Pourquoi les Vénézuéliens, y compris les plus pauvres, vont payer au prix fort la politique de justice sociale de Chavez<!-- --> | Atlantico.fr
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Les êtres humains, et surtout les plus pauvres, étaient la cible de la politique d'Hugo Chavez.
Les êtres humains, et surtout les plus pauvres, étaient la cible de la politique d'Hugo Chavez.
©Reuters

Adios

La politique de Chavez s'est concentrée sur les êtres humains, et plus particulièrement sur les plus pauvres. Mais force est de constater qu'une grande majorité de l'industrie du pays est quasi-morte, et que des mesures d'austérité seront sans doute nécessaires.

Pierre  Salama

Pierre Salama

Pierre Salama est professeur émérite des universités, professeur et chercheur au Centre d'Economie de Paris-Nord où il est spécialiste des économies sud-américaines. Il a publié de très nombreux livres traduit en espagnol et en portugais dont Les économies émergentes latino-américaines : Entre cigales et fourmis aux Editions Armand Colin dont le dernier chapitre traite de la violence comparée dans les pays latino-américains.

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Atlantico : Hugo Chavez vient de décéder, et avec lui se tourne la page d'une partie de l'histoire du Venezuela. Dans quel état économique l'ancien président laisse-t-il son pays ?

Pierre Salama: La situation du pays est préoccupante. L'industrie a disparu pour sa grande partie, bien que ce ne soit seulement du à Chavez : cela vient du fait que le pays est complètement dépendant du pétrole. Il exporte 95% de cette énergie. Quand on exporte beaucoup les matières premières, on rend difficile la production locale de biens industriels. C'est ce que les économistes appellent la Dutch disease, la maladie hollandaise. A une époque, c'est le café qui avait contribué aux difficultés croissantes du Venezuela. Aujourd'hui, c'est dans une certaine mesure le pétrole puisque 80% de la consommation des Vénézuéliens est portée aujourd'hui.

Cela montre la faiblesse de l'appareil industriel qui s'est aggravée ces temps derniers. Le taux d'inflation est lui de l'ordre de 20 à 30%. Certains prix sont congelés et il suffit de libéraliser le marché pour que les prix explosent.

Bien qu'ayant un excédent commercial en raison de la hausse du cours du pétrole, le pays connaît aussi des difficultés budgétaires. Cela signifie qu'une grande partie de ses recettes budgétaires provient du pétrole. Comme les dépenses publiques dépassent largement ces recettes pétrolières budgétaires, le déficit budgétaire est de l'ordre d'environ 10% du PIB, ce qui est considérable. Cela entraîne donc un gonflement de la dette interne très important, qui se situe entre 90 et 100 milliards de dollars.

La corruption, qui gangrène beaucoup de pays d'Amérique du sud touche-t-elle encore le Venezuela ?

C'est une question endémique dans le pays. La corruption a toujours été importante. La seule grande différence est de taille : auparavant, elle visait l'enrichissement strictement personnel, c'est ce qui expliquait les importantes fuites de capitaux. Proportionnellement à ses revenus, c'est au Venezuela que l'on observait le plus de fuite de capitaux par rapport à son PIB, plus que l'Argentine le Mexique. L'argent du pétrole allait alimenter l'achat de biens immobiliers aux Etats-Uis par exemple.

Aujourd'hui cette corruption est différente, elle est davantage clientéliste. Elle est le résultat de modes de gouvernance. Il est paradoxal de voir que dans un pays où il y a eu des élections relativement libres ou libres, des gouvernements" démocratiquement" élus, le mode de gouvernance qui repose sur un pouvoir totalement discrétionnaire, sans pouvoir de contrôle de la part de l'opposition.  

La comptabilité nationale est, elle, opaque, les dépenses et les recettes budgétaires ne sont pas claires, car elles sont évaluées par rapport à un cour du pétrole sous-estimé, si bien que se sont développées des dépenses hors-budget. Elles ont permis l'amélioration du sort des plus pauvres mais aussi un enrichissement, du fait du manque de contrôle. Le voisinage de Chavez profite de ce manque de contrôle pour s'enrichir et faire du clientélisme. Cette corruption est un des plus graves problèmes qu'aura eu le gouvernement.

Le pays doit-il prendre des mesures d'austérité ?

Elles seront difficiles à prendre, car seul Chavez pouvait les prendre du fait de son aura. Elles seront considérées comme des trahisons de la politique de Chavez, et elles peuvent être de nature à provoquer des mouvements sociaux relativement importants. Cette politique d'austérité pourrait ne pas l'être si le cours du pétrole augmentait considérablement.

Mais dans le cadre actuel, on peut considérer que toute une série de prix et de subventions, notamment envers certains produits alimentaires, seront diminués. De même, on peut penser que l'essence, dont le prix est terriblement bas, devrait augmenter. S'il augmente, c'est le prix des transports publics qui va augmenter nécessairement. L'essence là-bas est moins chère que l'eau en France, ce qui a conduit à un énorme gaspillage : on a pu continuer à rouler avec des voitures qui consommaient énormément. Compte tenu des difficultés de l'entreprise productrice de pétrole, on peut s'attendre à ce que le prix de l'essence augmente, ne serait-ce que pour assurer un peu plus de prospection pour les réserves de pétrole. Les ventes des exportations de pétrole en volume représentent environ 10 à 15 % de moins qu'il y a une quinzaine d'années. Mais le nombre de travailleurs dans cette industrie, lui, a quintuplé : cette entreprise a donc favorisé le clientélisme, en fournissant des emplois sans se préoccuper du futur des entreprises.



Quelles ont été les erreurs de la politique économique de l'ère Chavez?


Il y avait une urgence à court terme, il fallait diminuer la pauvreté par une politique de subventions. La politique qui a été menée en matière d'éducation et de santé a été une politique de moyen et de long terme. Ce qu'on peut reprocher au gouvernement est qu'à peu près la moitié des dépenses publiques sont des dépenses sociales (environ 45 %). On peut aussi le critiquer pour ne pas avoir pas su préparer l'avenir, ni  consolider son industrie et de n'avoir pas voulu rechercher la compétitivité.

Le gouvernement est entré dans une logique qu'on appellerait en Afrique "bureaucratie tribale", à savoir a logique de la bureaucratie, qui n'est pas celle de la logique du gain, du profit. Les gouvernements se sont concentrés sur les êtres humains, et plus particulièrement  les catégories les plus pauvres, avec comme priorités l'éducation et la santé. Mais force est de constater qu'une grande majorité des entreprises ont des déficits, sont subventionnées et coûtent extrêmement cher pour l'instant.

Le bilan économique de Chavez semble catastrophique. A-t-il néanmoins atteint son objectif principal, celui de diminuer les inégalités sociales ?

D'un point de vue social, le pays a réussi de très grandes choses. Il a réduit de moitié la pauvreté qui touchait 50% de la population à l'arrivée de Chavez. Elle s'élève aujourd'hui à 23% selon les critères internationaux. La politique de dépenses sociales a été dirigée vers les soins de santé gratuits, et l'éducation. On a fourni aux plus pauvres des possibilités de mobilité sociales dans le futur.

Il ne s'agit pas seulement de donner des subventions aux plus pauvres, ni des subventions pour que les dépenses alimentaires soient moins chères : on les aide à prendre en charge leur  propre situation en étant mieux éduqués et mieux portants. C'est le côté très positif de la politique de Chavez, mais ce qui explique le fort appui qu'il a reçu dans toutes les consultations populaires de la part de la population la plus pauvre.

Ce qu'il faut voir, c'est qu'il y a un certain mouvement, y compris en Chine où les dépenses sociales sont plus importantes que par le passé. Au Brésil, en Argentine, au Mexique, il y a une transformation des fonctions de l'Etat ces dix dernières années. Ce qui s'est passé au Venezuela faisait partie d' un mouvement précurseur, et il partait de plus bas que l'Argentine ou le Brésil..

On a donc d'un côté une situation économique extrêmement préoccupante, et une situation sociale fortement améliorée.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

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