Pourquoi s'inquiète-t-on toujours de la partialité des politiques vis-à-vis des magistrats et rarement de l'inverse ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les magistrats du siège sont-ils réellement indépendant du pouvoir politique en France ?
Les magistrats du siège sont-ils réellement indépendant du pouvoir politique en France ?
©Flickr / m.gifford

Droit de réserve

Les juges Tournaire et Gentil, en charge de l'affaire Bettencourt, avaient signé en juin une tribune anti-Sarkozy dans Le Monde. De quoi jeter la suspicion sur leur impartialité.

Xavier Bebin

Xavier Bebin

Xavier Bebin est secrétaire-général de l'Institut pour la Justice, juriste et criminologue. Il est l'auteur de Quand la Justice crée l'insécurité (Fayard)


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Atlantico : Le juge Tournaire a demandé la perquisition du domicile de Patrick Buisson jeudi 4 avril dans le cadre de l’affaire des sondages de l’Elysée, dont un des plaignants est l'association Anticor... Or, Christiane Taubira ferait partie du comité de parrainage de cette association. Les magistrats du siège sont-ils réellement indépendants du pouvoir politique en France ?

Xavier Bébin : Il faut revenir au fond du problème, qui est en réalité la violation par bon nombre de magistrats du devoir de réserve auxquels ils sont tenus, et la multiplication de prises de position politiques de juges censés être neutres. Cela pose d’abord un problème de légitimité démocratique. Prenons l’exemple des peines plancher, particulièrement significatif : on se souvient que les deux principaux syndicats de magistrats s’y sont fermement opposés, alors que la mesure faisait partie des engagements de campagne du président élu en 2007 et qu’elle a été largement votée par le Parlement. Mais si les juges peuvent se permettre de critiquer les lois, comment les citoyens peuvent-ils être sûrs qu’elles seront loyalement appliquées ? Et de fait, dans le cas des peines plancher, les statistiques confirment cette suspicion : au tribunal de Bobigny, où le syndicat de la magistrature est particulièrement présent, les peines plancher ferme ne sont appliquées qu’à 2 % des récidivistes, un taux 10 fois inférieur à la moyenne nationale !

Au total, on s’émeut à juste titre des interférences de l’exécutif sur le judiciaire, mais on ne se rend pas suffisamment compte de la gravité des empiètements du pouvoir judiciaire sur le pouvoir politique. On a d’ailleurs atteint des sommets durant la dernière campagne présidentielle, puisque l’un des deux principaux syndicats de la magistrature a appelé à voter François Hollande (!) et l’autre a fait la même chose sans le dire, en publiant à quelques semaines de l’élection un bilan au vitriol de l’action de Nicolas Sarkozy dans un rapport intitulé – tout en nuance – « 2007 – 2012 : les heures sombres ».

Autre exemple, le juge Tournaire et le juge Gentil, en charge d’instruire l’affaire Bettencourt, ont tous deux signés une tribune dans le Monde en juin dernier pour dénoncer les réformes de la justice entreprises sous le quinquennat Sarkozy…

Oui, et on arrive là au deuxième problème posé par la violation du devoir de réserve : elle fait naître le soupçon sur la solidité des procédures visant les élus. Quand deux magistrats, le juge Tournaire et le juge Gentil, signent un manifeste critiquant vertement la politique judiciaire menée par Nicolas Sarkozy, qui est en puissance un candidat très sérieux à l’élection de 2017,  n’y a-t-il pas une suspicion légitime quant à leur impartialité ? Leur prise de position n’a-t-elle pas révélée un intérêt objectif à ce que Nicolas Sarkozy ne réaccède pas au pouvoir, afin qu’il ne puisse pas à nouveau mettre en oeuvre la politique que ces juges désapprouvent ? Je ne dis pas que les juges Gentil et Tournaire ne sont pas capables de faire la part des choses et de mettre de côté leurs opinions politiques ; le problème n’est pas là. Mais selon un vieux principe réaffirmé la Cour européenne des droits de l’Homme, il ne suffit pas que la Justice soit bien rendue : il faut qu’il soit visible et manifeste qu’elle ait été rendue de façon impartiale.

On arrive d’ailleurs au mélange des genres le plus total quand on s’aperçoit que cette tribune des deux magistrats est également signée par une association appelée Anticor, dont Christiane Taubira, l’actuelle garde des Sceaux, fait partie du comité de parrainage. Or Anticor est l’association qui a porté plainte et qui est partie civile dans l’affaire des sondages de l’Elysée. Donc non seulement le juge d’instruction qui enquête sur cette affaire se retrouve avoir co-signé une tribune de nature politique avec une association qui est partie à cette procédure. Mais, comme si cela ne suffisait pas, la Garde des Sceaux elle-même est juge et partie puisqu’elle est à la fois membre d’Anticor et supérieure hiérarchique des magistrats du Parquet.

Bref, toutes ces suspicions qui affaiblissent la Justice sont liées en grande partie au dévoiement du devoir de réserve et c’est pourquoi l’une des grandes pistes de réforme que je lance dans mon nouveau livre (Quand la Justice crée l’insécurité, Fayard) est la remise à l’ordre du jour de ce devoir de réserve.

Par quoi peut passer ce rétablissement ?

Il n’y a pas besoin de loi. En théorie, le devoir de réserve incombe toujours aux magistrats et à leurs syndicats. Ce n’est que par la pratique, par ce que Jean-Claude Magendie appelle dans son dernier livre des « lâchetés successives », que l’on a cessé de faire appliquer ce devoir de réserve alors qu’il existe toujours dans les textes. C’est ainsi que l’on a progressivement déréglé nos institutions, jusqu’à la caricature que constitue l’appel au vote Hollande par le syndicat de la magistrature.

Aurait-il fallu le sanctionner ?

Il faut effectivement rétablir les poursuites et sanctions pour chacune des violations du devoir de réserve, y compris lorsqu’elles émanent de juges syndiqués. C’est la condition d’une justice apaisée, d’une démocratie retrouvée dans laquelle chacun fait son travail : le législateur fait les lois, les juges les appliquent.

Les juges pourront alors mener des procédures sans que l’on puisse douter de leurs motivations profondes. C’est d’autant plus nécessaire que les responsables politiques ne sont pas au dessus des lois et qu’ils doivent pouvoir être poursuivis efficacement s’ils ont commis des infractions.

Afin de garantir l’indépendance absolue de la justice, le président de la République, François Hollande, prévoit de de réformer le Conseil supérieur de la magistrature. L’indépendance de la justice passe-t-elle par une réforme de cette institution ?

Non, car la réforme proposée ne règlera pas la question de l’indépendance de la Justice, et accentuera le risque que la politique pénale soit déconnectée de la volonté populaire. Or, comme je l’explique dans le chapitre de mon livre intitulé « il faut rendre la justice aux citoyens », il est très dangereux de vouloir déconnecter les magistrats du Parquet des attentes des citoyens.

Le Parquet décide des priorités en matière de poursuites, il décide des peines qui doivent être requises. C’est ce qu’on appelle la politique pénale, et en tant que politique, elle doit être issue d’un choix des citoyens. Il serait donc dangereux, d’un point de vue démocratique, de couper totalement le cordon entre la politique pénale des Parquets et le suffrage universel.  

Il faut donc faire un choix entre deux grandes solutions. L’une est de faire des Parquetiers des préfets judiciaires, qui mèneront loyalement la politique pénale voulue par le gouvernement. La seule condition pour que ce système soit viable est que l’on trouve le moyen d’éviter les interférences du politique dans les affaires individuelles, et en particulier les affaires sensibles.

L’autre solution est, comme aux Etats-Unis, d’élire les procureurs. Cela permet à la fois aux procureurs d’être totalement indépendants vis-à-vis des responsables politiques, tout en étant connectés directement à ce que souhaite la population en matière de politique pénale.

Mais il faut faire un choix, car le pire est système est celui que nous avons actuellement, avec un Parquet à la fois insuffisamment connecté aux aspirations des citoyens et encore suffisamment lié à l’exécutif pour  maintenir la suspicion dans les affaires sensibles.

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