Croissance (nominale) : et si la vraie boîte à outils pour sortir de la crise était là, sous nos yeux ? <!-- --> | Atlantico.fr
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De "nouveaux instruments" vont être créés pour relancer l'économie européenne.
De "nouveaux instruments" vont être créés pour relancer l'économie européenne.
©Wikimédia/DocteurCosmos

Changement de mandat

Mario Draghi a annoncé que la Banque centrale européenne allait créer de "nouveaux instruments" pour relancer l'économie européenne. L'outil monétaire peut-il sortir l'Europe de la crise ?

Nicolas Goetzmann et Guy Martin

Nicolas Goetzmann et Guy Martin

Nicolas Goetzmann est stratégiste macroéconomique et auteur d'un rapport sur la politique monétaire européenne pour le compte de la Fondapol.

Guy Martin pour la rédaction d'Agora. Présents dans 14 pays et sur les 5 continents, les rédacteurs d’Agora éditent chaque jour leurs propres dépêches en langue anglaise pour couvrir tous les évènements de l’actualité économique et financière intéressants pour les investisseurs particuliers.

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Atlantico : Alors que la zone euro devrait connaitre une contraction de son PIB au quatrième trimestre 2012 selon les estimations de l'Insee, avant un léger rebond au premier (+0,1%) et deuxième (+0,2%) trimestre 2013, Mario Draghi a annoncé jeudi que la BCE, dont la politique monétaire ne crée pas l'unanimité chez les observateurs, allait créer de "nouveaux instruments" pour relancer l'économie européenne. En insistant sur le caractère budgétaire de la crise, l'Europe s'est-elle trompée de diagnostic et de combat ? A-t-elle sous-estimé l'outil monétaire pour la sortir de la crise ?

Nicolas Goetzmann : Vous noterez que Mario Draghi répète sans cesse qu’il recherche une solution dans le cadre du mandat qui lui est confié. Il a également déclaré que son mandat n’était pas "le plein emploi". Et c’est bien là tout le problème. Mario Draghi s’évertue à trouver une solution là où il n’y en a pas. Le problème, c’est le mandat de la BCE, pas la BCE elle-même. Ils ne sont que les simples exécutants d’une politique monétaire absurde.

Il appartient aux responsables politiques de modifier le mandat, même si nous pourrions attendre des membres de la BCE un appel au secours, en démontrant aux pouvoirs politiques leur incapacité de traiter efficacement la crise avec les moyens dont ils disposent. Tous les outils qui seront déployés par la BCE seront malheureusement inefficaces car ils ne pourront être que des mécanismes de défense, et non une cure. Le mandat ne permet pas d’aller plus loin, au contraire des États Unis par exemple.

Guy Martin : Je ne suis pas sûr qu’en injectant plus de 1 000 Mds€ dans les banques en 2011 et 2012, la BCE ait sous-estimé l’outil monétaire. Jusqu’en 2014 les banques européennes bénéficient d’un crédit illimité auprès de la BCE : un open bar pour alcooliques. Le bilan de la BCE est deux fois supérieur à celui de la Fed. Or on ne joue pas avec une monnaie comme avec un bout de viande. Faut-il rappeler que c’est la monnaie qui garantit les salaires et l’épargne des particuliers, les fruits de longues années de labeur mises de côté pour une retraite ou une maison. Or aujourd’hui, à cause de l’action de la BCE, c’est maintenant notre épargne qui garantit les avoirs spéculatifs que la BCE a échangé aux banques contre de la monnaie fraîchement créée Ne nous étonnons pas du retour des paniques bancaires.

Bien sûr la surenchère de la Banque du Japon qui va créer 1 400 Mds$ dans les deux prochaines années ferait passer Mario Draghi, pour un monétariste rigoriste. La bourse japonaise à fêté l’annonce en retrouvant ses niveaux de 2008. Réjouissons-nous!

Le cas du Japon devrait pourtant susciter notre méfiance. Alors que l’Occident est entré dans une spirale déflationniste en 2008, le Japon y est depuis le début des années 1990. La Banque du Japon est un vétéran de ce que vous appelez «l’outil monétaire». En 2001, elle s’est fendue d’une note pour expliquer qu’elle mettait alors un terme aux injections massives de monnaie car elles étaient totalement inefficaces. Cela devrait éclairer sur l’efficacité des LTRO, SMP, OMT, QE et autres acronymes européens et américains qui désignent de telles opérations. Entre 1992 et 2003 la dette du Japon est passé de 60% du PIB à 160% suite à 13 plans de relances docilement soutenus par la Banque du Japon.

Les médias n’ont plus de mémoire et c’est dramatique. Créer de l’argent ex-nihilo et à tour de bras ne crée pas de croissance. Cela n’existe pas. On le sait depuis 1936, le Japon des années 1990 l’a prouvé, l’action des banques centrales depuis 2008 continue de le démontrer. Tout le monde applaudit sourdement la décision de la Banque du Japon les deux mains moites d’angoisses alors même que celle-ci, las de 20 ans de crise, est en train de se faire harakiri.

Si la Banque centrale européenne prenait en compte comme objectif principal non pas l'inflation mais la croissance nominale - qui inclut la croissance et l'inflation - comme le proposait un moment Mark Carney, le nouveau gouverneur de la Banque d'Angleterre, cela permettrait-il à la zone euro de retrouver la voie de la croissance et de l'emploi ?

Nicolas GoetzmannOui, cela ne fait aucun doute. L’objectif de croissance nominale a pour vocation première de soutenir la demande sur le même rythme que celui que l’Europe a connu entre la création de la monnaie unique et 2007, soit 4% par an (ventilée entre 2% de croissance réelle et 2% d’inflation en moyenne). De plus, un tel objectif a vocation à faire rattraper le retard pris sur le chemin de la croissance durant ces cinq années de crise, et permet ainsi une forte réduction du taux de chômage pour tendre vers le plein emploi.

L’objectif de PIB nominal correspond à une prise de conscience de l’origine monétaire de cette crise, et de la définition de celle-ci comme une crise de la demande. En opérant ce diagnostic les États-Unis ont permis une baisse significative de leur taux de chômage. Si nous couplons cette réforme monétaire à des réformes budgétaires d’ampleur (de la même manière que le Royaume Uni), nous pourrons à la fois faire baisser le taux de chômage conjoncturel et le taux de chômage structurel.

Guy Martin :Aujourd’hui la BCE a un objectif d’inflation de 2% pendant que les Etats devraient avoir pour objectif 2% de croissance économique. Fixer un objectif 4% de croissance nominale a la BCE est assez tentant. Si les Etats n’atteignent pas leurs objectifs de croissance économique alors la BCE prend le relais et injecte davantage de liquidités pour stimuler l’économie et relancer la croissance. Quand, au contraire la croissance remonte, la BCE jugule l’inflation et évite toute surchauffe de l’économie. Sur le papier c’est le monde merveilleux de Mickey.

En réalité, il y a une confusion immense sur l’inflation. Communément l’inflation est la hausse des prix. Mais historiquement, étymologiquement et de manière rigoureuse, l’inflation est l’augmentation de la masse monétaire. La hausse des prix est uniquement un effet possible de l’inflation. C’est contre-intuitif mais ce n’est pas parce qu’il y a plus d’argent en circulation que les prix augmentent et inversement. Durant l’hyperinflation de la République de Weimar en 1923, le cours du papier mark est divisé par 10 000 000 000 (10 mille milliards) sans grande augmentation de la masse monétaire. 

La cause de l’hyperinflation de Weimar est la vitesse de circulation de la monnaie, l’argent qui brûle les doigts. La circulation de l’argent est bien plus importante que son volume. Un billet de 10 euros qui s’échange 10 fois dans la même journée contribue bien plus à la hausse des prix qu’un billet de 500 planqué sous un matelas. Malheureusement, estimer la vitesse de circulation de l’argent est d’une complexité sans fin. Et comme pour les enfants, ce que je ne vois pas n’existe pas, c’est un biais cognitif classique. Donner à la BCE un objectif de croissance nominal revient à estimer qu’une gestion active du volume d’argent en circulation peut influencer la croissance. Je le répète, c’est une illusion.

Dans le même temps, la planche à billet n'a t-elle pas ses propres limites dans la mesure où un processus de destruction monétaire naturel vient contre-produire ses effets ? La prise en compte de la croissance nominale n'est-elle donc qu'un objectif vain ?

Nicolas Goetzmann : Ce que vous appelez "destruction monétaire" n’est rien d’autre que la conséquence d’une récession, qui est elle-même provoquée par le mandat de stabilité des prix de la BCE. L’objectif de croissance nominale corrige le fondement même du problème de la zone euro. La simple annonce de sa mise en place aura pour effet de modifier lourdement les anticipations de croissance des acteurs économiques, ce qui entraînera rapidement une relance de l’investissement, des embauches, de la consommation…de la croissance en somme.

Une politique monétaire est avant tout une politique de communication, le marché s’organise autour des objectifs qu’elle se fixe. La Fed indique que son objectif est d’atteindre 6.5% de chômage, les acteurs économiques savent donc qu’ils peuvent investir jusqu’à ce que le taux de chômage soit effectivement de 6.5%, ils savent que la banque centrale est derrière eux. De la même manière, avec un mandat d’objectif de PIB nominal, les acteurs investiront et embaucheront jusqu’à ce que la croissance nominale atteigne le chiffre annoncé. Une banque centrale annonce un objectif, les acteurs économiques obéissent et s’organisent en fonction de celui-ci. Et ce pour une raison simple, il n’est pas question de douter de la capacité de l’autorité monétaire à atteindre son objectif, c’est une certitude.

Guy Martin :Nous commençons tout juste à entrevoir le processus de destruction monétaire. Jusqu’à présent l’argent créé ex-nihilo par la BCE a été « stocké » dans les coffres des banques, en bourse, immobilier et dettes souveraines. C’est ce stockage qui annule l’effet escompté de la « planche à billet ». Car rien n’est arrivé jusqu’à l’économie réelle, cet argent n’ayant pas de contrepartie réelle (croissance, usine, service, innovation etc.). Oui dans une deuxième phase, la destruction monétaire risque d’être un effet pervers à la mesure des 5 dernières années de création débridée, c’est-à-dire incommensurable. Pratiquement quand les marchés action et obligataire dévisseront ce sera autant de « destruction monétaire », c’est ce qui est en train de commencer sur le marché immobilier et qui risque fort d’arriver quand l’État actera que non, il ne remboursera pas sa dette.

C’est le sens de l’Histoire.

Les autres outils de politique monétaire utilisés jusqu'à présent par la BCE – notamment les programmes de rachat de titres publics SMP (Securities Markets Programme) et OMT (Outright Monetary Transactions) – étaient-ils appropriés ?

Nicolas Goetzmann : Encore une fois, ces mécanismes se sont avérés utiles dans une logique de protection de l’euro, mais non comme mécanisme de sortie de crise. Il s’agit de la différence entre une stabilisation du patient et sa guérison. La "guérison" est illégale au regard du mandat de la BCE, et c’est bien le sens de la déclaration de Draghi lorsqu’il dit "notre mandat n’est pas le plein emploi."

Guy Martin :Bien sûr, la politique monétaire de la BCE jusqu’à présent conforme à sa logique. De là à dire qu’elle est appropriée, c’est une autre affaire. Les programmes SMP et OMT sont les outils qu’à utilisés la BCE pour racheter aux banques des tombereaux de dettes souveraine après le défaut grec.

C’est là que la magie opère un court instant. En 2011, les banques européennes sont mal en point : les dettes des Etats seraient en fait des placements spéculatifs... regardez c’est bien la Grèce qui est en train de faire faillite sous nos yeux ébahis. La BCE échange donc les dettes pourries de nos vieux Etats contre de l’argent frais qui sert à... racheter des dettes de ces mêmes Etats.

Evidemment, comme la pression sur les dettes souveraines baisse par l’action musclée de la BCE, on se dit que les dettes de l’Italie et de l’Espagne ne sont peut-être pas si spéculatives, c’était l’objet de l’opération. Elle a le mérite de laisser du temps pour les réformes. C’est là que le bât blesse, de réforme il n’y a point eu. D’ailleurs en Italie il n’y a même plus de gouvernement du peuple. Et Grillo veut griller l’euro. La Banque des Règlements Internationaux, vénérable grand-mère des banques centrales, le note dès Juin 2012 : «l’extraordinaire persistance de politiques monétaires laxistes est à mettre sur le compte des gouvernements dont l’action est insuffisante pour régler leurs problèmes structurels. Bref, les banques centrales sont acculées pendant que les gouvernements trainent des pieds et remettent leurs réformes à plus tard.»

Le système est d’une perversité sans limite. Les banques commerciales n’achètent pas tant de dettes souveraines par insouciance. La réglementation Bâle III, définie au début des années 2000, les y incite car selon les critères de Bâle les dettes souveraines n’ont pas besoin de contrepartie. En clair, les banques n’ont pas besoin de mettre de liquidités de côté pour le cas où un Etat ferait faillite. Et comme Bâle III impose de lourdes contreparties pour les autres classes d’actifs, les banques équilibrent leurs comptes avec des palanquées de dettes souveraines. Au passage, le comité de Bâle regroupe les grandes banques centrales, celles-là mêmes qui rachètent les dettes souveraines pourries après avoir incité les banques commerciales à les acheter... Ces politiques monétaires profitent bien évidemment aux Etats exsangues et impuissants et au système bancaire chargé de mauvaises dettes qui ne seront jamais remboursées... mais nous, citoyens et contribuables, risquons d’être les dindons de la farce.

Est-il imaginable que les pays de la zone euro en viennent à faire évoluer le mandat de la BCE ?

Nicolas Goetzmann : S’ils ne le peuvent pas, nous pouvons faire nos bagages tout de suite, parce que cela signifie que l’euro disparaitra. Je suis persuadé qu’une initiative portée par la France visant à accepter de mettre en place des réformes de structure tout en négociant une simple évolution du mandat de la BCE vers le modèle américain est possible. Cela permettrait d’intégrer le terme de croissance dans les prérogatives de l’autorité monétaire et enfin la prise en compte de la baisse du chômage comme objectif économique. Une révision du mandat se fait à l’unanimité, il faut donc négocier.

Guy Martin :Le mandat de la BCE a déjà évolué, implicitement, considérablement et illégalement. Selon ses statuts, la BCE n’a pas le droit d’acheter de dette souveraine directement. La racheter aux banques depuis 2011 est un tour de passe-passe grossier. Certains économistes, emmenés par l’Allemand Markus Kerber estiment que la BCE se préoccupe de politique budgétaire, ce qui contrevient à la sacro sainte indépendance de la banque centrale. Ils ont d’ailleurs assigné la Bundesbank en justice et maintenant s’attaquent à la BCE.

En rachetant de mauvaises dettes souveraines et à foison, la BCE a transféré le risque des banques commerciales sur ses livres de comptes, elle est en train de devenir une bad bank sauf qu’elle est garante de l’euro. En protégeant les Etats de la faillite, la BCE met en péril la souveraineté monétaire de l’Europe et à votre niveau l’existence même de votre épargne : peste ou choléra, dans tous les cas vous paierez, comme contribuable (on collectivisera les pertes de tout le monde) ou comme épargnant (on confisquera une partie de vos dépôts).

En France par exemple c’est la Caisse des Dépôts qui est en train de saigner à cause de Dexia. Or c’est elle qui gère les dépôts de vos livrets A et le patrimoine de l’Etat. Pour sauver Dexia on sacrifie votre épargne. Le principe même de la Ve République - « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » est bafoué. Mais que connaissons-nous encore du sens de ces mots?

Au-delà, quels nouveaux types d'instruments pourraient être développés pour stimuler la croissance en zone euro ?

Nicolas Goetzmann : L’outil maître d’une banque central est son objectif. Le Japon vient de modifier le sien, ce qui a permis trois révisions successives à la hausse de son niveau de croissance, et un optimisme évident qui se traduit par une hausse de 45% du Nikkei en quelques mois. Les États-Unis ont également obtenu les meilleurs résultats en modifiant leur objectif, en l’occurrence il s’agit de viser un taux de chômage de 6.5%. Le 1er juillet prochain, la Bank of England modifiera le sien. Le consensus est mondial sur ce point, et je rappelle que la zone euro est la seule en récession. Tous les autres outils que la BCE mettra en place seront des gadgets de protection et ne pourront pas, par nature, offrir de solution à la crise en Europe.

Guy Martin : Nos systèmes de redistribution sont fondés sur des hypothèses de croissance aujourd’hui délirantes. Mais comme nous ne savons pas réformer notre Etat providence nous cherchons la croissance. Il y a cependant une erreur fondamentale dans les termes. Une politique monétaire sert à des ajustements conjoncturels certainement pas à des réformes structurelles.

L’injection phénoménale de liquidités par la BCE a certes permis aux Etats de s’endetter encore un peu plus et de stimuler un ersatz de croissance. Cette « croissance » est littéralement volée à l’avenir, à nous-mêmes et à nos enfants. Encore une fois, une politique monétaire n’est jamais source de croissance. Cela n’existe pas

Propos recueillis par Olivier Harmant

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