Pourquoi sacrifier l'armée de terre est une erreur stratégique majeure <!-- --> | Atlantico.fr
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L'armée de terre pourrait connaître des coupes budgétaires importantes.
L'armée de terre pourrait connaître des coupes budgétaires importantes.
©Daniel Steger / CC

Hara-kiri

La publication du Livre blanc de la Défense aura lieu dans quelques jours. Les rumeurs parlent de coupes budgétaires importantes, notamment pour l'armée de terre. Le chef d’État major de l'armée de terre n'a pas hésité à se désolidariser des orientations prises sur le sujet les jugeant en partie intenables. Quels sont les risques de ce sacrifice ?

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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  1. Atlantico : La publication du Livre blanc de la Défense aura lieu dans quelques jours. On parle de coupes budgétaires massives pour l'armée de terre. En quoi l'amputation du budget affilié à l'armée de terre représenterait un danger et une erreur stratégique ?

François Géré : L’armée de terre n’est pas visée en tant que telle. Depuis la fin de la guerre froide et depuis la décision -qui sera toujours un objet de controverse- d’abolir le service national,  l’armée de terre a été réduite. En raison de la paix aux frontières et globalement en Europe, nous  savons que l’armée de terre est devenue une armée de projection. Mais avec quels moyens ? Or on (à savoir tous les gouvernements)  a taillé dans ces capacités, Plus grave encore, les industriels n’ont pas été au rendez-vous. Les capacités de projection telles que l’A 400 M ont traîné pendant plus de vingt ans. Pour projeter nos forces nous devons, au prix fort, louer des Antonov. Finalement, les espoirs d’une Défense européenne ont servi d’alibi au retard de tous ces programmes. Ce qu’il faut prendre en compte c’est la capacité combattante. Or les Forces spéciales à elles seules, ne peuvent pas résoudre le problème opérationnel et moins encore le problème financier. Unités d’élite équipées de matériels de très haute technologie elles ne permettent guère de réaliser des économies.

Simultanément les opérations extérieures ont changé de nature. La tradition Lyautey de l’armée au contact des populations est  révolue. Ce n’est plus du tout cela. Même si, en terme d’opérations psychologiques,  il conserve une très forte valeur. Pour faire simple, nous sortons de l’Afghanistan pour entrer dans le "modèle  Mali". Car le Mali constitue, sous réserve de la réussite finale qui n’est pas assurée, mais qui est en bonne position,  un modèle. Intervention surprise rapide. Transfert aux forces locales, appuyées par des forces spéciales et par des moyens de renseignement discrets. Retrait rapide de la force française.

Il existe cependant  une erreur de perception de la durée. Trois mois ce n’est rien. Parler d’enlisement au bout de deux semaines est simplement grotesque.  Trois ans cela devient vraiment préoccupant si aucune solution politico-militaire n’est intervenue. Voyez l’échec en Afghanistan.

N'est-ce pas méconnaître la nature actuelle des conflits que de vouloir effectuer ces coupes budgétaires ?

Les conflits actuels sont asymétriques et les domaines d’action changent de nature. Ils incluaient la présence des armées au sein des populations parce qu’il s’agissait de pacification et de stabilisation. La situation montre que ce modèle, très valable dans les Balkans, a mal fonctionné  en Afghanistan. En revanche, au cas par cas, il peut s’avérer pertinent en Afrique. Autant dire qu’il n’existe pas de modèle fixe. D’autant plus que les pays occidentaux ne disposent plus des moyens financiers permettant d’exercer une influence à travers une présence sur la longue durée dans des territoires lointains.

On constate donc un repli sur une nouvelle stratégie mieux adaptée à nos intérêts, objectifs et réelles capacités. Aujourd’hui l’ennemi n’est plus aux frontières. Cela fait de nombreuses années que l’armée de terre s’adapte en se transformant à cette réalité. Devenue une force de projection elle doit se formater  avec les autres armées afin d’être pleinement efficace. Il ne s’agit donc pas seulement d’une réduction en situation de crise économique mais d’un ajustement par rapport aux besoins opérationnels. C’est tout à fait réalisable.si l’on respecte les besoins réels en termes de cout-efficacité. Aujourd’hui la capacité d’action est fonction de l’efficacité de la combinaison entre Terre-Mer et Air ainsi que les capacités nouvelles, très importantes, dans le nouveau domaine d’action, le Cyberespace.

Prendre le pari que l'avenir sera démilitarisé n'est-il pas hasardeux, voir hors sujet, au regard des évènements internationaux ?

Il est simplement ridicule d’envisager un avenir démilitarisé. La Russie ne cesse de renforcer ses forces armées. Un déséquilibre grave s’installe en Europe. La Chine annonce un budget de défense à 11% d’augmentation. Je suis convaincu qu’il faut sortir une bonne fois de cette affreuse notion de la défense comme "variable d’ajustement". Il faut prendre en compte la valeur de notre capacité de défense et d’intervention extérieure au service de cette défense. Ce qui nous a conduit à intervenir par surprise au Mali en préservant les intérêts de la communauté internationale.

Par nature le monde demeure conflictuel. En refusant de le voir l’Union européenne s’abandonnerait à l’impuissance et à la confrontation tragique à des surprises auxquelles elle se trouverait incapable de faire face. Cette tendance culturellement profonde, renforcée par la crise économique, doit être sérieusement contestée.

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