Pourquoi en faisant Bergoglio pape l’Eglise a résolu la quadrature du cercle<!-- --> | Atlantico.fr
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Le pape François est argentin d'origine italienne.
Le pape François est argentin d'origine italienne.
©REUTERS/Dylan Martinez

Miracle

Argentin d'origine italienne, le pape François réussit à exaucer à la fois les souhaits de ceux qui voulaient un pape italien, un pape du Sud et un pape américain.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Les Italiens (qui représentent encore le quart du Sacré collège) voulaient un pape italien pour renouer avec leur gloire perdue. Et tous les autres, dit-on, n’en voulaient pas.

Les Américains, surtout ceux du Nord, voulaient un Américain et, comme le gouvernement des Etats-Unis  se mêle de réformer la gouvernance de tous les pays du monde, ses cardinaux  exigeaient bruyamment que l’on réformât aussi la Curie.

Les cardinaux du Sud voulaient un pape du Sud ; c’est du moins le souhait que leur prêtaient les journalistes, seulement freinés dans leur ardeur tiers-mondiste par le fait que les cardinaux noirs ou jaunes pressentis sont tous plus conservateurs les uns que les autres !

En définitive, miracle : tous ces souhaits, apparemment  contradictoires, sont (presque) exaucés.

Les  Italiens ont un pape de sang entièrement italien, fils d’un immigré et d’une immigrée italiens venus en Argentine dans les années 1930 et mariés sur place. Le nouveau pape a été élevé par ses parents en italien. Le sait-on ? 60 % de la population argentine est d’origine italienne.

Les Américains ont un américain, certes d’un pays moins ordonné que les Etats–Unis ou le Canada mais un Américain quand-même : juste reconnaissance pour un continent qui représente aujourd’hui près de la moitié des catholiques.

Enfin les gens du Sud ont un homme du Sud, même si le peuple argentin est presque entièrement de race blanche, d’origine et de culture européennes.

Pourquoi le premier pape jésuite alors que cet ordre a eu depuis 500 ans qu’il existe bien plus de poids à d’autres époques ?  Pour cette raison précisément : parce qu’il apparaît moins qu’autrefois un Etat dans l’Etat.  Les cardinaux et beaucoup de fidèles se méfiaient d’un pape qui ait été trop lié à certaines grandes organisations internes à l’Eglise : Communione et Liberazione (c’était le cas d’Angelo Sodano, archevêque de Milan, autre papabile) ou l’Opus Dei. Par son ancienneté, par le progressisme qui l’avait un moment envahie, la Compagnie de Jésus a largement perdu sa spécificité. Elle apparaît même aujourd’hui à la "gauche" de l’Eglise, si tant est que cette expression ait un sens.

Faire la révolution dans l’Eglise en élisant un jésuite d’origine italienne, qui y aurait pensé ?

Enfin, l’Eglise ne recherche pas forcément les têtes nouvelles : Jorge Mario Bergoglio, un des plus anciens élevés à la dignité cardinalice, avait été déjà, bien involontairement sans doute puisque il aurait jugé alors la charge trop lourde pour lui, la principale  alternative à Joseph Ratzinger.    C’est parce qu’entre temps il aurait fait savoir discrètement qu’il accepterait ce fardeau, ce qui avait échappé à tous les faiseurs de pronostics, qu’il s’est trouvé le candidat naturel à sa succession.

Qu’il ait déjà 76 as et un demi poumon en moins n’a pas paru un inconvénient.

Conservateur et social

Conservateur du dogme et de la morale, le nouveau pape le sera évidemment comme l’auraient été tous les autres candidats envisagés. Non seulement parce que les nominations de Jean-Paul II et Benoît XVI ont encouragé cette tendance mais aussi parce que le pape a fondamentalement la mission de conserver, de garder, comme on dit, intact le "dépôt de la foi".

Le choix audacieux de son nom, François, référence  au poverello d’Assise  (et indirect hommage à notre pays, puisque ce mot signifie Français), indique sans doute une orientation sociale dont témoignait déjà le style de vie de l’archevêque de Buenos Aires, familier des transports en commun et du contact direct avec le peuple, contempteur de l’ultra-libéralisme. On peut supposer qu’avec le pape Bergoglio qui sait mieux que personne ce qu’ont coûté les recettes du FMI au peuple argentin, Monsieur Camdessus ne cherchera plus à s’infiltrer dans les couloirs du Vatican ! Le progressisme social n’est, dans l’Eglise, contrairement à ce qu’imaginent  les ignorants amateurs de clichés, nullement contraire au conservatisme théologique.

Proche du peuple par ses origines pauvres – et sa qualité de supporter d’un club de football renommé ! - , gageons que ce pape sera plus intéressé par les déshérités de Rome que par les arcanes de la Curie. Il faut la réformer, dit-on partout, mais qui sait si le mal dont elle souffre n’est  pas précisément  ce que tout le monde lui propose comme remède : un excès de collégialité qui complique les circuits et dilue les responsabilités ?  

Déjà les contempteurs de métier lui cherchent des poux dans la tête sur sa conduite durant la dictature du général Videla (qui fut aussi un temps de  guerre civile) ; il s’en est déjà largement expliqué. Heureux qui n’a jamais vécu en dictature pour pouvoir donner des leçons ! Les mêmes lui reprochent aussi son adhésion, un peu plus tôt,  à une organisation péroniste, qui se trouvait pourtant, sur l’arc politique,  à l’opposé des  généraux putschistes !

Ce qui doit nous rassurer, pour l’avenir non seulement de l’Eglise mais de la civilisation, c’est que, jeune homme studieux et jésuite astreint à 9 ans de noviciat, ayant étudié  non seulement en Argentine, mais aussi au Chili, en Espagne, en Allemagne (hélas pas en France !), il est sans doute, presque autant que son prédécesseur, immensément instruit. Bac plus 20,  au moins : l’avenir d’une certaine civilisation, celle-là même qui faisant tant d’horreur à Chirac, mais qu’avant lui Voltaire admirait, et que Rome symbolise, est assuré. Le pape François n’est pas européen mais il aurait pu l’être !

Proche de la puissante communauté juive d’Argentine, il ne devrait pas inquiéter Israël. L’Université Al Azhar du Caire pense pouvoir reprendre avec lui le dialogue interrompu avec Benoit XVI : on se demande bien lequel ! L’Argentine est avec la France le seul pays où la Fraternité saint Pie X ait quelques bases : le nouveau pape connait donc assez le problème qu’elle pose pour le traiter avec doigté. On ne  voit pas en revanche ce qui peut prédisposer cet "extrême occidental" à poursuivre le rapprochement avec l’orthodoxie, qu’il a peu fréquentée jusqu’ici. Ou encore avec la Chine. Il s’agit pourtant d’enjeux capitaux pour l’Eglise. Mais sur ces sujets comme sur d’autres, nous ne sommes pas à l’abri de surprises.

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