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Comment l'affaire Iacub-DSK montre que les adultes modernes sont restés bloqués au stade anal
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Une France mortifère et schizoïde

Dans une interview au magazine ELLE, la psychanalyste Martine Teillac expliquait que l'affaire Marcela Iacub était "le miroir d’une société mortifère et schizophrène, qui compte de plus en plus de personnalités doubles, [...] des pervers narcissiques intégrés, très brillants, mais qui ont un problème avec les limites".

Martine  Teillac

Martine Teillac

Martine Teillac est psychanalyste et et psychothérapeute spécialiste du couple.

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Atlantico : Dans une interview accordée au magazine ELLE, vous avez évoqué le fait que la polémique autour du livre de Marcela Iacub s’expliquait par un phénomène d’identification à cette auteure. Sommes-nous donc tous capables d’utiliser quelqu’un pour atteindre nos objectifs ? Sommes-nous tous aussi schizophrènes que la Marcela Iacub que vous décrivez ?

Martine Teillac : Quand je regarde la société, mes patients dans mon cabinet ou que je lis la presse, je constate effectivement que nous sommes tous devenus schizophrènes. Au niveau personnel, cela se décline en deux tendances différentes. Premièrement, il y a une perte de considération de l’autre en tant qu’être humain. Notre façon de le regarder comme un objet susceptible de satisfaire nos désirs conscients ou inconscients est tout de même le propre du manipulateur narcissique. L’autre élément, c’est le double aspect de la personnalité psychique qui se traduit par une tendance à être dans certaines circonstances, et pour répondre à sa part d’ombre, d’avoir des attitudes totalement différentes de notre comportement habituel. C’est-à-dire de feindre que la main droite ne voit pas ce que fait la main gauche, c’est quelque chose d’extrêmement dissocié. Ce que révèle l’affaire Marcela Iacub de notre société, c’est ce morcellement du comportement. D’un côté, il y a une femme extrêmement rigoureuse dans ses recherches et, de l’autre, elle est une toute autre personne, très déconcertante, qui n’a aucun point commun avec son personnage public avant cette affaire. Cela révèle une véritable faille dans la psyché.

Vous avez également évoqué le fait que cela révèle une société mortifère. Comment la définissez-vous ? Qui d’elle ou de nous a transformé l’autre ?

C’est une société qui refuse le risque. Dans le livre de Marcela Iacub, il n’y pas un très grand risque de pris en manipulant et en touchant quelqu’un qui est déjà à terre. Il y a donc sur un semi cadavre symbolique, Dominique Strauss-Kahn, que la presse a bien laminé, l’exemple de la chute, un acharnement qui n’a rien de guerrier. Et c'est cela qui est mortifère : l’absence de prise de risque. Dans cette société nous sommes acteurs et nous avons tous notre part de responsabilité. Lorsque l’on devient une population qui n’a plus de repères et qui n’a plus l’éducation qui permettait d’en avoir, on se sent frileux devant la vie et on cherche à être rassuré. C’est pour cela par exemple que nous sommes dans une société où le principe de précaution est demandé en tout et pour tout. Un autre exemple d’actualité prend du sens là-dedans : les lasagnes à base de cheval. Celles-ci n’ont rien de dangereuses mais nous allons, malgré des gens affamés, détruire des stocks qui auraient pu être utilisés par des associations caritatives. C’est là que le principe de précaution devient absurde. De la même manière, on convoque une commission, certainement fort chère, pour la cigarette électronique alors que quelques échantillons envoyés dans un laboratoire médical suffirait à se faire une idée. Notre société est donc tellement frileuse, elle a si peur, et cela aussi à titre individuel, qu’elle freine des quatre fers et assassine l’élan vital. Elle fait disparaître l’esprit d’aventure qui est condition de la vie.

L’une des choses les plus surprenantes de l’affaire Iacub-DSK est le fait qu’ils aient été un couple sept mois durant. Dans la société mortifère que vous décrivez, quelle place reste-t-il au couple devenu périssable et révocable ?

Il y a une évolution dans la notion de couple, liée au fait qu’autrefois nous nous marions et nous mourions plus tôt, qui fait que pour les adultes n’ayant pas réellement atteint ce stade, il est devenu insupportable s’il ne donne pas ce que l’on attend ou ce que l’on désire. Ainsi, le couple devient l’endroit dans lequel l’autre va me donner ce que je veux sans quoi, s’il ne le fait pas, je vais le détruire et le jeter. Nous ne sommes plus dans un don réciproque mais dans une exploitation réciproque. Cela explique nombre de désillusions car nous n’avons pas compris, et c’est là le gros problème de notre société, qu’il est illusoire d’attendre de l’autre le bonheur car il ne pourra pas nous donner autre chose que ce qu’il est. C’est là quelque chose que nous devrions avoir appris depuis l’enfance, si on ne l’a pas appris à cet âge-là il est trop tard, il va falloir apprendre à supporter le frustration. Une société dans laquelle on ne supporte pas la frustration est une société de la toute-puissance, c’est-à-dire une société coincée au stade anal qui est celui de l’enfant entre deux ans et cinq ans qui casse le jouet si celui-ci ne lui obéit pas. C’est donc une société immature qui risque de se déshumaniser si elle continue de croire de manière complètement hallucinatoire que l’autre n’est là que pour satisfaire ses désirs.

Cette société immature et narcissique peut-elle remettre en cause la notion même de couple ?

Nous tombons dans une relation au couple qui, pour de plus en plus de gens et non pas tous, consiste à penser que si on peut s’en passer, tant mieux. Nous nous servons donc des progrès de la science, de la technologie et de la société pour satisfaire un certain nombre de désirs qui sont finalement assez égoïstes. Dans le cas des enfants par exemple, on oublie assez rapidement qu’on leur hôte la possibilité d’avoir un père ou une mère aussi mauvais soient-ils.   

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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