Mais pourquoi ne le virent-ils pas : Arnaud Montebourg serait-il plus dangereux à l’extérieur du gouvernement qu’il ne l’est à l’intérieur ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls et Arnaud Montebourg sont "des rivaux programmés pour la relève générationnelle à la tête du Parti socialiste."
Manuel Valls et Arnaud Montebourg sont "des rivaux programmés pour la relève générationnelle à la tête du Parti socialiste."
©REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Intrus

Interrogé jeudi matin sur BFMTV, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls a reconnu que s'il avait été Premier ministre, il aurait « sans doute » viré un ministre qui lui aurait fait les remarques qu'Arnaud Montebourg a faites en décembre à Jean-Marc Ayrault. Le ministre du redressement productif avait dit au Premier ministre : « Tu fais chier la terre entière avec ton aéroport de Notre-Dame-des-Landes, tu gères la France comme le conseil municipal de Nantes ».

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : Interrogé jeudi matin sur BFMTV, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls a reconnu que s'il avait été Premier ministre, il aurait « sans doute » viré un ministre qui lui aurait fait les remarques qu'Arnaud Montebourg a faites en décembre à Jean-Marc Ayrault. Comment interpréter cette déclaration de Manuel Valls ?

Thomas Guénolé : Il y a là, de la part du ministre de l’Intérieur, un positionnement politique et un positionnement de plan de carrière.
Sous l’angle du positionnement politique, Manuel Valls et Arnaud Montebourg sont objectivement des rivaux programmés pour la relève générationnelle à la tête du Parti socialiste. L’un est un social-démocrate, l’autre est un socialiste. L’un occupe le positionnement le plus à droite au sein du Parti socialiste, l’autre le plus à gauche. Tous deux appartiennent à la même génération, tous deux ont déjà pris date par un premier tour de piste lors de la primaire socialiste de 2011. Rivaux programmés, adversaires idéologiques, il est donc logique et prévisible que chacun ne perde jamais une occasion d’affaiblir l’autre. C’est à ce titre que Manuel Valls attaque Arnaud Montebourg.
Sous l’angle du plan de carrière, en plein tourbillon des affaires, dans un contexte où le ministre de l’Economie et des Finances voire le Premier ministre pourraient être conduits à démissionner, Manuel Valls prend date pour Matignon. Il annonce que, lui Premier ministre, les dysfonctionnements répétés au gouvernement ne se produiraient pas. C’est une offre de services extrêmement claire adressée à François Hollande. A défaut de faire preuve d’élégance envers Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls fait ici montre d’un sens certain des opportunités.

Arnaud Montebourg aurait dit au Premier ministre : « Tu fais chier la terre entière avec ton aéroport de Notre-Dame-des-Landes, tu gères la France comme le conseil municipal de Nantes ». Le ministre du Redressement, qui défend une ligne plus à gauche que celle de l’exécutif est-il potentiellement plus « encombrant » à l’extérieur ou à l’intérieur du gouvernement ?

À l’intérieur du gouvernement, son inconvénient fondamental est d’avoir un message politique dissonant, puisque socialiste, au sein d’un gouvernement social-démocrate. Cependant, compte tenu des capacités tribunitiennes de l’intéressé, les inconvénients seraient autrement plus lourds pour François Hollande si Arnaud Montebourg avait l’occasion, exclu d’un gouvernement dont il a dit ne pas vouloir partir, de se poser en « martyr » de la gauche socialiste et de faire, en bon avocat, le procès du gouvernement en abandon des classes populaires.
Pour autant, le plus réticent à une telle exclusion serait sans nul doute Arnaud Montebourg lui-même. Malgré ses tentatives répétées dans ce sens, il n’est toujours pas parvenu à structurer au Parti socialiste un courant à sa main. En d’autres termes, dans les jeux d’appareil du parti, il est un homme seul : il ne doit d’ailleurs son assise politique nationale qu’à la primaire socialiste de 2011, sans laquelle son isolement dans le parti aurait fini de l’étouffer. Au demeurant, nul hasard, donc, s’il fut justement, avec feu Olivier Ferrand, la cheville ouvrière de l’instauration de cette primaire : c’était alors pour lui un enjeu de survie politique.
Arnaud Montebourg serait donc condamné, au moins à court terme, à une traversée du désert s’il était exclu du gouvernement, d’autant plus que depuis les lendemains de la primaire, son assise politique locale s’est affaiblie. A moyen terme, en revanche, des déclarations telles que celles de Gérard Filoche ou de Pascal Cherki montrent qu’il aurait des chances raisonnables de structurer rapidement, à la hussarde, un courant de gauche socialiste au parti, pouvant peser jusqu’à un tiers de la base électorale.
Tout bien pesé, mieux vaut donc pour Danton ne pas se défaire de Robespierre.

Jean-Pierre Chevènement qui a démissionné à trois reprises a déclaré « un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne ! ». Arnaud Montebourg a choisi « d’ouvrir sa gueule » sans démissionner. Est-ce une stratégie plus efficace pour peser ?

Objectivement, oui. A chaque fois que Jean-Pierre Chevènement a démissionné, son message dissonant a connu immédiatement un surcroît d’audience, mais ensuite, ne plus être au gouvernement l’a logiquement marginalisé du jeu politique.
La tactique d’Arnaud Montebourg est donc meilleure, sauf si, comme Jean-Pierre Chevènement en 2002, il choisit de quitter le gouvernement pour entreprendre une candidature dissidente à la prochaine élection présidentielle. Cela étant, cette démarche à très haut risque est un quitte ou double qui, dans le cas de Jean-Pierre Chevènement, a acté la fin de sa carrière politique nationale.

Jusqu’à quand la situation actuelle peut-elle tenir ? Dans un contexte aussi difficile, le gouvernement peut-il se permettre de conserver un électron libre comme Montebourg ?

L'Élysée a des problèmes immédiats autrement plus graves à affronter. Sous le coup des accusations de Mediapart, Pierre Moscovici risque de devoir à son tour démissionner, auquel cas, par effet domino, l’impact cumulé des démissions de Jérôme Cahuzac et de ce dernier achèverait de rendre inéluctable un grand remaniement gouvernemental, possiblement jusqu’à un changement de Premier ministre pour tourner complètement la page politiquement.
À cela s’ajoute le risque que Jérôme Cahuzac et Pierre Moscovici, sur la base des accusations de Mediapart, soient traduits devant la Cour de justice de la République. Dans la mesure où n’importe quel citoyen peut saisir la Cour pour lancer la procédure, ce risque est tout sauf théorique.
Comparé à ces enjeux, le cas d’Arnaud Montebourg est donc loin d’être politiquement prioritaire.

Si Arnaud Montebourg était démis de ses fonctions, comment pourrait-il peser sur la majorité ?

En quatre temps :
- structurer un courant de gauche socialiste, et plus largement des opposants à la politique d’austérité, au Parti socialiste ;
- passer alliance avec Martine Aubry, candidate naturelle à Matignon sur une ligne plus à gauche ;
- organiser la conquête du poste de premier secrétaire du Parti socialiste ;
- annoncer publiquement que si d’aventure François Hollande était politiquement empêché de se représenter à l’élection présidentielle avec des chances raisonnables de succès, alors lui-même serait candidat.
Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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