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Les conglomérats du Web peuvent-ils faire plier les Etats ?
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Bonnes feuilles

Internet a consacré l'émergence de nouveaux acteurs sur l'échiquier politique mondial : les conglomérats. Mais ces derniers peuvent-ils faire fi de la souveraineté des Etats ? David Lacombled décrypte le phénomène. Extrait de "Digital citizen : Manifeste pour une citoyenneté numérique" (2/2).

David Lacombled

David Lacombled

David Lacombled est journaliste de formation. Après ses missions gouvernementales comme chargé de cabinet entre 1993 et 1995, il devient consultant et fonde en 1997 la Société européenne de conseil et de communication, Orange bleue. Il est aujourd'hui directeur délégué à la stratégie des contenus du Groupe Orange. En mars 2013, il a publié Digital Citizen, manifeste pour une citoyenneté numérique chez Plon.

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On le voit avec Google, Internet a consacré l’émergence de nouveaux acteurs sur l’échiquier de la politique internationale : les conglomérats. Ces conglomérats auront-ils à l’avenir les pleins pouvoirs de faire fi de la souveraineté des Etats ? En l’occurrence, dans le cas de l’Egypte, ce fut un bienfait puisque Google a aidé les Egyptiens à se libérer du joug d’un régime illégitime. Mais l’effet de cette nouvelle puissance peut aussi se révéler dans certains cas moins positif. Car à travers ce pouvoir démiurgique de faire ou de défaire les réseaux d’un pays, les conglomérats se révèlent sur ce point plus puissants que les États eux-mêmes.

Une situation inédite et qui soulève quelques critiques. En cause, la domination américaine sur le Net pointée du doigt par certains pays. Selon eux, les Etats-Unis imposeraient, via un discours sur la liberté, la vision occidentale du progrès de la démocratie du développement. C’est ce qui a fait notamment réagir violemment la Chine et même - plus pacifiquement - la Russie qui a pris la décision de se doter de son propre réseau… On reconnaît là, les prolongements de la thèse de l’échange inégal développée par Bourdieu et Wacquant où « un seul pays dans l’histoire est en situation d’imposer son point de vue au monde »

Évangélisme technologique ou nouvel impérialisme?

La domination de la technologie américaine sur Internet est indéniable. Les Etats-Unis possèdent et fournissent actuellement les outils utilisés dans le Monde entier. Il n’en demeure pas moins vrai que Twitter ou Facebook, s’ils veulent conserver leur image de village global, se doivent de rester dans leur rôle de simples instruments de communication sans épouser une quelconque visée idéologique. Et bien que certains s’ingénient à les dépeindre comme des instruments de la domination de l’Occident, c’est tout à fait contraire à l’esprit de leurs fondateurs.

Cependant, même aux Etats-Unis, certains professeurs s’insurgent contre la domination du Web par des géants mus par la recherche du profit. Robert Darnton, Professeur à Harvard et directeur de la Bibliothèque de Harvard, qui fait campagne depuis peu pour la création d’une bibliothèque numérique américaine qui soit publique - au sens français du terme – appelle de ses vœux un autre modelé, non générateur de profit, pour classer les connaissances mondiales. Une initiative qui peut être mise en parallèle avec celle d’un ancien Directeur de la BNF, Jean-Noël Jeanneney, qui, dès 2005 a fait campagne pour la création d’une bibliothèque numérique européenne, (Europeana) propre a concurrencer Google. Selon lui, un Etat à le devoir d’archiver tout ce qui circule sur la toile faute de quoi « nos descendants auront grand peine à comprendre par exemple la victoire d’Obama en 2008 ».

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En tout état de cause, le plus grand nombre de dirigeants s’accordent sur la nécessité de laisser un Internet organisé et classé et le moins dangereux possible aux générations futures.

Devant la démultiplication des acteurs sur le Net aux desseins incertains, certains Etats prônent la création d’un ensemble de règles afin de canaliser et de réguler les réseaux.

C’est justement un des débat principaux du eG8 Forum qui s’est tenu à Paris en amont du G8, qui réunissait tous les acteurs de l’Internet, les PDG des grandes entreprises. Durant ce forum on a pu voir se dessiner plusieurs camps. Cependant, même les plus libéraux reconnaissaient qu’un peu de régulation serait nécessaire.

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Signe de l’importance qu’y attachent aussi les dirigeants mondiaux, une des réunions du G8 a porté sur la question de la régulation d’Internet. Maurice Levy et sa délégation y ont présenté les résultats du e-G8 et, selon lui, s’en est suivi une discussion animée au cours de laquelle tous les dirigeants présents se sont accordés sur la nécessité d’une forme de régulation plus ou moins encadrée. Pour l’instant tous s’accordent à privilégier la piste d’une réglementation par la technologie plutôt que par une législation contraignante et aisément contournable. En d’autres termes, si aucune solution technologique pour réguler Internet n’est trouvée, alors à l’occasion de prochains G8, les Chefs d’Etat s’attelleront à des solutions législatives fatalement plus lourdes à mettre en œuvre. 

Mais comment garantir cette régulation sans trop entraver la liberté de circulation des idées et de l’innovation ? Sur le plan économique, comment permettre à chaque acteur de se développer tout en maintenant un jeu concurrentiel possible ?

Il est clair que l’utilisation des réseaux dans chaque pays devra aussi un jour faire l’objet de réglementations économiques car il s’agit là d’une situation qui se fait au détriment des marchés locaux. Comme le montrent des études de l’Union Européenne, ce sont effectivement les grosses entreprises de la Silicon Valley qui captent plus de 50% des revenus de l’Internet. Plus déroutant, ces géants du Net font en sorte de ne payer aucun impôt, hormis un pécule en Irlande, et elles ne paient aucun droit de passage sur les réseaux européens.

Comment appliquer des réglementations ? Il est vraisemblable qu’avec une  partition du monde selon les accès, Internet n’aurait plus la fluidité actuelle de sorte qu’un pays qui souhaitera être payé pour le passage des informations aura plus facilement la possibilité de bloquer les accès… avec les risques que l’on sait.

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Extrait de "Digital citizen : Manifeste pour une citoyenneté numérique", Editions Plon (mars 2013)

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