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La Bourse est-elle définitivement déconnectée de l'économie réelle ?
©Reuters

Decod-Eco

Les marchés boursiers ont dans leur ensemble renoué avec leurs sommets historiques, et sont en route pour de nouveaux records. Signe que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes économiques possibles ?

Cécile  Chevré

Cécile Chevré

Cécile Chevré est titulaire d’un DEA d’histoire de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) et d’un DESS d’ingénierie documentaire de l’Institut national des techniques de documentation (INTD). Elle rédige chaque jour la Quotidienne d'Agora, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance.

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Les marchés actions reflètent-ils l’état de l’économie ? C’est la question qu’il est indispensable de se poser alors que la plupart des Bourses viennent d’inscrire de nouveaux plus-hauts historiques tandis que l’état de décrépitude de l’économie continue de donner des cheveux blancs aux responsables économiques. La dichotomie est particulièrement flagrante en Europe. Les prévisions de croissance sur le Vieux Continent sont continuellement revues à la baisse mais, dans le même temps, le DAX a retrouvé les sommets d’avant-crise et le Footsie, à près de 6 500 points s’approche de plus en plus de son sommet de 2007 (à plus de 6 700 points). Même aux États-Unis, l’état de l’économie ne justifie en aucun cas que le S&P 500 ou le Dow Jones flirtent ou explosent leurs plus-hauts.

Une vision naïve de l’évolution boursière voudrait que les marchés actions reflètent les bénéfices passés et surtout à venir des entreprises. Historiquement, ou du moins depuis le milieu du XXe siècle, cette relation a été plutôt forte. Il y a évidemment des années où les performances boursières n’ont pas été à la hauteur de la progression de l’économie, et inversement, mais dans l’ensemble, quand l’économie progressait, les marchés actions aussi.

La progression des Bourses devient la preuve de la bonne santé de l’économie. La hausse des indices rassure et évite à chacun de se poser des questions sur la véritable santé des entreprises. C’est ce qui s’est passé avant la crise de 1929, celle d’Internet et plus récemment avant 2007. Si le Dow Jones, le Nasdaq ou le S&P 500 étaient en hausse, c’est donc que tout allait bien, qu’il n’y a pas d’excès de spéculation, d’argent dans les dot.com ou encore de crédits pourris. Le lien entre marchés et économie devient alors l’instrument du krach, l’outil qui encourage la frénésie boursière et précipite donc l’explosion de la bulle.

Aujourd’hui, si vous débarquiez de la planète Mars, ou que vous vous réveilliez d’un sommeil d’une bonne dizaine d’années, et que vous tentiez de prendre le pouls de nos économies en jetant un oeil à l’évolution du S&P 500, vous en concluriez certainement que nous sommes dans une période de richesse exceptionnelle, de croissance assurée. Et vous auriez tort.

Qu’il y a-t-il dans les cours de Bourse ?
L’hypothèse la plus optimiste voudrait que la flambée boursière soit annonciatrice d’une croissance à venir. Les marchés actions agiraient donc en indicateurs avancés d’une prospérité future. “Avoir raison trop longtemps à l’avance c’est avoir tort”, proverbe… que je viens d’inventer pour l’occasion mais qui me semble bien résumer la situation actuelle.

Sur le papier, pourquoi pas croire que la hausse actuelle soit le prémice d’une reprise économique solide... mais c’est tout de même très difficile à avaler pour l’Europe. Ou alors à admettre que les Bourses européennes reflètent l’état de l’économie dans 5 à 10 ans…

Côté américain, là encore, c’est une querelle de chapelle. Il y a d’un côté ceux qui croient à la solidité de la reprise et ceux qui n’y croient pas. Là encore, la croissance, la vraie, n’est pas pour tout de suite. Pour 2014, pour les optimistes, dans plusieurs années (voire jamais) pour les plus pessimistes.

L’autre possibilité est donc que les actions ne reflètent ni les bénéfices à venir des entreprises ni une croissance de l’économie mais… quoi donc ?

L’explication la plus évidente aujourd’hui est que le S&P 500 ou le Dow Jones reproduisent en fait l’état de la finance et non pas de l’économie réelle. Or les banques, les traders et même les standardistes de Goldman Sachs ne font pas un pays tout entier. Et ce même si les mirifiques bonus de fin d’année finissent dans l’achat d’une voiture de sport, d’une installation du dernier artiste à la mode ou d’un dîner dans un restaurant gratifié de trois macarons.

Qui se cache derrière la hausse actuelle ?
Si la progression des Bourses n’est pas imputable à la croissance actuelle ni même future de l’économie, qu’est-ce qui se cache derrière ?

1. Effet Bernanke 1 : en rachetant des obligations souveraines à tour de bras, le président maintient artificiellement les rendements des bons du Trésor au plus bas. Normalement, ceux-ci devraient remonter alors que l’endettement américain explose. Par un effet de vase communiquant, les investisseurs privilégient les marchés actions qui font miroiter des rendements plus attractifs. Le Dow Jones a pris plus de 11% depuis le 1er janvier, le S&P 500 près de 10%, le FTSE 8,5%, le DAX près de 3%.

2. Effet Bernanke 2. Les banques privilégient encore et toujours le rendement aux dépens de la gestion du risque. Malgré la leçon de 2007, elles continuent à privilégier les produits financiers à leur activité traditionnelle de prêts aux entreprises et aux particuliers. Produits financiers qui entretiennent la hausse des marchés actions mais aussi accroissent les risques bancaires.

3. L’auto-persuasion : les marchés montent, personne ne sait trop pourquoi, mais puisque tout le monde est persuadé que cela va continuer comme cela, la hausse se poursuit. Symbole de cette grande illusion, le VIX, l’indice de la volatilité qui n’est plus très loin de son plus bas de 2007. Un VIX bas est le signe de la confiance et de l’optimisme des marchés. Sur le graphe ci-dessous, vous pouvez voir le plus-bas touché en 2007 avant que n’éclate la crise des subprime, et comme vous pouvez le constater, ces dernières semaines, la volatilité était presque inexistante. Seule la crise chypriote l’a fait très légèrement remonter depuis quelques jours.

Rappelons aussi que l’analyse technique est en grande partie fondée sur des “mouvements de troupeaux”. Aujourd’hui, le troupeau s’est mis en tête que les plus-hauts devaient être franchis et dépassés. Et c’est ce qui se passe. Puis le troupeau décidera qu’il faut consolider, et les marchés baisseront. Ces mouvements sont amplifiés par les algorithmes de trading qui régissent (presque) entièrement les marchés actions.

4. Les rachats d’actions. C’est une information qui vient du Financial Times, les rachats d’actions par les entreprises atteignent des records. Des rachats qui permettent de soutenir artificiellement les cours.

5. La comparaison avec les marchés européens profite aux marchés américains. Le phénomène est d’autant plus sensible ces derniers jours alors que l’affaire chypriote sème la panique sur le Vieux Continent. Les marchés américains ont à peine tiqué alors que les Bourses européennes ont subi de plein fouet le retour des tensions et des doutes. Les investisseurs croient manifestement que les marchés US vivent dans une bulle à l’écart des dangers potentiels du reste du monde (bulle chinoise, crise de l’euro…). Même les discussions sur le relèvement du plafond de la dette et le fiscal cliff en décembre puis de nouveau en mars n’ont pas perturbé plus que cela le S&P 500 ou le Dow Jones.

Les matières premières nous donnent-elles un meilleur aperçu de l’état de l’économie mondiale ? Voici un graphique comparant l’évolution du Dow Jones (ligne pointillée) et celle de l’indice des matières premières, le CRB Reuters-Jefferies (en noir).

A votre avis... quelle ligne représente le mieux l'état de l'économie réelle ?

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