêt à détruire toute légitimité à la présence militaire américaine, que fournit paradoxalement son incontrôlable allié nord-Coréen incontrôlable... Ceci fait dire aux adeptes des théories les plus cyniques que le statu quo qui dure depuis des années dans cette partie hautement sismique de l’Asie orientale n’est pas forcément le plus indésirable de tous, et qu’il peut même être utile aux intérêts US dans la région… A condition bien sûr que les menaces nord-coréennes demeurent de simples gesticulations, à l’instar des menaces militaire nucléaires iraniennes sur Israël qui justifieraient, selon les adeptes de visions géopolitiques cyniques et complotistes, la présence de bases américaines dans le Golfe arabo-persique… Mais comment en être sûr ? Toute la question est là…

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