Ce qu'il faudrait faire pour vraiment rétablir l'ordre à Marseille<!-- --> | Atlantico.fr
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Deux nouvelles compagnies de CRS et deux escadrons de gendarmes mobiles, soit 240 hommes, vont être déployés à Marseille.
Deux nouvelles compagnies de CRS et deux escadrons de gendarmes mobiles, soit 240 hommes, vont être déployés à Marseille.
©Reuters

Sin City

Jeudi, au lendemain du double meurtre à la kalachnikov dans le 13e arrondissement de Marseille, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls a annoncé l'arrivée de renforts policiers dans la cité phocéenne. Deux nouvelles compagnies de CRS et deux escadrons de gendarmes mobiles, soit 240 hommes, vont être déployés.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Quoi de neuf à Marseille ? Rien. Les bandits s'y conduisent en bandits - que la ville soit ou non "capitale européenne de la culture" ne leur fait ni chaud ni froid. Car l'essence de la vie dans l'illicite est darwinienne : "survival of the fittest". Chez les malfaiteurs réside ainsi une sagesse instinctive qui les conduit à éviter un appareil répressif qu'ils savent puissant, mais vacillant, dépourvu de persistance ou d'acharnement.

D'où, un momentané silence-radio lorsque les autorités tonnent et qu'il y a du "bleu" dans les rues. Après, dès le terrain libre, quand les médias parlent d'autre chose et que le bon peuple est sorti de l'émotion, tout recommence joyeusement comme avant. Toute la Sicile connaît le proverbe mafieux : "courbe-toi jonc, la crue passe". Eh bien, c'est pareil à Marseille : la crue passée, le jonc relève la tête.

Et les assassinats recommencent.

Mais pourquoi les bandits s'entretuent-ils ? Là encore, l'ethnologie criminelle nous renseigne : en marge de la loi, les malfaiteurs n'ont pas accès au système juridique des honnêtes gens. Un bandit ne peut adresser un blâme à un "collègue", ni lui infliger une contravention, ni l'envoyer en prison. En cas de problème mineur, il peut casser la figure du gêneur. Si c'est grave, il le tue ou le fait tuer.

Ainsi, ce n'est pas par plaisir, ou pour figurer dans le livre des records, que les bandits s'entretuent, mais par nécessité territoriale. Le territoire est la source de tout business illicite et quiconque empiète sur le fief d'un gang est bon pour l'hôpital ou pour la morgue.

Mais les homicides ne sont pas LE problème de Marseille - c'en est juste un (fort visible) symptôme. Le vrai problème de Marseille, c'est une babylonienne corruption politique et même, administrative.

D'abord, une mairie un peu larguée entre dénégation puérile du réel - "Marseille n'est pas Chicago" - et tentatives d'apaiser les bandits par travail social interposé.

Mais surtout, une "politique de la Ville" vite devenue un système "à la napolitaine" de contrôle des quartiers chauds - et des votes qui en émanent - par des nervis subventionnés... sur les crédits, justement, de la politique de la ville. Oh, les motifs sont nobles : "lutte contre les discriminations"... "antiracisme"...  "diversité"... et autres bienséantes fariboles à la mode. Mais dans la réalité ? Ecoutons un des caïds en cause, Abderrazak Z. parler de la députée de la République en charge de la Politique de la Ville au Conseil général : "J'ai trouvé une dinde pour nous subventionner" (Libération, 11 mars 2013). Et qu'arrive-t-il à qui tient tête au caïd ? "Je n'étais pas content mais il a écarté sa veste. Il m'a montré qu'il était armé. Je me suis calmé. (idem).

Et celui qui ne se calme pas ? On passe alors au stade kalachnikov.

Voilà la réalité de la "politique de la Ville" à Marseille, en 2013. Elle est devenue une sorte de terreau fertile pour le milieu : "Dans les quartiers, si tu veux avoir un minibus, un scooter et de l'argent, tu montes une association" (idem). De l'argent - et pas qu'un peu. Toujours Libé : "Des associations fictives recevaient des subventions... Plus de 800 000 euros en trois ans". De quoi attendre confortablement une grosse livraison de haschisch, ou qu'un fourgon de transports de fonds passe dans votre ligne de mire...

Telles sont les écuries d'Augias marseillaises en cette fin d'hiver 2013. Ajoutons-y une police gangrenée par la corruption. Car de longue date, ce mal ronge l'appareil policier régional. Et pas les seuls sous-fifres de la BAC nord : pourquoi, accuser en effet les magistrats locaux, n'y a-t-il pas eu à Marseille une réelle grosse saisie de cocaïne depuis trois ans ? Par quel miracle de gros voyous - quatre selon nos sources, en 2012 - ont-ils pu "s'arracher" à l'aube de leur cachette, les policiers investissant peu après une planque tout juste désertée, pour n'y palper qu'un lit encore chaud ? Un officier de base peut-il "arranger" de telles manigances ?

Un tel cloaque ne peut se nettoyer avec une compagnie de CRS en plus, ou même deux. Il faut à Marseille un véritable appareil de renseignement criminel. Il faut pouvoir disposer pour toute l'aire marseillaise d'un diagnostic précis : qui sont les voyous ? Que font-ils ? Où sont ils ?

La suite est simple et le travail policier classique y suffit amplement. En matière de sécurité publique, la métaphore militaire est rarement pertinente - les deux univers ont peu à voir. Mais songeons ici néanmoins pour conclure à la célèbre formule de Napoléon : "la guerre est un art simple et tout d'exécution". Un diagnostic, un plan. Sa réalisation implacable - quel que soit le niveau. A la fin, Marseille, certes "culturelle", mais surtout, pacifiée.

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