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Pas de panique - immédiate - : non, le FN ne profite pas du climat politique délétère actuel
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Affaire Cahuzac, guerre des chefs à l'UMP, amateurisme de la gauche : autant d'éléments ayant créé un climat délétère supposé être un terreau fertile pour le Front national. Pourtant, la "gauchisation" du discours de Marine Le Pen pourrait bien empêcher l'explosion électorale du FN.

Yves-Marie Cann et Guillaume Bernard

Yves-Marie Cann et Guillaume Bernard

Yves-Marie Cann est Directeur d'études au département Opinion de l'institut de sondage CSA.

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO…

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Atlantico : L’affaire Cahuzac a fini de faire entrer le paysage politique français dans un climat délétère supposé favoriser la montée du Front national. Cela fait-il réellement basculer l’opinion française dans l’électorat FN ou cette analyse est-elle faussée par un jeu de transfert de voix plus subtil ?

Yves-Marie Cann : Il est très important de dissocier d’une part l’actualité chaude, comme l’affaire Cahuzac pour laquelle il est trop tôt pour tirer de premières conclusions, des mouvements de fonds que nous observons depuis plusieurs mois. Nous observons en effet une dynamique favorable au Front National qui s’illustre aussi bien par le score de Marine Le Pen à la dernière élection présidentielle que par l’amélioration de son image ces derniers mois.  Au sortir de l’été 2012, elle était créditée de 27% d’opinions positives dans notre Observatoire politique mensuel pour Le Echos. Début mars, son score s’élevait à 35%,  signe d’une dynamique positive mais aussi d’une certaine solidité des évolutions enregistrées qui semblent s’ancrer dans le temps. Bien qu’il faille manier cela avec prudence, les résultats de la candidate Front national qui a gagné près de 20 points entre le premier et le second tour de l’élection partielle de l’Oise témoigne également de cette dynamique. Avec un transfert inédit des voix de gauche vers le vote Front national dont la véracité a été démontrée par Joël Gombin de l’Université de Picardie, on constate que le Front national n’a plus systématiquement l’effet repoussoir qu’il avait par le passé. Enfin, la volonté d’alliance d’une majorité de sympathisants UMP (51%) avec le FN aux prochaines municipales est un dernier exemple fort de cette logique. 

L’affaire Cahuzac, parce qu’elle réactive et entretient l’image de dirigeants politiques malhonnêtes pourrait contribuer à renforcer cette dynamique en faveur des extrêmes en général et du Front national en particulier. Il est toutefois beaucoup trop tôt pour tirer de premières conclusions. On ne peut exclure que les révélations de ces derniers jours rejaillissent négativement sur l’ensemble de la classe politique, y compris sur les extrêmes.

Guillaume Bernard : L’affaire Cahuzac n’est qu’un épisode de plus dans le processus d’incompréhension voire d’hostilité du peuple envers ses élites. Elle devrait contribuer à renforcer l’abstention d’un côté et le vote contestataire de l’autre. Il est probable que le discrédit qui frappe la classe politique profite en tout premier lieu au FN. Si François Hollande a été élu, c’est plus par rejet de Nicolas Sarkozy que par adhésion à sa personne et à son programme. Sa cote de popularité est, après moins d’un an de présidence, extrêmement basse (elle est en dessous de son score du premier tour de l’élection présidentielle). Vers qui une partie de son électorat déboussolé pourrait-il se tourner ? Les résultats de la législative partielle dans l’Oise d’il y a quelques jours semblent bien indiquer que c’est le FN. Il est tout à fait possible qu’il ne s’agisse, là, que d’un épiphénomène. Mais pour cela, il faudrait que les facteurs d’angoisse des citoyens sinon disparaissent du moins s’apaisent. Est-ce vraiment envisageable ?

Le discours de Marine Le Pen est de plus en plus souvent taxé de "gauchisation" dont on a commencé à observer les résultats. S’agit-il une erreur de diagnostic quant aux attentes de l’électorat traditionnel du Front national ?

Yves-Marie Cann : En voulant attirer de nouvelles voix pour élargir sa base électorale, il y a toujours le risque de susciter un rejet d’une partie de l’électorat déjà acquis. Il faut cependant manier avec prudence  l’argument de la « gauchisation » du discours de Marine Le Pen par rapport à celui de son père. En effet, l’électorat du Front national est majoritairement composé de gens issus des catégories populaires, employés, ouvriers, ou retraités issus de ces deux catégories. Si ces électeurs-là se distinguent, sur des sujets comme l’immigration ou la sécurité, des catégories populaires votant à gauche, l’ensemble des classes populaires se retrouvent autour des préoccupations économiques et sociales fortes avec une demande toujours plus grande de protection vis à vis de la mondialisation des échanges et de ses conséquences économiques. Le pari de Marine Le Pen, en investissant ce terrain, est de conforter son électorat de droite en demande de fermeture économique tout en élargissant son électorat à des gens qui ne votent pas traditionnellement pour le FN mais qui pourrait s’en rapprocher pour ces raisons. 

Guillaume Bernard : La tonalité d’un discours politique dépend, bien entendu, de son contenu, mais également et pour beaucoup des interactions avec le système partisan ainsi que du contexte dans lequel il est énoncé. Si le discours de Jean-Marie Le Pen, dans les années 1980, avait des connotations « reaganiennes », cela s’explique par la force même tronquée du Parti communiste et l’existence encore réelle du bloc de l’Est. Désormais, les circonstances ont changé : chute du mur, attentats du 11-septembre, crise financière. Le discours du FN des années 1990 et 2000 est donc devenu de plus en plus populiste en affichant de l’hostilité envers le libéralisme (globalisation financière, ouverture des frontières, déréglementation économique). Cela dit, ce n’est pas nécessairement un reniement idéologique car il existe une nette différence entre, d’une part, la dénonciation du fiscalisme et de la bureaucratie et, d’autre part, l’adhésion à une philosophie selon laquelle il n’existe aucune valeur en soi mais uniquement par la rencontre de volontés. Il n’est pas certain que ce que certains analystes appelle « gauchisation » en soit véritablement une. En revanche, il est clair que le FN de Marine Le Pen assume mieux les « valeurs républicaines » (très vraisemblablement par réelle conviction et pas seulement par stratégie), ce qui peut heurter le noyau dur de l’extrême droite « traditionnelle » voire (et ce propos pourrait être jugé purement cynique) finir par l’empêcher de voir (ce qui a fait jusqu’ici sinon son succès du moins sa pérennité) les incohérences et les failles du « système ». 

Cette logique d’élargissement du discours peut-il paradoxalement empêcher le Front national de s’étendre au maximum de son potentiel en désagrégeant sa base ?

Yves-Marie Cann : Il y a toujours un risque clair de délitement de la base électorale quand on entreprend cette logique d’élargissement mais ne pas le faire peut entraîner à terme sa stagnation, voire son rétrécissement. Le risque pour Marine Le Pen serait de ne pas maintenir son discours quant à l’immigration et la sécurité qui est un marqueur fort de l’idéologie du Front National dans lequel se reconnait une partie des Français. Pour autant, ces personnes-là sont aussi à la recherche de réponses économiques et c’est là que sa logique d’élargissement peut s’équilibrer avec les questions de sécurité et d’immigration. Le FN va donc devoir s’appuyer sur ces deux dimensions pour élargir sa base électorale.

Guillaume Bernard : La difficulté du FN est de cristalliser son électorat qui a varié au cours du temps et s’est constitué de différentes strates plus ou moins stables comme en témoignent ses résultats électoraux fluctuants (progressions suivies de chutes) depuis les années 1983-1984. Tout parti doit s’assurer de son électorat déterminé (vote sur clivages) et, en même temps, capter le plus possible d’électorat flottant (se déterminant en fonction des circonstances). Marine Le Pen semble donc vouloir segmenter son discours afin de s’adresser à différents types d’électorats pour les accumuler. Par ailleurs, s’il est admis que le clivage droite-gauche est, idéologiquement, très affaibli (la gauche modérée s’étant ralliée à l’économie de marché tandis qu’une partie de la droite a admis l’idéologie progressiste), c’est donc au sein de la droite et de la gauche que passent les lignes de fractures les plus profondes. Or, sur un certain nombre de sujets, les extrêmes (qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement extrémistes) peuvent avoir des intérêts ou des idées convergents (comme l’hostilité à l’intégration européenne). Au final, la stratégie de Marine Le Pen peut apparaître cohérente. Mais reste la question de savoir si elle peut raisonnablement envisager de « droitiser » de façon pérenne l’électorat populaire venu de la gauche (le FN ayant déjà engrangé les classes populaires de droite) et si elle ne risque pas, dans cette quête, de se couper des catégories moyennes de droite qui seraient plutôt son électorat « naturel ». Dans sa stratégie de conquête d’un électorat « flottant », peut être va-t-elle un peu vite en besogne en n’ayant pas, d’abord, cristallisé son électorat « déterminé ». 

Cette logique qui consiste à aller chercher les deux bords de l’électorat, droite comme gauche, peut-elle éloigner du FN l’électorat UMP, et ainsi remettre en cause les alliances et donc les victoires potentielles aux élections municipales ?

Yves-Marie Cann : Effectivement, cela peut être un vrai point de tension pouvant limiter de futurs transferts de voix entre l’UMP et le FN et donc d’empêcher des alliances potentielles entre ces partis. Ceci étant dit, il faut aussi raisonner, pour ce genre d’élections, au cas par cas en fonction des spécificités locales. Au soir du premier tour des élections municipales, le FN pourrait endosser le rôle de faiseur de roi dans certaines communes. La pression est donc à double sens, elle fonctionne aussi bien de l’UMP vers le FN que du FN vers l’UMP. La question fondamentale sera donc de savoir ce qui prendra le pas sur l’autre entre la volonté d’assurer la victoire dans une ville ou la compatibilité avec les prises de positions du FN sur tel ou tel sujet. Il y aura donc un arbitrage essentiel qui se fera au sein de chaque formation politique, sous la pression de la base militante, et qui sera probablement très différent d’une commune à l’autre. Un an avant les élections,  ceci est difficile à prévoir.

Guillaume Bernard : L’électorat ainsi que les courants internes de l’UMP sont disparates. Il peut y avoir plus de distance idéologique et sociale entre certains membres et électeurs de l’UMP qu’entre ceux-ci et le FN. Même en admettant qu’il y ait une sorte de « gauchisation » de ce dernier, la cassure avec une partie de l’UMP, du moins en fonction des régions, n’est donc pas du tout certaine. Par conséquent, l’avenir du FN dépend en grande partie de sa capacité à incarner le populisme et à rassembler couches populaires et classes moyennes. Dans ce domaine, la stratégie du FN consiste, d’abord, à essayer de disqualifier ceux qui pourraient le concurrencer sur ce terrain. Il semble qu’en ayant un discours « immigrationniste » (rappelez-vous le discours du Prado de Jean-Luc Mélenchon en avril 2012), ce qui n’était pas du tout la ligne du PC, le Front de gauche se soit de lui-même disqualifié dans cette bataille. Ensuite, le FN table (notamment pour les prochaines municipales) sur sa capacité à imposer, et non quémander, des désistements et des alliances. Les circonstances jouent en sa faveur : le « cordon sanitaire » ou le « front républicain » n’existent plus. Mais encore faut-il qu’il ait des candidats crédibles à présenter et avec qui d’autres formations accepteront de s’unir.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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