Les profs sont-ils le corps social le plus conservateur de tous ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les enseignants sont très conservateurs.
Les enseignants sont très conservateurs.
©Reuters

Enseignant Ducobu

Depuis une trentaine d'années, professeurs, universitaires, ministres s'accordent plus ou moins à dire que l'organisation du temps de travail à l'école est contre-productive. D'un autre côté, toucher aux privilèges des enseignants n'est pas une mince affaire...

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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C’est une des lois de notre nature humaine que les plus enragés des révolutionnaires deviennent les pires des conservateurs. A sa manière, Jacques Brel n’avait-il pas chanté : « Les bourgeois, c’est comme des cochons… ». C’est ainsi que la « gent » éducative est devenue hostile à toute réforme et dans ses attitudes tout à la fois et compassées et théâtrales s’emploie à défendre « ses pauvres privilèges » : non plus privilèges matériels, mais privilèges d’emploi du temps. Toutes les revendications  des enseignants visent à être présents, le moins possible, auprès des élèves. Ecoles, lycées, universités deviennent ainsi des forteresses vides qu’élèves absents et professeurs lassés s’emploient à quitter le plus vite possible.

Tout au long du XIXème siècle, les instituteurs, professeurs des collèges, des lycées et des universités, ont pu, à juste titre, être qualifiés « de hussards noirs de la république », c’est-à-dire qu’ils s’employaient, au nom de l’égalité érigée en système, à éduquer, le plus largement possible, la jeunesse française.

Les qualités requises pour un tel apostolat, car c’est bien d‘un apostolat qu’il s’agissait, étaient la générosité, l’abnégation, mais aussi la passion de transmettre, y compris le grand mythe révolutionnaire de la fin des privilèges. Cette mission et la vocation ne sont aujourd’hui plus qu’une trace dans la littérature et la mémoire collective.

Par une curieuse inversion de polarité, la tribu des enseignants, est devenue une nouvelle caste de privilégiés. Tout simplement, parce qu’elle a remplacé les valeurs dont il vient d’être question, par une défense irraisonnée et quelque peu hystérique des « avantages acquis ». Dès lors, le bel idéal républicain de l’éducation pour tous a laissé la place à des revendications craintives et irrationnelles, ne voulant pas prendre en compte les fondamentales évolutions sociétales qui sont en jeu dans la société postmoderne.

Qu’est-ce que cela signifie ? Sinon peut-être que c’est le modèle éducatif lui-même qui doit être mis en question. Est-il encore possible d’enseigner d’une manière péremptoire et avec un corps de doctrines purement académiques des jeunes générations qui, développement technologique aidant, sont plus aptes au raisonnement intuitif que rationaliste. Et qui, surtout, peuvent et veulent interagir, voire contester en temps réel, le savoir surplombant de l’enseignant. Est-il encore pertinent de faire fi de la communauté des jeunes élèves pour pratiquer une pédagogie du concours et de la sélection individuelle ?

A cet égard, on peut penser qu’il serait utile de revisiter un autre modèle de socialisation, qui a prévalu dans les sociétés traditionnelles, celui de l’initiation. Dès lors l’enseignant n’imposerait plus un savoir pré-mâché, mais s’emploierait à accompagner et à faire ressortir une connaissance largement partagée, celle d’une science collective.

Mais parce que la « formation » des enseignants obéit elle-même à ce modèle, qu’elle se contente de la répétition des attitudes anciennes, on préfère rester sur le privilège du « sachant », refusant d’entrer dans une logique du partage de la connaissance. Peut-être est-ce là le fondement même de la crispation d’un corps social qui n’est plus simplement conservateur, mais qui est proprement réactionnaire. Précisément en ce qu’il reste attaché à la conception verticale du savoir et ne veut en rien voir ce qu’il en est de l’horizontalité qu’Internet et les autres moyens de communication interactive, comme les modes de vie et de socialité imposent de plus en plus.

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