3/4 des principes actifs produits en Asie : non mais allô quoi, t'es un médicament et t'as pas de traçabilité...<!-- --> | Atlantico.fr
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L’adresse notée sur l’emballage, comme sur les sacs en cuir "made in France", décrit le lieu du dernier emballage mais pas celui de fabrication
L’adresse notée sur l’emballage, comme sur les sacs en cuir "made in France", décrit le lieu du dernier emballage mais pas celui de fabrication
©Reuters

Dose de cheval

En plein débat sur l'origine de la viande, un scandale sanitaire bien plus important pèse sur les consommateurs européens : la traçabilité des médicaments. De 60 à 80% des principes actifs sont en effet produits en dehors de l'UE remettant ainsi en cause tous les contrôles sanitaires.

Nicole  Delépine

Nicole Delépine

Nicole Delépine ancienne responsable de l'unité de cancérologie pédiatrique de l'hôpital universitaire Raymond Poincaré à Garches( APHP ). Fille de l'un des fondateurs de la Sécurité Sociale, elle a récemment publié La face cachée des médicaments, Le cancer, un fléau qui rapporte et Neuf petits lits sur le trottoir, qui relate la fermeture musclée du dernier service indépendant de cancérologie pédiatrique. Retraitée, elle poursuit son combat pour la liberté de soigner et d’être soigné, le respect du serment d’Hippocrate et du code de Nuremberg en défendant le caractère absolu du consentement éclairé du patient.

Elle publiera le 4 mai 2016  un ouvrage coécrit avec le DR Gérard Delépine chirurgien oncologue et statisticien « Cancer, les bonnes questions à poser à mon médecin » chez Michalon Ed. Egalement publié en 2016, "Soigner ou guérir" paru chez Fauves Editions.

 

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Atlantico : Après le scandale de la viande de cheval et les nombreux rapports publiés par les agences médicales, les médicaments que nous consommons restent les parents pauvres de la traçabilité. Le quotidien du médecin a récemment révélé que 60 à 80% des matières premières pharmaceutiques vendues en France seraient produites hors de l'Union européenne. Dans quelle mesure ces chiffres sont-ils réels et quelles sont les molécules et les pays concernés ?

Nicole Delepine : Que le grave problème de l’absence complète de traçabilité des médicaments perce enfin le plafond de verre me réjouit ! En effet depuis les drames du sang contaminé vieux de 20 ans ou de l’hormone de croissance datant également du début des années 80, on se demandait comment nous médecins au lit du malade arriverions enfin à faire exploser ce scandale majeur. Nos appels successifs aux ministères qui se succédaient restaient sans effet malgré des avertissements graves comme ceux des héparines de bas poids moléculaires fabriquées avec de l’intestin de porc chinois sans précaution par rapport au risque de maladie de la vache folle. La mise à l’index du lanceur d’alerte qui l’avait dénoncé montrait la gravité des problèmes étouffés.[1]

Nous nous sentons "apprentis sorciers"  en injectant des médicaments aux patients car nous le faisons à l’aveugle sans aucune information sur le produit que nous injectons ou que nous prescrivons d’avaler. Nous ne disposons que d’une pétition d’intention  sur la fiche accompagnatrice expliquant le principe actif sa quantité par unité de prescription (gélule, ampoule, etc ) et les excipients (en général et pas toujours en totalité). Mais sur le lieu d’achat des matières premières et des excipients, sur le lieu de fabrication de substances intermédiaires, les emballages successifs, nous ne savons absolument rien.

Sur l’emballage une date de péremption, un numéro de lot, une adresse de laboratoire en règle en France quel que soit le pays ou le médicament ou partie de celui-ci ait été fabriqué. L’adresse notée sur l’emballage comme sur les sacs en cuir ou les chemises "made in France"  reflète le lieu du dernier emballage du médicament et basta . Des codes à trois et à sept chiffres sensés nous éclairer sont complètement opaques pour le commun des mortels dont les cliniciens et l’étude soigneuse du site de l’agence du médicament (ANSM) sur ce sujet n’aide point.

Alors que nous savons au moins (en principe) chez notre boucher si la viande de bœuf est d’origine française, rien d’équivalent pour les médicaments contrairement aux matériels chirurgicaux par exemple. Le chirurgien sait où a été fabriqué le clou la vis ou autre. Pour les médicaments, rien !

Il est hautement probable que le pourcentage 60  à 80 % de matières premières soient effectivement importées de pays hors UE  depuis une dizaine d’années au moins pour des raisons de prix de revient évident. La Chine et également l’Inde sont les plus grands pourvoyeurs selon les informations qui circulent sous le manteau dans les congrès mais l’opacité est complète auprès des organismes officiels. TOUS les médicaments sont concernés des plus banals aux plus récents comme les molécules dites ciblées contre le cancer. Les médicaments originaux sont dans ce domaine autant à risque que les génériques. C’est pourquoi le combat de certains d’entre nous contre les génériques s’est effondré tant il est évident que les conditions d’opacité des molécules princeps comme des génériques conduisent aux mêmes dérives et dangers. Les médicaments sont fabriqués pour leur grande majorité à l’étranger hors union européenne et simplement importés en France.

Dans les années 1990 à 2000 les médicaments lourds de chimiothérapie étaient encore fabriqués en France ou au moins en Europe avec les respects de bonnes pratiques de fabrication. Dès cette époque nous nous méfiions de médicaments fabriqués dans certains pays hors UE et préférions payer des prix élevés contre une assurance de qualité. Mais tous ces circuits se sont effondrés au bénéfice de la Chine et autres qui ont su conquérir un marché mondial sans les lourdeurs des procédures de contrôle à tous niveaux de nos laboratoires de fabrication. On est passé d’un système rigide à un laxisme aveugle.

Quels sont les contrôles sanitaires auxquels sont traditionnellement soumis les médicaments qui entrent dans l’UE et comment leur origine leur permet-elle de les éviter ?

Selon les éléments disponibles, il ne semble pas évident que les médicaments importés fassent l’objet de surveillance rigoureuse systématique. Les informations portent sur les contrefaçons de médicaments saisis en douane qui alertent de temps à autre sur le sujet. Mais pour les médicaments importés par les grandes firmes ayant pignon sur rue a priori peu suspectes de contrefaçons, la surveillance est plus bureaucratique vraisemblablement portant sur les codes imposés, les dates de péremption etc mais pas sur la vérification du produit proprement dit.

Dans quelle mesure cela est-il dangereux pour les Français ?

Le danger est dans l’opacité qui ne permet aucun choix, dans la contamination des médicaments préparés dans de mauvaises conditions avec des impuretés éventuelles pouvant mettre en cause la sécurité.

Eventuellement des préparations mal faites pourraient conduire à des différences de dosages du principe actif dans la gélule ou le comprimé. C’est le risque majeur des génériques que nous avions souligné qui est l’autorisation des autorités sanitaires d’une marge d’efficacité de + ou - 20 à 25%, ce qui à l’évidence est beaucoup trop large et a donné lieu aux incidents et accidents par exemple chez les sujets sous antiépileptiques et anticoagulants.

Un autre danger potentiel est l'instabilité politique de ces pays qui pourrait empêcher les médicaments de parvenir jusqu'à nous. La France a-t-elle des stocks pour nous soigner en cas de crise ?

Le risque lié à l’instabilité politique me parait plus relatif dans la mesure où nos approvisionnements ne proviennent pas que d’un seul pays et que la Chine et l’Inde ne risquent pas forcément les bouleversements politiques au même moment et que l’Amérique du Sud pourrait surement nous dépanner ! De plus étant donné la surconsommation habituelle il est probable que les réserves de médicaments présentes sur le territoire français sont importantes ! Les Français consomment trop de drogues. Même en oubliant les risques liés aux préparations suspectes de fabrication , les risques inhérents aux molécules mêmes sont toujours bonnes à rappeler ainsi que le nombre élevé d’accidents liés aux traitements qu’il serait bon de réduire au minimum nécessaire .

[1] Cf la face cachée des médicaments N Delepine 2011 ed Michalon

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