Choc de simplification à la française : va-t-on créer une immense bureaucratie pour lutter contre celle qui existe déjà ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Si la France a fait tant de révolutions c'est parce qu'elle est avant tout un pays conservateur.
Si la France a fait tant de révolutions c'est parce qu'elle est avant tout un pays conservateur.
©Reuters

Série technocratie

Jean-Marc Ayrault a présenté mardi ses premières mesures pour créer le "choc de simplification" promis par François Hollande. Le chef du gouvernement a ainsi décrété un "moratoire général sur les normes"

François Dupuy

François Dupuy

François Dupuy est Directeur Académique du Centre Européen d'Education Permanente (CEDEP) et consultant indépendant.

Il est l'auteur de La fatigue des élites : Le capitalisme et ses cadres (Seuil, avril 2005)  Lost in management : La vie quotidienne des entreprises au XXIe siècle (Seuil, février 2011) et Sociologie du changement - Pourquoi et comment changer les organisations (Dunod, janvier 2004).

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A lire également dans notre série sur la technocratie :

Les technocrates vont-ils avoir la peau du politique ?

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Les technocrates vont-ils avoir la peau du politique ? L'avis d'un ancien ministre

Atlantico : Les rapports sur les gaspillages, excès et dysfonctionnements publics se succèdent sans être jamais suivis de faits concrets. La France ne semble bonne qu'à poser des diagnostics alarmants et reste incapable de passer à l'acte malgré le volontarisme affiché des politiques. Comment expliquez-vous cette impuissance de la puissance publique ? Les politiques sont-ils victimes d’un excès de technocratie ?

François Dupuy : Votre constat est exact: tout le monde connait les causes du mal (voir les écrits de feu Jacques Marseille, le gros livre de Fauroux et Spitz...), tout le monde sait à peu près ce qu'il faudrait faire... et personne ne le fait. Cela tient au fait que tous les gouvernements, de gauche ou de droite, "craignent" l'administration et le secteur public en général et ses capacités de blocage du pays. Pour le dire autrement, aucun politique jusque là ne s'est senti prêt à "payer le prix social" nécessaire à un changement en profondeur des administrations. N'oublions pas en effet qu'une des spécificités de notre pays est l'importance qu'il a toujours donné à ce secteur public. Celle-ci tient non seulement à notre jacobinisme traditionnel, mais aussi aux vagues de nationalisations, en 1945 (de Gaulle) et en 1981 (Mitterrand).

Quelle est la responsabilité des hauts fonctionnaires dans ces blocages qui paralysent le pays ? De par le poids qu'il représente, la tentation n'est-elle pas finalement grande pour l’État de ne servir que lui-même ?

Les fonctionnaires - on les comprend - défendent avant tout leur mode de fonctionnement quotidien, marqué par un caractère endogène très prononcé: on entend par là que les règles et pratiques qui régissent au jour le jour leur action sont davantage tournées vers leurs problèmes internes que vers leur environnement. Les carrières par exemple se font de façon indépendante des besoins réels, de même que l'affectation dans tel ou tel partie du territoire. L'administration publique est donc un univers très protecteur, non pas seulement en termes d'emploi, mais aussi en termes de conditions de travail. On ne voit pas bien ce qui pourrait pousser les fonctionnaires à y renoncer.
Comme tout changement, dans le modèle français en particulier, il faudra donc attendre une crise majeure (voir Renault ou Air France) pour que se crée la légitimité nécessaire à une transformation profonde du secteur public et personne ne peut prévoir quand cette crise se produira. On peut simplement supposer qu'elle sera la conséquence de la ruine toujours plus radicale de l'Etat. Il faut toujours rappeler que si la France a fait tant de révolutions c'est parce qu'elle est avant tout un pays conservateur.
C'est pourquoi il ne faut pas poser la question en termes de "responsabilité" de telle ou telle catégorie, ce qui est une solution facile, alors qu'il y a eu jusqu'ici un consensus implicite pour maintenir cet état de fait. Pour s'en convaincre, il suffit de voir toutes les catégories professionnelles se tourner vers l’État dès qu'elles affrontent une difficulté. Les hauts fonctionnaires ne font que "mettre en musique" ce que le pays leur demande.

Jean-Marc Ayrault a présenté mardi ses premières mesures pour créer le "choc de simplification" promis par François Hollande lors de son intervention jeudi 28 mars. Le chef du gouvernement a notamment décrété un "moratoire général sur les normes". Quelles sont les barrières qu’il faut faire tomber pour mettre en place concrètement ce choc de simplification ?

La "complexité" administrative à laquelle le Président de la République veut s'attaquer après tant d'autres tient en grande partie à la "société de méfiance" dans laquelle nous vivons depuis toujours, qui fait que le comportement des citoyens (tel qu'il est perçu par l'administration) doit toujours  être plus surveillé et encadré. D’où la prolifération de normes, de règles et de procédures de toute sorte qui, compte-tenu de la segmentation extrême de l'administration, constituent un ensemble dont personne ne connait ni l'ampleur ni les effets induits. On pourrait dire aujourd'hui de l’État ce que les cheminots disent des trains en regardant l'absurdité de leur organisation: "et pourtant ils roulent". 
A cela il faut ajouter une conception très "plate" de l'égalité qui veut que chacun soit traité de la même façon, quel que soit par ailleurs le caractère particulier de sa situation. On peut donc craindre aujourd'hui, dans la mesure où la façon de raisonner des fonctionnaires, des politiques et de la population n'a pas évolué, que l'on crée une immense bureaucratie pour lutter contre celle qui existe déjà.

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