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Existe-t-il un profil-type et un "vote chasseurs" et en faveur de qui a-t-il penché lors des précédents scrutins ?
Existe-t-il un profil-type et un "vote chasseurs" et en faveur de qui a-t-il penché lors des précédents scrutins ?
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Chasse aux voix

Le Congrès annuel de la Fédération Nationale des Chasseurs a lieu mercredi 20 mars, en présence de deux ministres. A l’approche des différents scrutins de 2014, la chasse aux quelque 1,3 million de voix de chasseurs français constitue un enjeu non négligeable.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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A l’approche des différents scrutins de 2014 (municipales, européennes et sénatoriales), la chasse aux quelque 1,3 million de voix de chasseurs français constitue un enjeu important, corrélé à la capacité à convaincre le monde rural. Existe-t-il un profil-type et un "vote chasseurs" et en faveur de qui a-t-il penché lors des précédents scrutins ? C'est la question posée par l'étude Ifop du 12 mars : "L'électorat chasseur : quand les fusils se rendent aux urnes."

Profil : qui sont les chasseurs et quel est leur poids réel ?

Interrogés par l’Ifop dans le cadre d’un cumul d’enquêtes d’intentions de vote en octobre 2011[1], 3,8% des Français inscrits sur les listes électorales déclaraient posséder un permis de chasse. Ce score, lorsqu’on l’extrapole à l’échelle du corps électoral français, aboutit à 1,6 million[2] de chasseurs là où les estimations les plus hautes dénombrent entre 1,3 et 1,4 million de détenteurs de permis, faisant de la France le premier pays cynégétique d’Europe.

Cette surévaluation peut notamment s’expliquer par le fait que des chasseurs non à jour quant à leur titre de chasse se déclarent tout de même comme tel. L’esquisse d’un profil-type du chasseur est possible grâce à la taille importante de l’échantillon : cet électorat se révèle essentiellement masculin et plus de la moitié a moins de 50 ans (54%), ce qui montre qu’il ne s’agit pas forcément d’une population vieillissante. Les chasseurs sont issus des différentes catégories socioprofessionnelles interrogées, avec toutefois une surreprésentation parmi les agriculteurs (5%), les ouvriers (16%) et les retraités (34%), et bien entendu une implantation forte en milieu rural (43% des détenteurs d’un permis de chasse vivent dans une commune rurale contre 25 % de la population totale). En termes de positionnement partisan, les chasseurs se répartissent sur l’ensemble de l’échiquier politique : 19% se disent certes proches de l’UMP ou du MPF, mais dans le même temps, sur 100 chasseurs, 17 se déclarent proches du Parti socialiste et 13 du Parti communiste, dont les élus présentent et défendent souvent le droit de chasse comme l’un des acquis de la Révolution. À l’extrême opposé, et dans la lignée d’un vote relativement protestataire et anti-européen, 15 chasseurs sur 100 se déclarent politiquement proches du Front national. L’orientation politique des chasseurs n’est donc pas homogène, loin s’en faut. Notons pour finir, ceci pouvant aller à l’encontre de certaines idées reçues, l’existence d’un vote écologiste qui ne se traduit pas directement par un soutien à Europe Ecologie / Les Verts, mais peut bénéficier à l’Alliance écologiste indépendante, dont 23% des électeurs aux régionales de 2010 étaient des détenteurs d’un permis de chasse.

Retour sur les élections précédentes

Le scrutin présidentiel de 2002 lors duquel Jean Saint-Josse avait obtenu 4,2% des suffrages, soit l’équivalent de 1,2 million de voix, avait constitué le point d’orgue du phénomène du « vote chasseurs ». Depuis, le mouvement Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT) a décliné et cet électorat s’est dispersé. En 2007, Frédéric Nihous, son successeur à la tête de CPNT, ne recueillait plus que 420 000 suffrages (1,15%), accusant un déficit de 800 000 voix en cinq ans. Les scrutins intermédiaires locaux n’ont pas davantage souri aux représentants de CPNT, le parti dirigé par Frédéric Nihous ne pouvant aujourd’hui s’appuyer que sur quelques élus issus des élections cantonales ou régionales. Sur la base de ces votes antérieurs, les choix électoraux des chasseurs apparaissent mouvants et composites, l’absence de solidité électorale offrant pour chaque scrutin l’opportunité à différents candidats de s’attacher les voix d’une partie plus ou moins importante de cette cible. Ainsi, en 2007, Nicolas Sarkozy a obtenu les voix de 26% des chasseurs s’étant déplacés aux urnes, cette moindre performance que dans la population totale s’expliquant notamment par un sur-vote au profit de Jean-Marie Le Pen (16%) et de Philippe de Villiers (5%). Face à ce bloc de droite de 47%, Ségolène Royal a pu compter sur le soutien de seulement 14% des porteurs de fusils, à égalité avec François Bayrou dont l’ancrage rural ne lui a pas permis de percer dans cette catégorie. Frédéric Nihous, quant à lui, ne conserva que 14% de ces voix, soit le même score que l’ensemble des candidats trotskistes, surreprésentés comme l’extrême-droite dans cet électorat chasseur. Les résultats électoraux obtenus dans certains fiefs historiques de CPNT viennent d’ailleurs confirmer cette dispersion de l’électorat chasseur en 2007.

Le vote au premier tour de l’élection présidentielle de 2007 dans certains bastions de CPNT

Présidentielle de 2012 : un électorat composite et un sur-vote lepéniste

Le cumul des intentions de vote de l’Ifop (portant sur plus de 30 000 interviews réalisées pendant la campagne) nous a permis d’identifier vers qui les voix des chasseurs s’étaient portées sachant que, contrairement à 2002 et à 2007, aucun candidat ne s’est présenté comme le représentant de la chasse et le défenseur de la ruralité. Si l’on raisonne en termes de rapports de force globaux, la gauche dans son ensemble recueille 42,5% des votes auprès des chasseurs contre 43,5% auprès de l’ensemble des votants, quand la droite et l’extrême-droite peuvent s’appuyer sur un score de 54% auprès des chasseurs contre 47% au global. Si la gauche est donc à « son poids » parmi l’électorat chasseur, celui-ci penche néanmoins nettement plus à droite que le corps électoral français, cet écart se faisant notamment au détriment de François Bayrou.

Le vote en faveur des principaux candidats au 1er tour

Quand on l’analyse dans le détail, cette spécificité droitière de l’électorat chasseur s’exprime surtout par un sur-vote très significatif en faveur de l’extrême-droite. Si en 2007 Jean-Marie Le Pen ne recueillait que 16% du vote des chasseurs (contre 10,5 % au niveau national), sa fille Marine en a obtenu 25%. En récoltant auprès des chasseurs 7 points de plus que son score moyen, la présidente du FN arrive en seconde position, à 3 points seulement de Nicolas Sarkozy et deux points devant François Hollande. On constate donc que si, les votes en faveur de Marine Le Pen ont été plus forts auprès des chasseurs que parmi l’ensemble des inscrits, le score du candidat socialiste a été à l’inverse sensiblement inférieur par rapport à l’échelon national où il a recueilli 28% des votes. Jean-Luc Mélenchon a, quant à lui, bénéficié du même soutien auprès des chasseurs (11%) qu’au niveau de l’ensemble du corps électoral, ceci témoignant de l’existence toujours vivace d’un courant communiste et protestataire de gauche dans le monde de la chasse.

Si la surreprésentation du vote en faveur de Marine Le Pen est visible chez les détenteurs d’un permis de chasse, elle l’est également en milieu rural, où la candidate du FN a recueilli 22% des votes. Pour comprendre qui, de la chasse ou du cadre de vie rural, conditionne d’abord le vote FN, un focus sur les habitants des communes rurales a été effectué. Il permet de constater que c’est auprès des personnes cumulant les deux facteurs que le score de Marine Le Pen est le plus dominant (29 %). Ainsi, en milieu rural, où le vote FN est déjà supérieur à la moyenne, le fait d’être chasseur accroît sensiblement l’inclinaison à effectuer un tel vote.

Le vote en faveur des principaux candidats au 1er tour – Focus sur les zones rurales

Contrairement à ce que d’aucuns auraient pu penser, le "vote chasseurs" n’est donc pas homogène et monolithique. Cette hétérogénéité renvoie également à de fortes disparités territoriales. Fortement marqué et ancré dans des cultures et des traditions régionales spécifiques, le monde de la chasse présente une diversité de visages y compris électoralement. Ainsi, comme le montre le tableau suivant, le vote frontiste est très puissant parmi les porteurs de fusils du Nord-Pas-de-Calais, de la Somme et de Haute-Normandie, où l’on chasse surtout le gibier d’eau et où les gros bataillons de chasseurs locaux se recrutent en milieu ouvrier ou populaire. A l’autre extrémité de la France, le sur-vote FN est également spectaculaire en Paca et en Languedoc-Roussillon quand, en revanche, c’est la gauche socialiste qui domine dans les départements du Sud-Ouest, fiefs de CPNT et haut-lieu cynégétique.   

Le vote en faveur des principaux candidats au 1er tour :
des différences régionales assez marquées

(*) Charente-Maritime, Gironde, Landes, Pyrénées-Atlantiques

Les résultats du second tour confirment voire amplifient les tendances observées au premier tour. La prime au bloc de droite se vérifie très clairement avec 57 % des voix des chasseurs en faveur de Nicolas Sarkozy (soit 9 points de plus qu’au niveau national). Cette avance est encore plus spectaculaire parmi les chasseurs des régions Centre/Bourgogne (69 %) ou de Paca/Languedoc-Roussillon (66 %), où les reports sur Nicolas Sarkozy des voix des chasseurs ayant voté Marine Le Pen au premier tour ont été très élevés. En revanche, bon nombre de ces voix ont manqué à l’appel dans la région Nord-Pas-de-Calais/Somme/Haute-Normandie où le candidat de l’UMP n’atteint que 54 % au second tour alors, qu’au premier tour, le total de ses voix et de celles de Marine Le Pen s’élevait à 65 %. Ces moindres reports indiquent clairement qu’une part significative des chasseurs votant FN dans cette région ont préféré au second tour s’abstenir ou voter à gauche, famille politique dont beaucoup sont issus. Cette orientation à gauche d’une partie du monde de la chasse se retrouve également dans le Sud-Ouest où François Hollande a obtenu 55 % des voix au 2nd tour soit 12 points de plus que son score national parmi les chasseurs.

Le rapport de force gauche/droite au second tour : bien que devancé auprès de l’ensemble des chasseurs, François Hollande parvient à s’imposer dans le Sud-Ouest

(*) Charente-Maritime, Gironde, Landes, Pyrénées-Atlantiques

A un an d’échéances électorales importantes, gageons que les différentes formations politiques suivront avec intérêt les débats lors du prochain congrès de la Fédération Nationale de la Chasse sachant que les enjeux de la ruralité compteront lors des sénatoriales et que le « vote chasseurs » a souvent pesé à l’occasion des scrutins européens.  


[1] Au total, cumul de 8 861 personnes inscrites sur les listes électorales, extrait d’échantillons cumulés de 9 515 personnes, représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus

[2] Sur la base d’environ 43 millions d’inscrits sur les listes électorales, données INSEE, septembre 2011.

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