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Pourquoi ne savons-nous plus faire du cinéma populaire de qualité ?
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J'vais lui montrer qui c'est Raoul

Comme le disaient "Les inconnus" en parodiant le cinéma d'Audiart, le cinéma français s’est-il déjà "rencardé avec le Grand Barbu pour le dépôt de bilan" ?

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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"S’il m’asperge, je suis bonne pour le musée d’art moderne"

Les Tontons flingueurs (1963), cinquantenaires cette année, jouissent d'un statut mythique dans le public français. Cette ambiance du polar d’après-guerre en noir et blanc, plus qu’une référence simplement cinématographique, est un monde en soi, le souvenir mythifié d’une époque. Même le décor de Mélodie en sous-sol (Verneuil, 1962), qui montre les premières "barres" de Sarcelles, a quelque chose de rassurant, et il est encore temps pour Gabin de rentrer chez lui à l’heure pour le déjeuner et de mettre les pieds sous la table.

On doit probablement la plus belle consécration du genre au trio des Inconnus qui, dans Pas de bégonia pour le cave, faisaient entre autres déclarer à un Didier Bourdon, méconnaissable en vieille rombière : « vous voyez bien qu’il court-jute des segments. S’il m’asperge, je suis bonne pour le musée d’art moderne », parodiant jusqu’à l’absurde l’argot parigot staccato de Michel Audiard. Mine de rien, ce brin de dialogue pastiche disait déjà beaucoup de la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui le cinéma français : bon pour le musée d’art moderne, c’est à dire remisé au placard des – jeunes – vieilleries.

"Et mes fesses ? Tu les aimes, mes fesses ?"

Prenons l’exemple du Prénom (La Patellière et Delaporte, 2012), L’exactitude sociologique et psychologique des bavardages, fort longs, ne font pas une histoire, ne font pas un spectacle, bref : ne font pas du cinéma. Il s'agit pourtant dutroisième film français le plus rentable de 2012 : apparemment le public s'y est trompé, leurré sans doute par une bande-annonce efficace et la présence au casting de Patrick Bruel.

Faut-il y voir les traces du passage d’une Nouvelle Vague trop élitiste ? Ce serait trop facile. Oui, la richesse polysémique et la sensualité intellectuelle, par exemple, du Mépris (Jean-Luc Godard, 1963, avec Brigitte Bardot et Michel Piccoli) ont montré que le cinéma pouvait êtreaussi cela, au prix d’un ennui de bon aloi. Oui, la Nouvelle Vague est ce moment où le cinéma français s’intellectualise, se raffine, se réfléchit, se veut contestataire, et dans le même mouvement s’institutionnalise. L’on consacre l’auteur.

Pendant ce temps, à la télévision…

En France, tout le monde veut être, mettons, Scorsese. Le rêve de devenir auteur attire des légions de cinéphiles dans nos facultés de cinémas, qui les forment à discuter des mérites de Roger Corman (1926- ) et de Jacques Tourneur (1904-1977) sans jamais leur donner les moyens de toucher une caméra. Nos facultés de lettres forment, pareillement, des armées d’amateurs éclairés de littérature, sans prendre la peine de consacrer dix minutes aux bases de l’écriture de fiction. Tout cela grossit les rangs, au mieux, d’improductifs universitaires, et au pire éternels étudiants en perdition, qui porteront longtemps dans leurs cartons leurs projets de court, de long-métrage ou de romans pompeux… mais à jamais incapables d’aligner les trois premières lignes de la moindre histoire.

On dira que nous avons des écoles de cinéma. Mais le français est programmé intellectuellement pour mépriser le spectacle de masse, et vénérer l’auteur en tant que génie solitaire (quand il ne voue pas un culte ridicule à l’acteur). D’où « cinquante ans de polémiques stériles entre un cinéma dit « commercial » et un cinéma dit « d’auteur ». Ce qui permet de se draper dans la pruderie de l’illusoire « indépendance » artistique, et dispense fort à propos de se poser les questions des conditions du succès populaire.

Il suffit pourtant d’allumer le poste pour tomber sur des séries américaines brillantes de véracité et de vigueur. Les voilà, les ciseleurs de dialogues ! Ils se réclameraient sans doute d’Audiard, s’ils en avaient quelque chose à cirer. Le savoir-faire en matière d’entertainment est palpable. Quelle humilité, quelle compétence dans ce travail d’équipe des scénaristes américains ! Les moindres cinq minutes d’un épisode moyen de la série télévisée Grey’s Anatomy font de l'ombre à nos (bien trop) long-métrages.

Le cinéma français : "rencardé avec le Grand Barbu pour le dépôt de bilan…"

Pour avoir la recette d’un film populaire réussi, on peut songer qu’un scénario peut être simpliste, les personnages de véritables ravis de la crèche, et le tout n’être pour le moins pas très « artistique », du moment que cela n’est pas… artificiel (comment expliquer autrement le succès de Bienvenue chez les Ch’tis ?). On peut, en outre, penser au ressort inépuisable que constitue la rencontre des milieux sociaux (Intouchables, de Nakache et Toldano bien sûr ou, avant lui, l’excellent Le Goût des autres, 2000, de Bacri et Jaoui, auquel on peut défavorablement comparer l’endogame Comme une image, 2004 ; ou encore le Saint Jacques... La Mecque, de Coline Serreau, 2005). On peut, enfin, s’inspirer du premier conseil que l’écrivain américain Kurt Vonnegut donne pour écrire une nouvelle : « utilisez le temps d'un parfait étranger de telle sorte qu'il ou elle ne pensera pas avoir perdu son temps. »

Le cinéma français ? Oh, ben mince ! Il est mort. Je veux dire : « il s’est rencardé avec le Grand Barbu pour le dépôt de bilan ».

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