Les 10 techniques que les politiques utilisent pour faire dire aux chiffres et statistiques ce qui les arrange<!-- --> | Atlantico.fr
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Les politiques s'approprient les chiffres et statistiques pour leur faire dire ce que bon leur semble.
Les politiques s'approprient les chiffres et statistiques pour leur faire dire ce que bon leur semble.
©Flickr

Manipulation

Rien de tel qu'une statistique pour donner à un discours l'habillage de la vérité. Et pourtant, du contresens à l'imputation causale dissymétrique, les chiffres peuvent facilement être tordus pour s'appliquer à toutes les situations.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Billet initialement publié sur le blog Trop Libre

C’est une source d’émerveillement fréquent que le traitement des statistiques économiques et sociales dans un pays comme le nôtre, dont on connaît la rationalité cartésienne congénitale et l’excellence mathématicienne, prouvée par une avalanche de médailles Fields. Il est vrai que l’autre versant de notre culture, à la fois très « littéraire » et très politique, fait un sérieux contrepoids à ce culte de la rigueur ; contrepoids qui pourrait bien expliquer une attitude vis à  vis des chiffres, où la volonté de NE PAS SAVOIR le dispute à l’habillage partisan et à la violation des règles du raisonnement statistique. Passe encore chez les hommes politiques pris par les impératifs de l’auto-justification électorale, mais le fait est plus surprenant chez des journalistes et carrément déroutant chez ces « fact-checkers » qui fleurissent un peu partout dans nos grands médias.

Dix grandes techniques « d’apprivoisement » des chiffres peuvent être ainsi recensées :

1/ la première est radicale : cachons ces chiffres que nous ne saurions voir ! Cette volonté pure et simple d’ignorance de données politiquement ennuyeuses est évidemment illustrée par le dossier du « gaz de schiste » sur lequel il est interdit par la loi de savoir l’essentiel : c’est-à-dire la connaissance, par l’exploration, de nos ressources en la matière. Connaissance préalable indispensable à toute décision publique sur une sujet capital pour le pays mais qui se heurte au sacro-saint « principe de précaution » : savoir est chose si dangereuse ! Cette étrange incuriosité caractérise aussi un autre dossier, passé comme une lettre à la poste grâce au timbre de la « justice sociale » : le retour à la retraite à 60 ans pour les « travailleurs » précoces. Personne n’a poussé la curiosité jusqu’à s’interroger sur les bénéficiaires réels de cette réforme (ou plutôt contre-réforme) : or le cumul des trois critères retenus (cotisants précoces, carrières continues et nombre d’enfants pour les femmes) favorise de façon écrasante les fonctionnaires.

2/ Le déni des faits les mieux établis est la deuxième solution : ainsi de la flexibilité du marché du travail qui, assure-t-on, « ne permet pas de diminuer le chômage » alors que toutes les expériences, nous disons bien toutes, prouvent exactement le contraire : à croissance égale, les pays « flexibles » ont entre deux et quatre points de chômage en moins que les pays « rigides ».

3/ La disqualification des sources gênantes : le récent débat sur l’absentéisme dans la fonction publique a été ainsi une occasion de choix pour conclure du caractère incomplet et incertain des données disponibles à l’impossibilité de… conclure. Or, des chiffres partiels peuvent fort bien indiquer une tendance globale et les historiens connaissent même l’adage : « à chiffre faux, courbes vraies ». A tout le moins, l’insuffisance des statistiques doit inviter à les perfectionner et à les recouper, non à écarter le sujet lui-même. Autrement dit, l’absentéisme des fonctionnaires n’est pas, comme on a pu l’écrire,  un « faux débat » mais un vrai problème !

4/ La substitution – sans le dire – de données non ou très partiellement pertinentes par apport au sujet traité : ainsi sur une question concernant les immigrés, on donnera des statistiques concernant les étrangers ; sur l’enjeu de la compétitivité globale, les chiffres de la productivitéhoraire ; ou sur l’âge de la fin d’activité, celle de l’âge de la retraite.

5/ Lorsque les données décidément têtues et concordantes continuent de frapper à notre porte, nous sommes loin d’être pour autant démunis : il nous reste « l’habillage convenable » des statistiques  par le choix biaisé des termes de la comparaison ou par le recours à des sources, des séries et des durées hétérogènes ; On comparera ainsi la situation nationales dans ces contextes internationaux radicalement différents ; des données brutes ( comprenant les plus et les moins) avec des données nettes (les soldes) ; des faits de court terme avec des tendances de long terme ; et on « lissera » les chiffres sur l’ensemble d’une année ou d’une période pour en dissimuler les à-coups : ainsi de « l’année 2012 » qui a vraiment bon dos : a-t-on ainsi remarqué que la totalité des destructions nettes d’emplois en 2012 (près de 100.000) est imputable aux mois de juin à décembre ?

Viennent ensuite, lorsqu’il s’agit d’interpréter les chiffres, les paresses ou les fautes caractérisées du raisonnement :

6/ Le contresens pur et simple : on a ainsi pu lire que le recours massif au temps partiel plutôt qu’au licenciement en Allemagne, pendant la crise de 2008-2009, était une illustration de la « rigidité » des relations de travail dans ce pays !

7/ L’énumération à la place du raisonnement : ainsi pour la compétitivité – après avoir nié tout simplement le problème, voir les techniques 1, 2 et 3 ci-dessus – qui « comprend bien d’autres facteurs que le  seul « coût du travail » : certes, mais si ce coût est relativement trop élevé, ces « autres facteurs », comme l’innovation ou le dynamisme commercial, sont précisément en péril.

8/ Inversement, la corrélation prise pour causalité : « la crise actuelle est à la fois financière et budgétaire : donc la crise des banques est responsable de la crise de la dette ». « Notre système éducatif montre à la fois un fort taux de redoublement et un fort échec scolaire final : donc le redoublement entraîne l’échec scolaire ».

9/ L’imputation causale dissymétrique : « la prospérité sous le gouvernement X est due à sa bonne politique économique » ; « la prospérité sous le gouvernement Y est due à la bonne conjoncture mondiale » ; et inversement pour les mauvais résultats !

10/ La contradiction dans les constats faits et/ou dans le raisonnement suivi : « le précédent gouvernement a appauvri dramatiquement les services publics et a creusé dramatiquement le déficit public » ; « l’euro est trop fort, ce qui nuit aux exportations françaises et l’euro est trop fort, ce qui profite aux exportations allemandes ». Comprenne qui pourra !

Non, « les chiffres ne disent pas ce qu’on veut leur faire dire » !

Nous laissons aux lecteurs le soin de compléter ce florilège, constitué d’exemples tous avérés, et qu’ils reconnaîtront sans peine. Mais nous ne les laisserons pas penser que « l’on peut faire dire aux chiffres ce que l’on veut ». Il existe en effet des règles de l’interprétation statistique, qui sont les mêmes que celles de toute interprétation, c’est-à-dire aussi éloignées de l’acceptation naïve des données que des dangers mortifères de l’hyper-criticisme :

1/ respect des données établies par des sources concordantes et indépendantes les unes des autres.

2/ pertinence et cohérence de la grille de lecture qui doit comparer le comparable et s’en tenir tout au long de l’analyse au même principe d’interprétation.

3/productivité de l’analysela meilleure étant celle qui rend compte du plus grand pourcentage des cas étudiés.

Ce que les Anglo-saxons nomment respectivementaccuracyconsistency et comprehensivenessIl est vrai que les malheureux ne connaissent point les ressources sublimes de notre  « cartésianisme » national

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