Pekinologie : que peut-on attendre du nouveau pouvoir chinois ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Xi Jinping deviendra officiellement le président de la République populaire de Chine ces prochains jours.
Xi Jinping deviendra officiellement le président de la République populaire de Chine ces prochains jours.
©Reuters

(R)évolution ?

Xi Jinping deviendra officiellement le président de la République populaire de Chine dans les prochains jours. Place de la Chine sur la scène internationale, réforme de l'économie et de la justice, lutte contre la corruption : les chantiers qui attendent le nouveau numéro 1 ne seront pas anodins...

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : L'intronisation officielle de Xi Xinping marque-t-elle un tournant ou une continuité dans la gouvernance chinoise ?

Emmanuel Lincot : Continuité dans un premier temps car cette nomination (qui échappe à toute forme d'élection, faut-il le rappeler) s'inscrit dans une pratique léniniste du pouvoir. Procédure opaque qui porte au sommet de l'Etat-Parti du pays le plus peuplé du monde,et avec le soutien de l'armée, un homme aux responsabilités très grandes mais qui n'en sont pas moins entravées par des rivalités entre factions qui ont, à la veille du XVIII° Congrès du PCC, ébranlé l'unanimité apparente entre les membres de l'équipe dirigeante. La destitution de Bo Xilai était de ce point de vue symptomatique. Annonce de rupture - quoique relative - dans un second temps, car Xi Jinping appartient à la dernière génération des dirigeants qui auront connu les affres de la période maoïste. Trajectoires et postures politiques, dans moins de dix ans, auront dès lors complètement changées. S'il est encore trop tôt de se prononcer sur la politique de Xi Jinping, il ne fait cependant aucun doute que les réformes institutionnelles seront une priorité. La nomination d'un juriste, Li Keqiang, en tant que Premier Ministre est en cela un signe. Sans elles, rien de sérieux ne pourra aboutir: justice sociale, lutte contre la pollution de l'environnement mais aussi lutte contre la corruption.

Signe des temps, l'un des sept membres du Comité permanent du Bureau politique du Comité central du PCC, Wang Qishan, conseille régulièrement à ses camarades la lecture du très classique l'Ancien régime et la révolution du très libéral Alexis de Tocqueville, dans sa version chinoise. Cet ouvrage, paru en 1856, est devenu un best-seller en Chine. Pour résumer le propos de l'analyste français, c'est la prospérité qui hâte la Révolution. A bon entendeur... Encore improbable il y a dix ans, la Révolution devient aujourd'hui une hypothèse sérieuse. La société chinoise en ce début d'année 2013 connait une situation explosive.

Le Parti souhaite amorcer une mutation accélérée de son modèle économique pour une meilleure redistribution des ressources. Ce chantier colossal peut-il aboutir ?

Le volontarisme politique est au coeur de la doctrine défendue par l'Etat Chinois. Ce rééquilibrage entre les provinces et les différentes couches de la société est un objectif qui ne pourra toutefois pas aboutir sans une réforme complète des institutions. Financières notamment. De trop nombreuses collusions existent entre les milieux affairistes et les représentants de l'Etat. Cette collusion était une force au commencement des réformes initiées par Deng Xiaoping, il y a 40 ans. Elle est aujourd'hui un terrible handicap. Car elle discrédite l'honnêteté des cadres-dirigeants, développe un climat de suspicion vis à vis de l'autorité. Tout cela ne présage rien de bon et le mécontentement est palpable au sein de la population, à travers les réseaux sociaux et la dénonciation publique qui en est faite au sujet du comportement abusif des dirigeants. Le modèle que souhaite promouvoir la nouvelle équipe dirigeante est celui d'une "civilisation écologique". Voeu pieux pour qui connaît la situation désastreuse du pays: nappes phréatiques sur-polluées au mercure, risques d'intoxication massive de l'ensemble de la chaîne alimentaire...La Chine en est restée à une culture de slogans. Wait and see...

Doit-on s'attendre à des évolutions dans le domaine de la politique étrangère ?

Le dossier prioritaire pour la diplomatie chinoise est la Corée du Nord. Pékin comme les capitales occidentales a été une de fois de plus mise devant le fait accompli quand Pyongyang a procédé à son essai nucléaire. L'exaspération des dirigeants chinois à l'égard de leur allié communiste coréen n'est pas feinte. Certains responsables de think tanks chinois prônent à présent un abandon pur et simple de ce régime totalitaire à bout de souffle. Il nuit à l'image de la Chine et coûte plus cher que si Pékin misait sur un accompagnement de la réunification des deux Corée. Ce second scénario, de plus en plus plausible, permettrait à l'ensemble de la région (et des trois provinces septentrionales de la Chine plus particulièrement) de connaître un boom économique sans précédent. Par ailleurs, il délégitimerait la présence américaine sur la péninsule, principale menace héritée de la guerre froide allant à l'encontre des intérêts chinois. Ce changement de configuration stratégique aurait un impact considérable en Asie et dans le monde. Je crois que la communauté internationale attend beaucoup des décisions prises en la matière par le Président Xi Jinping. Au dossier nucléaire nord-coréen s'ajoute la crise syro-iranienne et l'échéance - en juin 2013 - du changement de direction au sommet du pouvoir à Téhéran. Dans les deux cas, les choix décidés par Pékin impacteront durablement sur l'état des relations avec les Etats-Unis et leurs alliés. Vis à vis de ses partenaires européens, Pékin s'apprête à recevoir le Président Hollande. Ce dernier aura à coeur de développer en Chine les intérêts économiques français. Selon toute vraisemblance, Xi Jinping aura une approche moins dogmatique que son prédécesseur car même si la France est à ses yeux une puissance moyenne, son rôle dans les grandes instances internationales demeure essentiel. Pour améliorer son image dans le monde, la Chine aura besoin de la France. Ce changement d'image de la Chine est aussi l'un des grands objectifs de Xi Jinping. La Chine passe pour une puissance arrogante et perd son capital de sympathie y compris en Afrique. Or rien ne peut durer sans établir un climat de confiance.

Les réformes dans le domaine de la justice, tant sociale que pénale, semblent représenter un enjeu majeur pour la popularité du pouvoir auprès des Chinois. Qu'en est-il ?

L'abandon des camps de rééducation par le travail (Laojiao) est une mesure symboliquement importante. Le Laojiao était l'un des derniers reliquats du système maoïste. Jusqu'à récemment l'application du droit était synonyme de coercition, d'arbitraire. Les citoyens chinois aspirent à un changement radical en matière de justice. Ils veulent un droit qui les protège. Aucune intention de bonne volonté ne pourra aboutir sans qu'une logique de séparation entre les pouvoirs ne devienne effective. La Chine - après Taïwan - en prend le chemin même si des injustices criantes perdurent et qu'une partie de la population voit ses droits les plus élémentaires systématiquement bafoués. 

La lutte contre la corruption des fonctionnaires locaux est affichée comme l'une des principales réformes. Xi Xinping peut-il réellement lutter contre cette problématique, historique dans l'Empire du Milieu 

La corruption est endémique et nous renvoie sans doute à l'une des particularités inhérentes à la culture chinoise. L'échange des cadeaux, la "lubrification des relations sociales" comme la qualifie joliment un certain nombre d'anthropologues est une pratique séculaire en Chine. Mais il n'existe pas de fatalité. Une norme finit toujours par en remplacer une autre. C'est une question de maturation, d'éducation aussi.  

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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