Les technocrates vont-ils avoir la peau du politique ? L'avis d'un grand commis de l'Etat <!-- --> | Atlantico.fr
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Comment expliquer cette "impuissance" de la puissance publique ?
Comment expliquer cette "impuissance" de la puissance publique ?
©Reuters

Politique VS haut fonctionnaire

Jean-Marc Ayrault a présenté mardi ses premières mesures pour créer le "choc de simplification" promis par François Hollande. Le chef du gouvernement a ainsi décrété un "moratoire général sur les normes".

Jean Peyrelevade

Jean Peyrelevade

Jean Peyrelevade fait partie de l'équipe de campagne de François Bayrou pour l'élection présidentielle.

Ancien conseiller économique du Premier ministre Pierre Mauroy, il fut également directeur adjoint de son cabinet.

Économiste et administrateur de plusieurs sociétés françaises et européennes de premier plan, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’évolution du capitalisme contemporain.

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A lire également dans notre série sur la technocratie : Les technocrates vont-ils finir par avoir la peau du politique en France ?

Atlantico : Les rapports sur les gaspillages, excès et dysfonctionnements publics se succèdent sans être jamais suivis de faits concrets. La France ne semble bonne qu'à poser des diagnostics alarmants et reste incapable de passer à l'acte malgré le volontarisme affiché des politiques. En tant que haut fonctionnaire, comment expliquez-vous cette "impuissance" de la puissance publique ? Les politiques sont-ils victimes d’un excès de technocratie ?

Jean Peyrelevade : Absolument pas, je pense au contraire que c'est l'absence de volonté politique qui empêche les réformes d'aboutir. Il ne faut jamais oublier que les normes résultent des votes du législateur, de lois de plus en plus complexes et inapplicables. La technocratie est au service du pouvoir politique.Les hauts fonctionnaires répondent aux souhaits de leurs ministres et du législateur. Bien entendu, ils adorent créer des schémas complexes pour justifier leur utilité. Mais la responsabilité du dépôt de loi et du vote de la loi appartient aux politiques. J'aimerais bien trouver une norme dont l'origine ne serait pas législative. Si le pays n'a plus de direction clairement affirmée, c'est que le pouvoir politique n'est pas capable de tracer les grandes orientations. La crise que nous traversons est d'abord une crise du politique.

En 1981, vous êtes nommé directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy et conseiller économique du Premier ministre. Vous gérez les nationalisations tout en professant votre scepticisme sur leur intérêt. Comment les cabinets ministériels fonctionnent-ils concrètement ? Les ministres ont-ils toujours le dernier mot dans les arbitrages qui sont opérés ?

En général, il y a deux facteurs de complexification successifs. Lorsque vous adoptez une loi, et particulièrement une grande loi, elle est soumise à l'arbitrage interministériel. Il y a un grand nombre d'avis de départements ministériels autour de la table. C'est un premier lieu d'expression des corporatismes. Dans l'application de la loi envisagée, chaque département ministériel va faire valoir ses cas particuliers et justifier des dispositions spécifiques. C'est un premier facteur de complication. Lorsque la loi est adoptée, il y a un deuxième facteur qui joue dans le même sens au niveau du parlement. Là encore, différentes sensibilités politiques et représentations géographiques vont faire valoir leur point de vue.

On peut prendre deux exemples concrets. Dans les années 1980, Gaston Defferre, ministre de l'Intérieur, fait voté sur les élections municipales. Que résulte-t-il de cet acte politique ? Dans les trois principales villes de France, Paris, Lyon et Marseille, il y a désormais des conseillers municipaux d'arrondissement élus, qui tiennent des réunions régulièrement, mais qui ne servent à rien, qui n'ont aucun pouvoir d'aucune sorte. 

Deuxième exemple complètement différent : la loi montagne votée en 1998 et qui s'applique sur tout le territoire national dès lors qu'il est montagneux. Dès lors que vous êtes en dehors d'une agglomération ou d'un village constitué, vous n'avez pas le droit de construire. C'est aussi un acte politique qui a un effet catastrophique sur le dynamisme du pays, des régions, des départements et des villages concernés.

Cela est-il lié à la tradition colbertiste et jacobine de la France ? 

C'est l'expression du corporatisme dont je parlais dans la question précédente. Ce qui m'a frappé lorsque j'étais à Matignon, c'est que les départements ministériels et les ministres eux-mêmes sont considérés comme les représentants au gouvernement des secteurs dont ils ont la responsabilité. Leur dimension corporatiste est donc institutionnalisée. Dans un système de ce type, c'est extrêmement difficile de faire prévaloir une volonté générale simple. Dans un gouvernement comptant 40 ministres, vous n'avez aucune chance d'aboutir à une loi simple. Vous faites nécessairement des lois inutilement complexes.

Lors de son intervention du 28 mars, le président de la République a parlé de choc de simplification. Comment ce choc peut-il s’opérer concrètement ?

C'est très difficile car les normes abusives viennent de lois. Il faut revisiter tout le paquet législatif ministère par ministère et supprimer les textes qui n'ont pas de sens ou qui sont extraordinairement complexes.

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