François Bayrou : "Sans discipline sur le déficit, ce sera la banqueroute de l’Etat et des familles. Et qui va trinquer ? Les pauvres"<!-- --> | Atlantico.fr
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"Chacun des partis dominants est poussé à la démagogie maximale."
"Chacun des partis dominants est poussé à la démagogie maximale."
©Reuters

Grand entretien

Privé de mandat national, le leader du MoDem veut faire entendre sa vérité aux Français dans son essai "De la vérité en politique" (Plon) publié le 14 mars. Affaires judiciaires, Europe, déficits, avenir politique... Il a répondu aux questions d'Atlantico.

François Bayrou

François Bayrou

François Bayrou est le président du Modem. Il a notamment été député des Pyrénées-Atlantiques de 1986 à 2012 et ministre de l'Education de 1993 à 1997.

Il s'est présenté aux élections présidentielles de 2002, 2007 et 2012.

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Atlantico : Alors que le parquet de Bordeaux a annoncé jeudi soir la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour abus de faiblesse dans l'affaire Bettencourt, vous avez dénoncé les attaques des amis de l’ex-chef de l’Etat contre le juge d'instruction. L’indépendance de la justice est-elle réellement remise en cause par les réactions des proches de l’ancien président de la République ?

François Bayrou : Les décisions de justice sont couvertes par le secret de l’instruction, nous n’avons donc pas les éléments du dossier. Cela devrait nous rendre prudents. D’autre part, une mise en examen n’est qu’une étape dans un processus de justice. Mais les accusations personnelles contre un magistrat, oubliant d’ailleurs que ce sont trois juges qui collégialement sont responsables de l’instruction, sont inacceptables. La démocratie commence avec l’indépendance de la justice et le respect des magistrats. On ne peut pas applaudir les juges le mardi parce qu’ils mettent Jérôme Cahuzac en cause, et les insulter le vendredi parce que c’est Nicolas Sarkozy qui est l’objet de leur décision. On ne peut pas demander constamment, comme le fait l’UMP, que les juges soient plus sévères, et dans le même temps, prétendre qu’ « ils déshonorent la justice » lorsque leur travail touche des personnalités politiques. C’est incohérent et grave. Tous les justiciables, les puissants et les faibles, doivent être égaux devant la justice. Enfin, les voies de recours existent. La chambre de l’instruction de la cour d’appel va avoir à se prononcer. Il suffit d’attendre quelques semaines pour connaître sa décision.

D’un autre côté, la présomption d’innocence de Nicolas Sarkozy n’a-t-elle pas été foulée aux pieds ? Celle-ci ne devrait-elle pas prévaloir sur le soupçon lié à la mise en examen ?

Bien sûr que la présomption d’innocence est sacrée. Mais justement dans le cas de Nicolas Sarkozy comme dans celui de Jérôme Cahuzac, il me semble que les médias et les politiques ont été d’une grande retenue. Ceux qui n’ont pas été retenus, ce sont ceux des amis de Nicolas Sarkozy qui ont ciblé le juge Gentil.

La mise en examen de l’ancien chef de l’Etat intervient justement après la démission, mardi, du ministre du Budget suite à l'annonce du parquet de Paris de l'ouverture d'une information judiciaire le visant. La multiplication des affaires alimente-t-elle la crise de confiance envers les politiques ?

Ce qui crée la crise de confiance, ce sont les manquements réels aux règles élémentaires du droit et de la décence qui se multiplient en France. Les « affaires » ne sont pas une création des juges, ni des médias, elles sont le fait des décideurs politiques quand ils ne respectent pas les règles et les principes de l’état de droit.

Durant la campagne présidentielle vous prôniez justement une moralisation de la vie publique. Etes-vous satisfait par les premières mesures annoncées par François Hollande ?

Non… Pour réussir la moralisation de la vie publique, il faudrait que la question du cumul des mandats soit tranchée, que le nombre de parlementaires soit réduit, que les gouvernements soient des gouvernements resserrés, que les cabinets soient restreints au lieu d’être pléthoriques, que soient tranchées les règles de nomination pour empêcher les amis du pouvoir de s’approprier tous les postes à responsabilités. On en est très loin. Les mêmes causes produisent les mêmes effets… Il y a toutefois une chose qui paraît aller mieux. Les magistrats semblent avoir la possibilité de travailler librement.

La crise de confiance envers les politiques semble également s’être manifestée en Italie à travers la percée de l'humoriste Beppe Grillo et le retour inattendu de Silvio Berlusconi. Ce succès des partis qualifiés de populistes est-il une réponse des électeurs au manque de vision des partis traditionnels, à leur incapacité à penser l’Europe et la mondialisation ?

Sans aucun doute, c’est l’objet du livre que j’ai écrit. C’est parce qu’il n’y a pas de vérité en politique que les déceptions se multiplient. C’est parce que les déceptions se multiplient que les démagogies les plus dangereuses finissent par paraître attirantes. Pour autant, est-ce que Grillo et Berlusconi peuvent donner un avenir à l’Italie ? Evidemment non ! Leurs propositions ne donneraient aucun avenir à l’Italie et une telle logique serait encore plus tragique en France. Car nous avons une contrainte que l’Italie n’a pas : notre pays est obligé d’emprunter tous les jours pour payer les fonctionnaires et les retraites tandis que l’Italie pourrait ne pas emprunter, même si c’est une hypothèse peu crédible, si elle cessait de rembourser sa dette.

Contrairement à la France, elle est en « équilibre primaire ». Son déficit est entièrement composé par le service de la dette tandis que le déficit de la France, c’est le service de la dette plus quelques dizaines de milliards dont nous avons absolument besoin pour vivre. Il n’existe aucune possibilité de se laisser entraîner dans la direction d’un tel laxisme, ce serait synonyme de chaos …

Certes, mais les élections italiennes ont également été marquées par la défaite cinglante de l’ancien commissaire européen Mario Monti soutenu par la quasi-totalité de la classe politique européenne. La vérité n’est-elle pas que la prise de pouvoir de Mario Monti résulte d’une forme de « coup d’Etat européen » que les électeurs italiens ont sanctionné ? D’une certaine manière, Mario Monti comme Beppe Grillo n’incarnent-ils pas tous deux une forme de mort du politique ?

On ne peut pas parler de « coup d’Etat » puisque ce sont les parlementaires qui sont allés chercher Mario Monti. Peut-être que celui-ci était moins politique qu’il aurait fallu l’être. C’est très difficile de mener une politique de rééquilibrage et de redressement. Il n’empêche qu’il y a des moments où il n’y a pas d’autre solution, sauf le chaos …

Pour autant, à la différence avec Mario Monti, que par ailleurs j’aime bien, je n’ai jamais cru dans un gouvernement de techniciens. Je suis pour que le peuple soit associé à tout ce qui est essentiel. Par exemple, j’étais en désaccord avec la décision de Nicolas Sarkozy de passer outre le « non » au référendum sur le traité constitutionnel de 2005. Ce choix était civiquement infondé et imprudent.

Vous publiez De la vérité en politique, un essai dans lequel vous dénoncez la politique française, selon vous, corrompue par les mensonges et les illusions, et décrivez une France au bord du gouffre. Qu’avez-vous compris que les autres n’ont pas compris ? Avez-vous une baguette magique pour réformer un pays réputé irréformable ?

La France ne produit plus les ressources nécessaires pour soutenir son modèle social et ses services publics. Une fois que vous avez fait ce constat, il vous reste deux options. La première est de prendre la hache et de tailler dans les dépenses, quitte à acter la disparition de notre modèle. Bien sûr, il faut faire des économies, et même commencer par là. Bien sûr, il y a en France beaucoup de gaspillages et d’argent public mal utilisé, un État à réformer d’urgence parce qu’il est devenu autobloquant. Mais si vous n’améliorez pas la création de richesses et d’emplois, aucune coupe ne sera suffisante.

La deuxième option est donc de tout faire pour que les entrepreneurs, les créateurs, les producteurs, les inventeurs, les innovateurs retrouvent droit de cité dans notre pays. Tout pour le soutien à ceux qui signent des contrats de travail ! Il faut leur donner des règles stables, une fiscalité qui leur permette d’investir, la reconnaissance de leur droit à gagner de l’argent lorsqu’ils ont créé des richesses et des emplois, un droit social lisible. Il faut supprimer tous les obstacles à la créativité et à l’inventivité du pays. C’est pour moi, la seule politique possible. Il n’y en a pas d’autres, autrement on va assister à l’effondrement de notre modèle de société.

Votre diagnostic et mêmes vos solutions semblent aujourd’hui partagés aussi bien par la droite que par la gauche. Comment expliquez-vous que les blocages persistent néanmoins. Les politiques manquent-ils de courage pour réformer ou la situation est-elle plus complexe qu’il n’y paraît ?

La principale cause de notre échec est notre système institutionnel qui fait qu’à chaque élection la démagogie l’emporte. A chaque séquence électorale, ce qui se joue, c’est : « tout ou rien ! ». Le vainqueur obtient tout le pouvoir, le perdant est dans l’opposition et n’a aucun pouvoir. Et si vous êtes indépendant, comme le Modem mais aussi comme l’extrême gauche ou l’extrême droite, vous n’avez même pas de représentation. Le résultat de cette mécanique dramatique est la victoire du mieux-disant démagogique à chaque élection. Chacun des partis dominants est poussé à la démagogie maximale. Lors de la dernière élection présidentielle, François Hollande nous annonçait 1,7 % de croissance pour 2013 et Nicolas Sarkozy 2 % ! Finalement, nous aurons zéro ! C’est tellement facile de dire : « on aura la croissance… » et de multiplier les promesses illusoires. Mais ce type de discours empêche le pays et les citoyens de prendre conscience du réel et du chemin qu’il faut suivre pour redresser le pays. C’est le contraire des hommes que j’honore dans le livre : Pierre Mendès France et Raymond Barre notamment.

L’Italie a un système institutionnel différent et pourtant les difficultés sont les mêmes, voire sont encore plus grandes. La proportionnelle n’a pas empêché la défaite de Mario Monti et la victoire de Beppe Grillo …

L’Italie a un système institutionnel bâtard. Mais c’est déjà un grand progrès que Mario Monti et ses amis soient représentés. Ils n’ont que 50 sièges, mais ils ont 50 sièges dont ils vont pouvoir se servir pour débattre. Et Mario Monti n’a pas dévié de sa ligne ou très peu. Je crois que dans les mois qui viennent, les hommes politiques responsables seront rappelés pour faire face à la situation de l’Italie.

Au-delà de la vérité des chiffres toujours plus ou moins contestable et de la question institutionnelle, le plus important n’est-il pas d’avoir une vision et d’être capable de convaincre les électeurs de la suivre ?

C’est vrai. À condition que la vision politique intègre et respecte la réalité. Durant sa campagne Nicolas Sarkozy disait : « les réformes sont faites, les économies et les impôts sont derrière nous, la réforme des retraites est achevée…» Moi, je n’ai jamais cru que la réforme des retraites était faite et dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, beaucoup de gens le savaient aussi. Je ne nie pas que l’absence de courage ou de volonté puissent jouer un rôle : toutes ces faiblesses existent, bien sûr. Mais je ne crois pas que ce soit aussi simple que cela. Ces causes, liées à la faiblesse humaine, sont conjoncturelles ou accidentelles. Or la crise dure depuis vingt ans. 

C’est donc que la question est dans l’organisation de notre modèle politique, de nos institutions.

L’objectif de 3% est-il trop élevé ? 

Il faut d’abord rappeler que 3%, c’est 3% du PIB, et que cette somme représente quelque 20% du budget. Cela signifie que tous les jours, notre budget est déficitaire de 20%. On ne peut pas continuer dans cette dérive. Pas parce que l’Europe nous le demande. Mais parce que nous sommes en état de surendettement. Les bouches en cœur qui disent, « on ne va pas accepter des disciplines de cet ordre », nous conduisent à la banqueroute. Et cette banqueroute touchera non pas seulement l’Etat, mais aussi et surtout les familles. Qui va trinquer ? Les pauvres ou les riches ? Les pauvres, bien sûr, car dans une chaîne c’est toujours le maillon le plus faible qui craque en premier. 

Le réel nous dit que nous devons rembourser notre dette. Si nous ne remboursons pas, nous ne pourrons plus emprunter …Or nous devrons emprunter tous les jours pour vivre, et cela pendant des années, même si nous améliorons notre situation. Nous sommes donc obligés d’être sérieux. Si vous vous adressez à votre banquier en lui disant, je vous aie emprunté 500 000 euros, je viens vous dire que je ne vous les rembourserai pas mais je viens vous demander un nouveau prêt de 500 000 euros, vous verrez comme sa porte va se fermer en même temps que sa mine !

Vous avez échoué trois fois lors de l’élection présidentielle et multipliez les défaites électorales ces dernières années. Les Français veulent-ils vraiment entendre ce langage de vérité que vous prônez ?

Je ne considère pas avoir échoué. J’ai toujours su que dans le système bipolarisé où nous sommes ce serait difficile. Mais des millions de Français m’ont suivi. Beaucoup se souviennent de ce que j’annonçais et vérifient chaque jour davantage la véracité de ces analyses. Et comme la situation s’aggrave, ils voient bien que ce système ne leur permet pas d’espérer. La mission d’un homme d’Etat est de défendre la vérité quoi qu’il lui en coûte électoralement. C’est aussi la mission des citoyens conscients. Et un jour, devant la nécessité et l’urgence, ce qui paraissait impossible devient possible.

On dit que "les promesses n'engagent que ceux qui y croient"... Pour accéder au pouvoir, ne faut-il pas faire quelques promesses irréalistes, même s’il faut changer de cap une fois élu ?

Mais les promesses irréalistes, c’est cela que nous ne cessons de faire depuis vingt ans ! Regardez où cela nous a conduits. Il faut que vous compreniez que le « pouvoir », comme vous dites, cela ne dure pas quand vous avez trompé le peuple. C’est une fable de croire que lorsqu’on est aux manettes, on peut faire ce qu’on veut. Ce n’est pas vrai. Lorsque vous êtes aux manettes, surtout en matière de réformes, vous ne pouvez entreprendre que ce que le peuple, d’une certaine manière, accepte, même si c’est de mauvais gré. Si le peuple refuse radicalement que vous le conduisiez sur une voie donnée, vous ne pourrez pas le contraindre par la force. En tout cas, en démocratie. Spécialement quand vous avez promis le contraire. Il y a donc un lien direct entre la capacité de réforme et la vérité dite au pays. La réforme acceptée et soutenue, c’est le résultat d’un contrat de vérité.

En France, le changement doit-il nécessairement passer par un période de crise comme en 1945 ou en 1958 ?

Nous sommes déjà dans cette période de crise. Le risque c’est qu’elle s’aggrave. J’évoque dans le livre le danger d’une poussée extrémiste qui démolirait le pays. Je serai de ceux qui diront au pays : « attention, là est le chaos, là est l’accident dont vous ne reviendrez pas. » Chacun fait son travail, défend ce qu’il croit devant les citoyens, en conscience. La conscience, ça existe. La conscience et la décence … 

Votre livre se termine par un chapitre consacré à l’Europe. A-t-on assez dit la vérité aux citoyens sur la construction européenne ? La crise de Chypre n’est-elle pas révélatrice de certains mensonges ? Certains estiment aujourd’hui que Chypre devrait payer parce que c'est un paradis fiscal et bancaire pour oligarques russe. Mais l'UE ne le savait-elle pas en l'admettant dans la zone euro en 2004 ?

D’autant que Chypre était occupée par la Turquie et qu’on a fait comme si… Mais l’Europe ne doit pas servir de bouc émissaire. Mon livre le dit, les problèmes de la France sont à l’intérieur : le problème ce n’est pas la crise, pas l’euro, pas la mondialisation, pas la globalisation. Le problème, c’est les multiples faiblesses d’organisation de la société française. C’est cela qu’il faut corriger, et l’Europe est nécessaire si nous voulons une stratégie d’ensemble, si nous voulons peser comme continent face aux autres puissances. 

L’Europe n’est pas extérieure à la France. Pourquoi avons-nous besoin d’une autorité politique dans la zone euro ? Parce que nous avons une monnaie unique. Quand vous avez une monnaie unique, il faut des adaptations. Vous avez le devoir de veiller à l’équilibre entre pays et entre territoires. Si vous ne faites rien, les adaptations se feront par la désertification des déserts et la concentration dans les zones les plus favorisées. Or vous ne pouvez pas, lorsque vous êtes un gouvernement, ignorer les impératifs de l’aménagement du territoire : aider les plus faibles, ralentir un peu les plus forts. Il nous faut donc une autorité politique.

Il est vrai cependant qu’elle ne peut pas être opaque comme elle l’est aujourd’hui. Il faut une autorité politique réellement démocratique avec des dirigeants identifiés et avec une implication des citoyens. Ceci est une nécessité inévitable autrement l’Europe explosera.

Justement, jusqu’ici la réponse de l’Union européenne à la crise de la zone euro a été uniquement budgétaire. Au-delà de l’effort de rigueur nécessaire, le problème de la zone euro n’est-il pas également monétaire ? Quelles sont les réformes structurelles à engager pour homogénéiser la zone euro et faire enfin converger les politiques sociales et économiques ?

Je crois qu’on exacerbe le problème monétaire. L’Euro a été introduit à 1,17 dollars et vaut aujourd’hui 1,28 dollars. Cela représente à peine plus de 10 centimes de variation sur douze ans, ce qui est synonyme de stabilité monétaire au travers de l’Union.

Cependant, les interventions européennes, aujourd’hui, sont trop faibles et le budget va être encore en baisse. Par ailleurs, ce sont des interventions décidées selon un processus incompréhensible par le citoyen. Elles sont faibles et en même temps illégitimes. Il faut résoudre ces deux questions.

Sans remettre en cause son indépendance, la BCE ne doit-elle pas être contrôlée de manière plus démocratique comme la FED aux Etats-Unis ?

Dans les textes, ce contrôle démocratique existe. Théoriquement, le gouverneur de la banque centrale européenne doit aller devant le parlement et les commissions pour justifier ses choix. Et il le fait. Le fonctionnement de la banque centrale européenne n’est pas si éloigné de celui de la banque centrale américaine. Cette dernière est peut-être un peu plus influencée par le débat politique parce que l’Etat américain a mis la croissance et l’emploi dans ses statuts. On serait bien inspiré de faire la même chose. J’ai toujours pensé que les plans de sauvetage ne marcheraient pas car il y avait une décision simple à prendre le premier jour et qu’on a refusé de prendre : que la BCE soit assureur en dernier ressort ce qui aurait chassé les peurs qui sont génératrices de la crise.

Le professeur de Harvard Dani Rodrik dans son essai, The Globalization Paradox, explique que l’Europe se trouve dans un dilemme insoluble, incapable de conjuguer ses trois aspirations les plus fortes : union monétaire, souveraineté nationale et démocratie. L’union monétaire est-elle réellement compatible à la fois avec la souveraineté nationale et la démocratie ? Si on fait le choix de conserver une monnaie unique, le choix du fédéralisme n’est-il pas inévitable pour que l’Europe reste démocratique ?

D’abord attention : le mot fédéral est totalement incompris en France. Les gens qui accusent le fédéralisme le soupçonnent généralement de vouloir être une forme de concentration des pouvoirs ; alors que le fédéralisme c’est justement la déconcentration des pouvoirs comme le montre bien l’exemple suisse. C’est donc un mot piégé que j’emploie très peu.

J’utilise plus volontiers le mot « coopératif ». L’Europe doit avoir une démarche coopérative. Dans une coopérative agricole ou ouvrière, chacun des participants conserve son identité et sa liberté tout en acceptant que certaines choses doivent être faites par la communauté.

Si l’Europe prend définitivement le chemin du fédéralisme ou du modèle coopératif pour reprendre votre expression, n’est-ce pas aux peuples européens de le décider ?

Durant la campagne de 2007, j’avais proposé de faire un référendum sur un texte simple définissant clairement la politique européenne de la France. La légitimité sur des sujets de cette importance appartient au peuple. Et la responsabilité des gouvernants est de rendre les problèmes accessibles. 

Les pères fondateurs de l’Europe n’ont-ils pas menti aux peuples en privilégiant « la stratégie des petits pas » (intégration sectorielle du charbon et de l’acier, puis de la monnaie) sans préciser que ce chemin mènerait forcément au fédéralisme ? N’ont-ils pas eux aussi une responsabilité dans l’impasse que nous traversons actuellement ?

La doctrine de Jean Monnet, après la guerre dans contexte où la germanophobie était très forte, voulait qu’on avance sans le dire en mettant à la tête de l’Europe des gens qui avaient la compétence nécessaire mais pas la légitimité du suffrage universel. Cette doctrine a vécu et ne pourra pas supporter l’importance des décisions à prendre et la gravité des problèmes que nous devons affronter. Désormais, s’ouvre l’heure de l’impératif démocratique. 

L’Histoire est faite d’un enchaînement de péchés originels. La seconde guerre mondiale résulte par exemple en partie de la sévérité du traité de Versailles à l’égard de l’Allemagne. Et le traité de Versailles lui-même de la sévérité des réparations imposées par l’Allemagne après la guerre de 70 lors de la signature du traité de Francfort ! La responsabilité des hommes politiques est de corriger les erreurs à mesure qu’on les identifie. Vous n’aurez jamais une construction idéale pensée dès la première minute avec des génies généreux et bienveillants. Cela n’existe pas. Les hommes ont des limites. Mais le mûrissement du temps est là pour corriger ces limites. A condition d’avoir des hommes politiques qui ont une vision et un jugement.

Entre les deux tours de la présidentielle, vous avez annoncé que vous alliez voter François Hollande. En matière de vérité, êtes-vous satisfait de votre choix ? 

Je vois des points positifs : un climat moins violent, la manière dont a été décidée et conduite l’intervention au Mali, les négociations syndicats patronat. Mais les évolutions que j’attendais en matière économique ont été annoncées, mais ne sont pas réellement réalisées. La conférence de presse que François Hollande a faite en novembre 2012 est absolument juste en matière d’orientations. A juste titre, l’accent a été mis sur la politique de l’offre et la compétitivité. Pour autant, est-ce que ces orientations ont été réalisées ? Mal ou trop peu. 

Le crédit d’impôt compétitivité que je considère comme une usine à gaz ne servira pas l’emploi : trop compliqué et ne comprenant pas que la priorité d’un chef d’entreprise est son compte d’exploitation de l’année en cours, et non celui de l’année d’après. Comment croire qu’un chef d’entreprise peut embaucher massivement parce qu’on lui promet de lui rembourser 5% de sa masse salariale l’année suivante ? Cela sera un avantage pour les grandes entreprises, mais ne jouera pas sur les PME, encore moins sur les TPE.

Par ailleurs, il y a de mauvais signaux. Le jour de carence des fonctionnaires est un mauvais signal. Toutes les réflexions autour de la fiscalité à des taux confiscatoires sont de mauvais signaux. Ces pistes ne seront sans doute jamais mises en place, mais elles sont symboliquement dangereuses car c’est ce que les investisseurs étrangers retiendront de la France. Est-ce que François Hollande ira dans le sens des orientations justes ou des mauvais signaux ? C’est ce qu’on va savoir dans les semaines qui viennent.

En quoi votre présidence aurait-elle été fondamentalement différente de la présidence de François Hollande ?

J’aurais fait immédiatement la moralisation de la vie publique. J’aurais immédiatement imposé le pluralisme dans la représentation. J’aurais incarné une présidence non partisane, non clanique. J’aurais fait des nominations qui auraient été des nominations non soupçonnables du point de vue de la compétence et de l’objectivité. J’aurais concentré tous les moyens du pays, toutes ses règles, toutes ses lois, tous ses règlements, toutes ses normes autour de la question du produire en France. J’aurais simplifié l’organisation de l’Etat qui est labyrinthe dans lequel tout se perd et tout s’enlise. J’aurais essayé d’être le président de toutes les sensibilités du pays et pas seulement de ceux qui politiquement me soutiennent.

Vous rappelez dans votre livre que vous n’avez pas voté Nicolas Sarkozy parce qu'il divisait les Français. Malgré son style plus sobre, François Hollande ne fait-il pas pire ? Dans un contexte de crise a-t-il eu raison de soulever la question du droit de vote des étrangers ou du mariage et l’adoption pour les couples homosexuels ? Le succès de "Manif pour tous", ce dimanche, montre-t-il qu'il a ouvert de nouveaux fronts dans la société ? 

François Hollande évite la question du droit de vote des étrangers et je pense que c’est prudent. Pour ce qui est du mariage homosexuel, la question pouvait être réglée sans division en proposant une union civile, statut que je défends depuis dix ans. Il a préféré avoir une démarche politique car les socialistes avaient besoin d’un symbole, d’un combat symbolique pour faire oublier toutes les promesses qu’ils ne pourront pas tenir. Ce que je considère effectivement comme une faiblesse. Mais, dans l’ensemble, je pense qu’il y a tout de même moins de division. François Hollande ne reçoit pas les juges tous les huit jours sur des affaires qui le concerneraient. Il y plus de liberté pour la magistrature. Il y a un climat général de rapports plus équilibrés. 

Vous abordez rarement les questions de sécurité ou d’immigration. Etes-vous mal à l’aise avec ces thèmes ? Les politiques n’ont-ils pas aussi un devoir de vérité sur ces sujets ?

Il y a dans mon livre un chapitre pour la défense de la nation et le constat que la politique d’intégration ne fonctionne pas. Ce sont des thèmes qui existent mais que vous avez le devoir en tant que chef d’Etat de ne pas faire flamber. On peut dire la vérité sans mettre d’essence sur le brasier. 

L’analogie la plus éloquente que je connaisse, c’est celle du père de famille à une table de famille. Il sait très bien que les belles-filles à certains moments ne s’entendent pas avec leur belle-mère, et ne s’entendent pas entre elles, il sait très bien qu’il y a des tensions entre les enfants, que la cousine germaine qui est là a dit du mal de lui. Mais son devoir sacré est de faire que la table de famille rassemble. Le président de la République a le devoir d’agir comme un père de famille. Le drapeau tricolore est le drapeau de tous les Français.

Tous ceux qui choisissent de cultiver les divisions rendent un mauvais service à leur pays. C’est une tentation électoralement puissante, je le sais. Mais précisément, c’est une tentation à laquelle un homme d’État doit résister.

Selon un sondage Atlantico-CSA publié ce lundi, 51% des sympathisants sont favorables aux alliances locales avec le FN tandis que 42% y sont opposés. Dans un souci de vérité et de cohérence, des alliances doivent-elles être noués entre une partie de l’UMP et le FN tandis qu’une autre partie de l’UMP se rapprocherait du centre…

Vous savez bien, en effet, que je n’aurais aucune difficulté, en tant que responsable du centre, à m’entendre avec cette droite républicaine que vous évoquez : avec Alain Juppé, François Fillon ou François Baroin par exemple, et tant d’autres… Mais je suis frappé que les choses aient été portées au point que 51 % des sympathisants de droite disent, qu’au fond, l’extrême droite est la logique de leur avenir. Cela justifie mon inquiétude. Ils ont été poussés vers les extrêmes.

N’est-ce pas au contraire un désaveu pour les partis traditionnels qui seraient coupés de la réalité des Français ?

Bien sûr qu’il y a des difficultés : des difficultés de voisinage, des difficultés d’intégration, des tensions dans tel quartier autour du voile. Pour autant, vous n’en faites pas le sujet d’une campagne électorale, le sujet du discours au peuple, le sujet du cri dans les meetings… Autrement, vous faites flamber les passions. Bien sûr qu’il y a de la polygamie dans certaines communautés. Il y a des pays comme le Mali ou la polygamie représente 80 % de la population. Pour autant, vous n’allez pas à la télévision pour en faire un sujet d’excitation. Sinon, vous faites flamber le quartier. Votre devoir est d’être sérieux, de défendre nos règles et nos lois, de mettre en place des décisions concrètes. Pas d’être le dynamiteur d’une société. Si vous prenez l’analogie avec une famille, vous comprendrez ce qu’est le devoir d’un homme d’Etat. J’ai dit homme d’Etat, pas politicien !

Après trois élections présidentielles, comment voyez-vous votre avenir politique ? Excluez-vous de vous représenter une quatrième fois ? A plus court terme serez-vous candidat aux municipales ou aux européennes ?

Je ne me pose pas la question de ma responsabilité en termes d’élections. On verra le jour venu. Mon destin personnel n’est pas la question. Ce qui m’intéresse et pas seulement moi, c’est le pays, c’est son destin en tant que nation, en tant que société, en tant que peuple et en tant que familles. C’est de cela dont j’ai envie de parler. Et je n’ai aucune arrière-pensée de manœuvre de carrière. J’ai souvent refusé d’entrer au gouvernement car je n’étais pas d’accord avec la politique suivie et je ne suis pas d’accord avec la politique suivie aujourd’hui. Je vais défendre devant le pays le chemin que je crois le seul possible pour qu’il s’en sorte et que j’ai défendu devant vous. Le jour où le peuple français aura choisi la voie courageuse de son redressement, je serai heureux et prêt à aider à la place que je pourrais occuper. Mais ne vous attardez pas trop à ces questions de scénarios : personne ne peut savoir aujourd’hui, tant la situation est instable et dangereuse, ce qui va arriver d’ici 2017, dans les quatre ans qui viennent.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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