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Sécurité nucléaire : le nuage passe mais le doute s'installe
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Zone franche

Ok, nos ingénieurs sont les meilleurs du monde. Mais les Japonais ne sont pas les derniers de la classe non plus (croyait-on)…

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Je n’apprécie pas beaucoup l’opportunisme malsain avec lequel les anti-nucléaires professionnels se sont engouffrés dans la brèche du coffrage des réacteurs de Fukushima. Ce « je vous l’avais bien dit » sarcastique, qui permet d’affoler les foules en suggérant que Fessenheim n’est pas à l’abri d’un tremblement de terre de magnitude 8,9 immédiatement suivi d’un tsunami, est d’un grotesque achevé.

Bien sûr, ça aide la CRIIRAD à vendre des compteurs Geiger par correspondance, mais c’est tout le contraire d'un débat éclairé. Ou alors à la bougie, pour rester dans l’argument fastoche.

C’est comme cette idée qu’il suffirait d’installer une demi-douzaine d’éoliennes et quatre ou cinq panneaux solaires pour alimenter en électricité un pays moderne et fortement industrialisé de la taille de la France sans se ré-intoxiquer au charbon et au pétrole ! Le réchauffement de la planète et les émissions de CO2 ont beau être moins tendance ces jours-ci, il y a trois semaines encore, c’était plutôt ça, la grande trouille millénariste à la Une.

Pour autant, plus le temps passe et plus la façon dont les ingénieurs japonais se révèlent incapables de gérer la catastrophe introduit un doute sur la capacité des nôtres à s’occuper d’un drame à moindre échelle. Les images d’hélicos tentant de remplir une piscine olympique à la petite cuillère, le boss de Tepco prenant un arrêt maladie pendant la crise et un management s’emmêlant les pinceaux entre milliers et millions de « millisieverts » (l’unité de mesure de radiations ionisantes), ça déstabiliserait jusqu’au plus placide des Georges Charpak.

Un peu comme un leader syndical qui confondrait millions et milliards de brouzoufs, quoi…

Oui, la France n’est pas située sur une faille sismique majeure mais rien ne permet d’affirmer que les crânes d’œufs d’Areva, d’EDF et du CEA sont plus au fait des risques spécifiques à l’Hexagone. Toutes choses égales par ailleurs, Renault confie sa sécurité à des mythomanes et ce n’est pas non plus une PME de quartier gérée par des stagiaires en contrat de qualification.

Incidents mineurs : une tolérance intolérable

A l’inverse du Français contemporain, qui se méfie de tout et de tout le monde, je suis d’un naturel confiant et respectueux du « système » : je ne crois pas qu’il faille balancer toutes nos institutions à la poubelle pour tester le mirage lepéno-mélenchoniste parce que les banques américaines ont prêté de l’argent à n’importe qui ; je me suis fait vacciner contre la grippe H1N1 l’an dernier parce que Roselyne me le demandait gentiment ; je vote à chaque élection ; je pratique le tri sélectif parce que ma cuisine Ikea est aménagée en conséquence ; j’ai arrêté de frauder dans le métro dès que je n’ai plus eu besoin de m’asperger de Biactol pour lutter contre l’excès de sébum…

La confiance, toutefois ― et c’est que je me tue à répéter à mes rejetonnes qui ont parfois l’air d’en douter ―, c’est un truc qui se mérite. Et en matière nucléaire, on n’est pas si certain de pouvoir accorder la sienne sans réserve à des gens constamment pris en défaut pour une myriade de petits incidents isolément négligeables mais qui pourraient n’être que la fameuse partie émergée de l’iceberg (oui, c’est un cliché plus adapté à un papier sur la fonte de la banquise, mais il évoque aussi le Titanic et reste donc pertinent).

Fuites « sans gravité », opacité des conditions du recours à la sous-traitance, sécurité aléatoire de certaines centrales (des alpinistes de Greenpeace qui s'offrent la face nord d'un réacteur, est-ce que c’est bien sérieux ?), absence de transparence générale, discours lénifiant des politiques… Le brave type confiant dans mon genre, qui n’a rien contre le nucléaire en soi parce qu’il n’a guère de sympathie pour l’obscurantisme et accepte le concept d’activités humaines à risque, est forcément interpellé par les aspects brouillons d’un secteur qu’on aimerait irréprochable.

La foi dans les élites techniciennes ― le fameux génie (littéralement) français usiné à Centrale, à Polytechnique, aux Mines et aux Ponts ― est aussi constitutive de l’identité nationale que le goût pour le camembert ou le couscous. Tant que l’on est convaincu qu’elles maîtrisent leur sujet, on dort sur nos deux oreilles sans somnifère. Mais quand on voit leurs cousins nippons, qui ne sont tout de même pas les derniers des derniers non plus, courir comme des poulets sans tête parce qu’ils n’ont pas la moindre idée de ce qu’il faudrait faire pour éteindre l’incendie, on se prend à douter.

Et le doute, au moins dans ce cas, on ne sait plus vraiment s’il doit profiter à l’accusé.

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