A quoi reconnaît-on ces images capables de faire basculer l'opinion publique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des heurts entre manifestants et policiers ont impliqué des femmes et leurs enfants dimanche.
Des heurts entre manifestants et policiers ont impliqué des femmes et leurs enfants dimanche.
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Lacrymo pour tous

Dimanche, des heurts entre manifestants et policiers ont impliqué des femmes et leurs enfants. L'image de ces derniers, touchés par des gaz lacrymogènes, pourrait donner une nouvelle dimension au débat et à la polémique.

François Jost

François Jost

François Jost est professeur à l’université Paris III où il dirige le Centre d'Etudes sur l'Image et le Son Médiatiques (CEISME). Il enseigne l’analyse de la télévision et la sémiologie audiovisuelle.

Il est l’auteur, entre autres, de L’Empire du Loft, la suite  (La Dispute, 2007), De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? (CNRS éditions, 2011), Les Nouveaux méchants. Quand les séries américaines font bouger les lignes du Bien et du Mal (Bayard 2015), Breaking Bad. Le diable est dans les détails (Atlande 2016).

Il dirige également la collection A suivre sur les séries aux éditions Atlande.
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Atlantico : Le 24 mars dernier, une nouvelle manifestation regroupant plusieurs centaines de milliers de personnes contre le mariage homosexuel, déjà adopté par l'Assemblée nationale, a dégénéré en heurts entre les manifestants et la police. De ces incidents ont été reprises des images de familles prise dans les affrontements dont une mère, assise sur le bitume, enfant dans les bras, entourée de policiers. Dans quelle mesure de telles images peuvent-elles influencer l'opinion et dans quel sens ?

François Jost : Ces images risquent évidemment de transformer les manifestants en victimes. Le fait d’emmener ses enfants à une manifestation est une sorte de signe brandi au public que ses buts sont pacifiques. Dès lors, la répression d’une mère avec son enfant a tout de suite une connotation plus violente qu’une autre. Aux yeux de certains, cela peut devenir emblématique d’une entrave à la liberté de penser.

Particulièrement mis en avant dans cette affaire et déjà utilisés à toutes les sauces dans la publicité, quel rôle particulier les enfants jouent-ils dans l’opinion ?

Les enfants ont, pour les manifestants, plusieurs rôles : d’abord, comme je viens de le dire, ils sont là pour rassurer sur l’intention pacifique de la manifestation ; ensuite, ils ont  cette connotation traditionnelle d’innocence. Mais, surtout, ils sont là pour signifier la « normalité ». L’image de la mère et de son enfant est à ce titre le symbole, pour les manifestants, de ce que doit être une « vraie » famille. L’image de la mère avec son enfant est beaucoup plus signifiante que celle d’un père. Dans une société où la religion passe par une représentation de la mère et de son fils, elle fusionne en quelque sorte deux idées : l’une, de la maternité, l’autre de la famille selon le catholicisme.

Au-delà des enfants, quel type d’image influence particulièrement l’opinion et pourquoi ? Quelles sont les grandes images qui ont marqué l'histoire ?

Les photos ne font pas que montrer la réalité, elles en sont en quelque sorte une preuve car elles en portent la trace. Mais, au-delà de cette preuve, elles deviennent très vite, des symboles, c’est-à-dire qu’elles perdent le contexte qui était le leur pour devenir des significations détachées de la réalité. On se souvient de l’image de cette fille courant nue sur une route du Vietnam, le dos complètement brûle par un bombardement américain au napalm. Cette photo est devenue aussi le symbole de l’absurdité de cette guerre et a révolté le monde entier. Elle a sans doute mobilisé l’opinion internationale plus que tout discours.

Toutes les images de victimes suscitent aussitôt une réaction contre ceux qui sont censés entre être la cause. Mais, comme elles perdent leur contexte, il faut faire très attention : certaines peuvent être mises en scène à notre insu, soit par le photographe, soit par le sujet représenté. Lors de la guerre du Golfe, une image montrant une femme hurlant sur des ruines d’une maison avait fait le tour du monde pour dénoncer la barbarie américaine. Or, vérification faite, il s’agissait de la femme d’un diplomate irakien qui avait joué cette scène.

La société médiatique nous bombarde chaque jour de nouvelles images toujours plus violentes et plus nombreuses. Dans quelle mesure cela réduit-il notre influençabilité et notre sensibilité ?

Contrairement à ce qu’on dit souvent, les images ne parlent pas toutes seules. Elles peuvent parfois signifier une chose et son contraire ; ce qui compte beaucoup dans leur devenir médiatique, c’est le discours qui les accompagne. Cette pour cette raison que beaucoup de scènes répétitives, parfois pourtant horribles (images de guerre ou de répression) sont banalisées quand elles paraissent décrire des situations devenues quotidiennes (comme la Syrie). Dès qu’elles sortent de ce à quoi nous nous attendons, elles suscitent un débat. Il y a peu l’image d’un soldat au Mali avec un foulard représentant une tête de mort a soulevé une polémique, alors qu’elle n’était pas en soi horrible, car elle semblait vouloir nous dire quelque chose de l’état d’esprit des soldats français. Mais quoi ? C’est toujours un débat.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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