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Le régime des intermittents : une survivance injuste
©Flickr / YoussCool2010

Tribune

Le régime des intermittents du spectacle est structurellement déficitaire d'un milliard d'euros par an. Il devient en outre de plus en plus indéfendable moralement quand des travailleurs précaires doivent financer ce régime qui protège ses bénéficiaires sur une justification culturelle douteuse.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Le débat sur les intermittents du spectacle va faire son grand retour dans les négociations sociales.

Avant toute chose, qu’il soit bien clair que la culture, qu’il s’agisse d’école républicaine ou de spectacle, est pour nous un sujet fondamental. A rebours d’un certain esprit du temps, où la bien-pensance de la gauche communie sans honte avec des intérêts économiques et financiers qui voudraient que l’horizon du citoyen se réduise à la consommation effrénée de produits de grande consommation, nous pensons, au contraire, qu’il est vital de comprendre que notre culture est un atout essentiel dans un monde sans repères.

Ceci posé, la Cour des comptes, dans son rapport annuel pour 2013, nous rappelle que les faits sont têtus, et que le régime des intermittents cumule déficit structurel et abus. Les collectifs d’intermittents répondent qu’il ne s’agit pas de déficit au sens comptable du terme, et que les abus sont limités à 4% des intermittents. En somme, le terrain de négociation est assez strictement comparable à ce qu’il fut en 2003, même si depuis des améliorations ont été apportées au régime des intermittents pour combattre certaines dérives.

De quelque manière qu'on le prenne, ce régime est déficitaire d’environ un milliard d’euros par an. L’argument massue qui nous est maintenant présenté, c’est que ce montant méconnaît totalement les externalités créées par leur activité. Ainsi, l’annulation du Festival d’Avignon en 2003 a coûté bien plus cher à tous les hôteliers, restaurateurs et musées que la somme des cotisations des intermittents. Disons-le tout net : cet argument relève du pur chantage. Les intermittents auraient droit à leur régime spécial parce que l’État leur donne les moyens économiques de saccager des écosystèmes touristiques. Or, on peut très bien faire des festivals sans intermittents, et cela se fait d'ailleurs un peu partout, sauf en France. La prise en otage larvée d’économies locales n’est pas un argument recevable pour défendre un régime spécial.

Le vrai problème est ailleurs. C’est que le régime des intermittents n’est pas seulement déficitaire. Il est structurellement déficitaire.

Autrement dit, il n’a jamais contribué à l’excédent de l’UNEDIC. Loin d’être un régime d’assurance-chômage, c’est une subvention masquée. Elle est versée par les salariés du privé aux intermittents, à hauteur d’environ huit cents millions d’euros par an. Mais au nom de quoi les salariés du privé devraient-ils subventionner les intermittents alors que les fonctionnaires ne le devraient pas ?

Mais il y a pire. Le régime des intermittents est fait pour s’adapter à la nature discontinue de l’activité professionnelle des gens du spectacle. Outre le fait que bien des gens du spectacle sont des permanents (et sans même parler ici des "permittents"), on ne voit plus très bien aujourd'hui en quoi les intermittents du spectacle sont plus intermittents que les autres. Que cela ait été vrai en période de plein emploi, certainement. Mais aujourd’hui ? Les gens du spectacle sont-ils plus intermittents qu’un jeune qui va de stage en stage, de CDD en CDD ? Sont-ils plus intermittents que ces chômeurs de longue durée qui acceptent des petits boulots successifs ? Sont-ils plus intermittents que les ouvriers agricoles ou les saisonniers des stations balnéaires ? Dans une société précarisée par la crise depuis tant d’années, les intermittents du spectacle sont bien les derniers intermittents à être aussi protégés. Les fameuses 507 heures de travail requises semblent totalement dérisoires au regard de la réalité économique que vivent les véritables précaires, eux soumis au simple RSA.

Dans ces conditions, la spécificité de l’artiste paraît bien maigre. Elle repose finalement sur le postulat que l’intermittent ne gagne pas assez pendant ses périodes de travail pour faire face, seul, à ses périodes de chômage. Dans ce cas, c’est peut-être l’activité du spectacle elle-même qui est mal organisée, car incapable de faire vivre ses propres ressources sans recourir à la solidarité sociale. L’abus est là, et il est structurel. La mise en avant de la dignité toute particulière de la culture et de ses externalités positive est une construction intellectuelle devenue insupportable pour faire admettre à des chômeurs "normaux" qu’on va ponctionner sur leur indemnité pour servir quelques artistes mal nourris par leur art.

Il faut donc supprimer ce régime et l’aligner sur le régime général, par exemple sur les travailleurs indépendants. Rien ne s’oppose non plus à ce qu’un intermittent devienne un auto-entrepreneur. Parce qu’ils affichent souvent leur solidarité avec les précaires, les intermittents du spectacle devraient être les premiers à balayer devant leur porte. Nous comptons donc sur leur sens des responsabilités pour réclamer eux-mêmes la suppression de cette survivance injustifiable. S'ils étaient réellement solidaires des situations sociales qu'ils dénoncent, leur premier geste devrait être de réclamer eux-mêmes la suppression de ce régime spécial, ultime survivance d'un autre temps. Est-ce la surprise que nous réservent les négociations à venir ? On peut, hélas, en douter.

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