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Le modèle d'immigration britannique est-il vraiment transposable en France ?
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A tenter... ou pas

Selon des dirigeants d'entreprises français installés en Grande-Bretagne, la France doit se débarrasser de son idéologie et accepter l'idée que l'immigration est une "nécessité économique".

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Pour le Cercle d'outre-Manche, un rassemblement de dirigeants d'entreprises français installés en Grande-Bretagne, le système français d'immigration gagnerait à s'inspirer du modèle britannique. La Grande-Bretagne sélectionne en effet les étrangers souhaitant entrer sur son sol en fonction de leurs qualifications, qui doivent correspondre aux filières où le besoin de main d’œuvre se fait sentir. L'ancien président Nicolas Sarkozy avait été le premier à populariser le terme "immigration choisie", un concept complètement éjecté de la politique de son successeur François Hollande. La France a-t-elle réellement besoin d'immigration économique? Quelles filières présentent un besoin de main d’œuvre ?

Guylain Chevrier : Ce rapport nous dit que, donner la priorité à une immigration liée aux besoins du marché du travail, serait la meilleure voie pour une intégration réussie. Mais c’est négliger bien des aspects de la question. Tout d’abord, une immigration économique sur le modèle de l’immigration sélective, telle que Nicolas Sarkozy l’avait voulue, revient à une immigration définie selon des secteurs tendus de l’économie, sur un mode de réponses à des besoins ponctuels, conjoncturels. Une immigration en quelques sortes « jetable » qui n’a rien à voir avec une voie à l’intégration sociale. C’est un point de vue très étroit et utilitariste, qui entend passer outre les enjeux de l’immigration qui pour n’importe quel pays débordent largement l’aspect économique.

Quels sont les secteurs d’appel de l’immigration en France: bâtiment, travaux publics, industrie mécanique, restauration, services à la personne, nettoyage, sécurité privée. En ce qui concerne les gains économiques d’une politique visant à attirer en France des travailleurs qualifiés selon une immigration dite « choisie », cela n’a rien d’évident, dans un pays tel que le nôtre où les travailleurs qualifiés abondent, et constituent une partie non négligeable des chômeurs. Et puis, il y a bien sûr un risque de dualisme du marché du travail qui pourrait en découler, servant à tirer vers le bas rémunération et droits sociaux, niant au passage les droits attachés normalement à ces personnes. Il faut tout de même arrêter avec cet angélisme de l’entreprise telle qu’elle nous est présentée, comme uniquement animée, sur ce sujet, par la réussite économique de la société et l’intégration de ses immigrés.

"Il faut faire accepter que l'immigration est une nécessité économique", estime Pascal Boris, cofondateur du Cercle d'outre-Manche. Manquons-nous de pragmatisme face à la question ?

Il faut ici, ne pas oublier de bien voir, comme le souligne le Haut conseil de l'intégration (HCI) dans son rapport de mars 2012 sur le thème « Intégrer dans une économie de sous-emploi », qu’il existe déjà un problème d’intégration des descendants d’immigrés des pays extérieurs à l'Union européenne. Car, s’ils accèdent fréquemment aux études supérieures, ils ont un taux de chômage supérieur à celui de leurs parents (24,2% pour 20,2%), le double de celui des Français de naissance. Il y a ici un enjeu autant économique que social, loin de l’idée de faire encore appel à un apport extérieur d’immigration sur le mode d’une immigration sélective sur une base économique. La première cause des exclusions demeure le manque de travail, ce qui ne sera pas résolu par cette fausse baguette magique que nous propose cette réunion d’entrepreneurs d’outre-manche.

Et puis, le gouvernement britannique, en faisant le choix dans les années 2000 de valoriser l’immigration économique, a trouvé là un argument massue pour réduire de façon drastique l’entrée des demandeurs d’asile, alors que le choix de la France est précisément de continuer à jouer dans ce domaine tout son rôle. Notre pays demeure ainsi la première destination au monde des exilés avec les Etats-Unis, dans le droit fil de l’attachement que la France nourrit, bien dans sa tradition républicaine, avec les droits de l’homme. Voilà qui annonce combien, la dimension sociale qui est liée à la place de l’immigration en France, ne peut céder à une logique économique qui viendrait à tout régenter au nom d’une efficacité qui reste à vérifier. D’autant, si on s’en réfère aux études britanniques citées dans l’article qu’a consacré à ce sujet Le Monde du 11 mars dernier, qui indiquent que cent immigrants nouveaux créent en moyenne vingt-trois chômeurs britanniques de plus.

On peut voir à travers cette succession de contre indications que, s’il y a une dimension idéologique qui en France alimente les débats sur la place qu’y occupe l’immigration, ce n’’est pas sans qu’il y ait ici, du grain à moudre. Ignorer cette dimension, ce serait le risque de prêter le flanc à ceux qui défendent l’idéologie qui veut que, l’immigration soit à l’origine de tous nos maux, en favorisant le risque de rejet de l’autre.

Le rapport invite par ailleurs à revoir le principe du rapprochement familial. Cela vous semble-t-il compatible avec le modèle français ?

Depuis 1974 où l’immigration économique a été interrompue pour favoriser le regroupement familial, la place de cette dernière est venue représenter une large majeure partie de l’immigration.

Mais c’est mal posé le problème que de vouloir faire croire que le regroupement familial ne serait pas facteur d’immigration économique. Si l’on regarde les chiffres (rapport du HCI déjà cité), le taux d’activité des femmes immigrées hors union-européenne va de 67% pour les femmes d’Afrique sub-sahéliennes à 28,7% pour les femmes d’origine turques. Il y a donc ici, pour une part au moins, un faux problème, à opposer ainsi cette immigration « sélective » avec le regroupement familial. Le problème est ailleurs, au contraire avant tout social et même politique. Car ce qui mine l’intégration, est bien plus le repli communautaire qui va, par exemple, avec le refus de se mélanger au-delà de la communauté de croyance, qui concerne une partie croissante de ceux qui, dans notre pays, ont pour religion l’islam.

De ce point de vue, on relève par exemple dans le domaine de la politique de la ville en termes d’objectifs du développement social des quartiers, de renforcer les actions en faveur de la maîtrise de la langue française. Une maîtrise qui recule, à un moment où on voit redevenir dominante la pratique de la langue du pays d’origine qui va avec le retour de la religion comme première dans l’ordre des valeurs, avec des conséquences importantes à venir quant aux défis de l’intégration. Ce qui est vrai, que ce soit pour la réussite scolaire ou l’acquisition de certains codes sociaux qui touchent à l’accès à l’emploi et à l’entreprise elle-même, et le caractère de la relation sociale qui y a cours, qui n’est pas complètement coupée d’une société profondément laïque et sécularisée.

Mais il en va il est vrai de choix fondamentaux en matière de modèle de société. C’est vis-à-vis de cela que ces entrepreneurs mènent tout particulièrement la charge. Ils critiquent la volonté de réduire l’immigration de l’actuel gouvernement britannique en niant les enjeux politiques et sociaux de l’immigration qui y interviennent, enjeux que prend particulièrement en compte le modèle politique et social français.

Selon le rapport, la politique d'immigration par le travail permet une intégration plus facile. Est-ce votre avis ? Mettons-nous trop l'accent sur l'intégration sociale, et pas assez sur l'ascension professionnelle des étrangers vivant sur notre territoire ?

Dans le contexte d’une économie de sous-emploi où est devenue incertaine la fonction intégratrice du travail, c’est sur la dimension sociale de l’intégration que repose pour beaucoup notre cohésion sociale, que ce soit pour les Français de naissance ou pas.

L’Etat en France se présente comme représentant l’intérêt général et comme irréductible aux intérêts particuliers, spécialement économiques, parce que la dimension sociale de notre République ne l’autorise pas. Les services publics, cette originalité française, prennent en charge des besoins sociaux qui ne peuvent être pris en charge par le secteur marchand, pas plus que les protections collectives contre les risques sociaux que charpentent notre fameux « Etat-providence ».

La conception Britannique de séparation selon les communautés traite les travailleurs immigrés comme des invisibles dans la société en matière d’intégration sociale. Nous, c’est tout le contraire. Pourquoi ? Parce que celui qui vient d’ailleurs pour travailler en France arrive dans un pays qui a des institutions laïques, c’est-à-dire qui font prévaloir le bien commun sur les différences tout en les respectant, à travers le principe d’égalité de traitement devant la loi et d’égalité d’accès aux mêmes prestations dans le domaine social.

Les institutions républicaines visent au mélange des populations, qui ne peut passer que par des rapports entre égaux sur le plan social, sur quoi repose l’unité de la nation et sa cohésion sociale elle-même. La séparation sur le mode multiculturel mettrait fin à ce contrat social dans lequel l’Etat et l’ensemble de ceux qui composent la société se trouvent également impliqués. Ce contrat qui renvoie chacun à une citoyenneté sociale et à sa responsabilité collective qu’on soit immigré ou français depuis plusieurs générations. C’est tout un état d’esprit, une philosophie de l’homme, entre institutions et mentalités, qui sont ici engagés.

L’intégration ne se fait donc pas prioritairement par l’activité économique mais par la citoyenneté en France. C’est cet acquis de l’héritage humaniste de notre République laïque et sociale qui a fait la réussite de ce creuset français pour façonner une France une et indivisible tout en étant diverse, qu’il faut préserver encore aujourd’hui. Mais ce postulat de l’immigration économique comme réponse aux difficultés d’intégration des immigrés dans nos sociétés développées est comme croire pouvoir guérir le mal par le mal. Car les difficultés de ce côté doivent beaucoup trop à la crise économique liée à la mondialisation qui sape l’ascenseur social pour tous, mécanisme essentiel en dehors duquel plus aucune société n’est garantie dans les valeurs et le modèle qu’elle défend. Mais n’oublions pas dans ce jugement le retour en grâce, aux yeux de la plupart des observateurs, du modèle social français, considéré à juste titre comme amortissant mieux qu’ailleurs les effets de la crise.

Comme le suggère le Haut Conseil à l’Intégration dans son rapport sur cette question, c’est de la cohérence économique, politique et sociale de la prise en compte de l’immigration que dépend la réussite de son intégration, mais sans rien lâcher de notre conception républicaine du lien social.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

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