Affaires Cahuzac, Bettencourt et duel NKM-Hidalgo : un parfum de Panama sur la Vème<!-- --> | Atlantico.fr
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Le journal Le Monde considère qu'il n'y a pas de crise de régime et que le "bouclier" des institutions protège François Hollande.
Le journal Le Monde considère qu'il n'y a pas de crise de régime et que le "bouclier" des institutions protège François Hollande.
©Reuters

Crise de régime

L'affaire de corruption liée au percement du canal de Panama, qui éclaboussa plusieurs hommes politiques et industriels français durant la IIIème République, fut à l'origine d'une forte montée de l'antiparlementarisme en France. Un siècle plus tard, bis repetita ?

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : "Nous sommes au bord de la crise de régime", a déclaré Eva Joly suite aux révélations sur Jérôme Cahuzac. Le journal Le Monde considère lui qu’il n’y a pas de crise de régime et que le "bouclier" des institutions protège François Hollande. Êtes-vous d’accord avec cette analyse ?

Thomas Guénolé : Non. En économie, ce qui compte avant tout pour que les choses se passent bien, c’est la confiance : confiance des consommateurs, confiance des investisseurs, confiance des entrepreneurs, et ainsi de suite. Que cette confiance vienne à manquer et l’économie stagne, voire entre en récession. C’est la même chose en politique : quand la confiance s’estompe, tout ce que les élus peuvent tenter de bâtir est un château de cartes, accueilli par l’opinion publique avec un haussement d’épaules, entre indifférence et agacement distant.

En quoi les affaires qui se multiplient entraînent-elles une crise de régime ?

Fondamentalement, si les Français conservent une certaine confiance envers leurs élus locaux, en revanche, l’opinion publique adhère à la thèse du « tous pourris » dès qu’il est question des élus nationaux – députés, sénateurs – et des ministres. Il s’ensuit un défaut de crédibilité quand un homme politique veut lancer une réforme de grande envergure : par exemple, allez donc défendre une politique fiscale d’austérité quand le précédent ministre du Budget est accusé de blanchiment de fraude fiscale. Plus largement, la conséquence logique est une perte de valeur de la parole politique : quoi que puisse promettre la classe politique nationale, les gens n’y croient plus. À cela s’ajoute, dans le cas spécifique de François Hollande, une crainte croissante dans la population, y compris l’électorat de gauche, quant au fait qu’il n’aurait ni la compétence ni l’envergure pour présider la République par temps d’orage.

Il y a déjà eu des affaires politico-judiciaires par le passé. Alors, est-ce si grave ?

Ce serait une erreur de sous-estimer le rejet. Le climat judiciaire actuel génère chez les Français un état d’écoeurement et de nausée. Rendez-vous compte de ce qui s’est accumulé en l’espace de quelques semaines. Le ministre du Budget a démissionné sous le coup d’accusations de blanchiment de fraude fiscale et a avoué une partie des faits. Le ministre de l’Economie est soupçonné de complicité et se défend en sous-entendant que son ex-collègue l’a manipulé. Le président de la République lui-même est suspecté d’avoir su davantage qu’il ne le dit et plus tôt qu’il ne le dit. Son prédécesseur a été mis en examen pour abus de faiblesse sur une riche nonagénaire. Un livre-enquête accuse le président par intérim du principal parti d’opposition d’un bourrage d’urnes digne d’une République bananière. Les deux principales candidates à la mairie de Paris mettent à peine quelques jours à finir par s’affronter au moyen d’accusations judiciaires et de plaintes en justice. Et ainsi de suite.

De la même manière que l’accumulation de faits divers à la télévision a pu donner aux Français l’impression d’un pays à feu et à sang, cette accumulation de scandales et d’accusations leur donne aujourd’hui l’impression que la classe politique nationale dans son ensemble est moralement indéfendable.

En définitive, le climat politique d’aujourd’hui a comme un parfum de Panama, du nom de ce scandale de corruption qui, à la fin du XIXe siècle, éclaboussa la classe politique au point de mettre en danger l’existence même de la démocratie parlementaire.

On n’en est quand même pas là…

À voir. Au fil des jours et des semaines, les noms d’hommes politiques sont livrés à la presse pour s’ajouter à la liste des accusés de corruption, de fraude ou de triche : c’est comme cela qu’avait commencé le scandale de Panama, par ce mécanisme d'accumulation. De fait, si les accusations continuent à s’accumuler, gauche, droite, gauche, droite, à tour de rôle, alors le résultat sera le même qu’à l’époque : beaucoup de carrières politiques obérées, ce qui est secondaire, et la flambée du « tous pourris » dans l’opinion, ce qui est le terreau d’une crise du régime.

Rendez-vous compte que l’on commence déjà à évoquer dans les médias la nécessité d’une opération « Mains propres » à l’italienne, opération qui avait décimé dans ce pays les partis et la classe politique des années quatre-vingt-dix et qui y avait normalisé l’extrême droite dans le jeu politique.

L’idée d’un référendum sur la moralisation de la vie politique, défendue par le PS, ou les idées de règlements plus durs contre la corruption et la fraude fiscale en politique, peuvent-elles rétablir la confiance ?

Hélas non. Encore une fois, quoi que la classe politique nationale propose en la matière, la rupture de confiance est telle que les Français n’y croiront pas. Il faudrait donc aller radicalement vers un système de transparence financière totale, sur le modèle de la Suède, pour que l’opinion publique commence à prendre ces initiatives au sérieux et reprenne confiance en la classe politique. Ce serait là un changement de société extrêmement lourd, à ne pas prendre à la légère : reste à savoir si la classe politique est prête à rendre des comptes sur ses moindres dépenses et à vivre dans la « maison de verre » de la transparence patrimoniale et financière intégrale.

Cette crise de régime peut-elle profiter aux extrêmes ?

Par définition, oui, puisque quand les partis du système politique sont en crise, les partis anti-système gagnent du terrain. D’ailleurs, à la fin du XIXe siècle, le scandale de Panama avait nourri pour plusieurs décennies l’antiparlementarisme, en particulier d’extrême droite. On peut songer à l’Action française de Charles Maurras, qui aurait pu assommer la IIIe République si son chef n’avait pas refusé d’envoyer des candidats aux élections du fait de son idéologie monarchiste absolutiste. Plus tard, on peut songer aux Croix-de-feu du colonel François de la Rocque, qui lors des émeutes du 6 février 1934 aurait possiblement été en mesure de renverser la IIIe République si elles avaient joint leurs forces à celles des autres émeutiers antiparlementaristes.

Cependant, ceux qui affirment que les extrêmes d’aujourd’hui progressent électoralement font une erreur d’analyse. Jean-Luc Mélenchon n’a pas fait progresser le poids électoral de l’extrême gauche : il a réunifié cet électorat sous sa bannière, c’est différent. Le Front national ne progresse pas significativement dans les urnes, même aux élections partielles récentes : il voit simplement son score augmenter parce que l’abstention flambe sans que ses propres électeurs s’abstiennent, c’est différent. En d’autres termes, les extrêmes ne progressent pas par surcroît d’adhésion. Ils progressent par défaut.

François Hollande peut-il sortir de cette crise de régime ?

Oui, par le passage à un système de transparence financière totale à la suédoise. Les autres pistes possibles, forcément plus complexes, donc illisibles pour l’opinion publique et susceptibles d’avoir des vices de construction les rendant inefficaces, feraient long feu. Reste à savoir si, indépendamment du « bouclier » des institutions de la Ve République, François Hollande a l’autorité politique de conduire des réformes : cela ne dépend pas des institutions.

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