Kadhafi est-il une menace terroriste pour la France ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Kadhafi est-il une menace terroriste pour la France ?
©

Vengeance

Kadhafi a-t-il encore les moyens de se venger des pays de la coalition ? La France est-elle menacée par le régime libyen ? Jean-Louis Bruguière analyse la situation pour Atlantico. Ancien juge anti-terroriste, il a travaillé lors de sa carrière sur de nombreuses affaires dont cellesde Lockerbie en 1988 et du vol 772 UTA en 1989, deux attentats imputés au régime de Kadhafi.

Jean-Louis Bruguière

Jean-Louis Bruguière

Jean-Louis Bruguière est un ancien juge spécialisé dans la lutte anti-terrorisme.

Il a instruit de nombreuses affaires, notamment celles de Lockerbie en 1988 et du DC10 d'UTA en 1989, deux attentats imputés à Kadhafi.

Il est le co-auteur avec Jean-Marie Pontault du livre Ce que je n'ai pas pu dire : 30 ans de lutte contre le terrorisme (Robert Laffont, 2009). En 2016, il publie Les voies de la terreur (Fayard).

Voir la bio »

Après l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations Unies et les premières frappes aériennes sur la Libye, Kadhafi a menacé d’étendre la guerre à la Méditerranée et même de s’attaquer à l’aviation civile. Sa folle logorrhée, souligne s’il en était besoin la démence d’un personnage qui a perdu toute raison et s’accroche au pouvoir avec désespoir quelqu’en soit le prix.

Kadhafi : personnage cynique et calculateur

On croyait Kadhafi fantasque alors que c’est un personnage cynique, calculateur et capable des pires crimes contre les droits de l’Homme, en particulier contre son peuple, s’il craint pour sa vie et celle de sa famille.

De l’exercice du pouvoir, il a une conception patrimoniale et clanique qu’il a habilement dissimulée sous les apparats séduisants d’une vision tiers mondialiste mais en faite conquérante du continent africain. Une idéologie qui a sous tendu nombre d’entreprises de déstabilisation en Afrique et les attentats de Lockerbie et du DC10 d’UTA.

On feint aujourd’hui de découvrir la dimension psychotique et le fanatisme d’un homme prêt à écraser son peuple dans un bain de sang plutôt que de lâcher les leviers du pouvoir comme le firent Ben Ali et Moubarak. Pourtant, le Kadhafi d’aujourd’hui est le même que celui d’hier. C’est la magnitude de sa réaction qui est nouvelle, à la mesure de la force cette vague de fond de protestation populaire qui pour la première fois le menace personnellement et physiquement dans l’exercice du pouvoir. Un pouvoir qu’il exerçait sans partage, jouant sur les rivalités entre les tribus, les ambitions personnelles, les prébendes et autres faveurs dispensées avec calcul. La rue a révélé au monde la véritable nature de l’homme et dessillé les yeux des chancelleries occidentales qui avaient cru, non sans arrière pensée économique, au retour dans le concert des nations d’un régime qui s’était pourtant illustré jusqu’alors par le terrorisme et la subversion.

Mais aujourd’hui, alors que les avions de la coalition sillonnent le ciel libyen, qu’il a perdu la maîtrise de son espace aérien et maritime, que ses voisins immédiats qui ont fait leur révolution ne le soutiennent plus et qu’il est mis au banc de la communauté internationale, Khadafi a t-il les moyens d’une riposte par le recours au terrorisme ?

France : la menaces terroriste est réelle et d'origines diverses

La question est d’autant plus sérieuse que l’Europe, mais surtout la France est sous la menace d’actions terroristes. Une menace venant de la zone pakistano-afghane où ont séjourné, en particulier dans les zones tribales, des militants du Jihad d’origine européenne qui se sont entraînés dans des camps d’Al Qaida ou dirigés par les Talibans pakistanais, mais aussi de la Somalie et surtout de la région Sahélo saharienne où sévit l’AQMI (Al Qaida au Maghreb Islamique, issu du GSPC algérien).

Cette dernière organisation est responsable de l’assassinat de  Michel Germaneau en juillet 2010, de l’enlèvement au Niger trois mois plus tard de sept salariés dont cinq français d’Areva et de Vinci et dernièrement de deux jeunes français à Niamey qui trouvèrent la mort lors d’une opération militaire visant à les libérer. L’AQMI est toujours aussi menaçante et continue à agir dans le Nord Mali mais aussi en Mauritanie. Issue du GSPC, elle-même héritière du GIA algérien responsable du détournement de l’Airbus Alger- Paris en décembre 1994 et de la campagne d’attentats en France à l’été et l’automne 1995, cette organisation dispose encore d’adeptes et de relais en Europe. Kadhafi ne bénéficie pas des mêmes facilités et les réseaux islamistes affiliés à Al Qaida ont toujours constitué pour le régime libyen une menace permanente. A preuve, la propagande de Kadhafi qui accuse ses opposants de faire partie d’Al Qaida.

Mais si le régime libyen n’entretient aucun lien avec des réseaux islamistes radicaux basés dans le pays du Maghreb ou dans la zone sahélienne, faut-il en conclure que les menaces de Kadhafi sont du seul ressort de la propagande et ne revêtent aucune réalité opérationnelle ? Probablement pas. Ne serait-ce que par ce que l’Histoire nous a appris que dans un monde instable aux évolutions imprévisibles ou les cartes sont fréquemment rebattues, les analyses d’hier peuvent être remises en cause le lendemain ou ne plus avoir dans le long terme la même pertinence.

Le passé terroriste de Kadhafi

Quels seraient les facteurs qui nous inciteraient à plus de vigilance ? N’oublions pas le passé et l’engagement révolutionnaire d’un leader du monde arabe qui s’est toujours engagé aux côtés des organisations qui ont lutté contre l’Occident, en particulier par le terrorisme.

Pendant la guerre froide, la Libye de Kadhafi avait le choix politique des camps socialistes. Dans sa stratégie de contournement ourdie contre l’Ouest, Moscou avait, par le truchement des pays du Pacte de Varsovie, manipulé les pays arabes acquis à sa cause, en particulier la Syrie, l’Irak et le Yémen du Sud au Moyen Orient et la Libye en Afrique du Nord, pour soutenir idéologiquement et militairement les organisations palestiniennes du Front du refus (Abou Nidal, FPLP-CG, FPLP-OS,FPLP,FDLP, Groupe du 15 Mai) dans leurs activités terroristes contre l’Europe occidentale.

Parallèlement à ce positionnement dans le camp socialiste, Kadhafi, au travers de sa vision politique du monde exposée dans le "Livre Vert", a développé une vaste entreprise de déstabilisation des régimes africains pro-occidentaux qui a été confiée à la « Mathaba internationale ». Ce centre anti-impérialiste chargé d’encourager les guérillas africaines et de former leurs agents à l’action terroriste était dirigé par un certain Moussa Koussa, aujourd’hui ministre des Affaires Etrangères de Kadhafi avant de diriger les services spéciaux libyens. Ce sont ces mêmes services qui furent à l’origine des attentats contre le vol Panam103 fin 1988 au dessus de la ville écossaise de Lockerbie et neuf mois plus tard contre un DC10 de la compagnie UTA au dessus du Niger.

De plus, ce n’est que par pur opportunisme politique, que Kadhafi a renoncé au terrorisme et au développement d’un arsenal d’armes de destruction massive au cours de la précédente décennie. Le sort réservé à Saddam Hussein l’avait incité à la prudence. Il devait en retirer rapidement des dividendes politiques et diplomatiques en réintégrant la communauté internationale. Nous avons aujourd’hui la preuve que ce changement de cap n’était que tactique.

Kadhafi cherchera à se venger de la France… mais en a-t-il les moyens ?

Kadhafi et les fidèles du régime chercheront à se venger. De la France, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis en premier, qui jouent un rôle de premier plan dans la mise en œuvre de la résolution 1973. De plus, Tripoli a un contentieux ancien et lourd avec la France, s’agissant du Tchad et du positionnement de nos forces en Afrique, en particulier en RCA et au Gabon qui ont endigué l’expansionnisme libyen en Afrique centrale.

Quelles seraient, dans ce contexte, les armes que Kadhafi pourraient utiliser pour assouvir sa vengeance ? A court terme il ne paraît disposer d’aucun réseau en Europe pour commanditer des actions terroristes. Résolument opposé aux organisations islamistes, le régime libyen ne semble pas être en mesure de solliciter des structures clandestines du GSPC ou de l’AQMI basées en Europe.

Pour autant, il n’est pas dépourvu de tout moyen d’action. La Mathaba a mis en place des réseaux qui pourraient être réactivés. De plus, les services secrets libyens ont toujours été très actifs en Afrique. Aussi les fidèles de Kadhafi pourraient-il chercher à recruter et financer d’anciens membres de ces groupes révolutionnaires d’opposition aux régimes en place, pour commettre des actions terroristes en Afrique contre nos ressortissants ou nos intérêts.

Le recours à des mercenaires ne doit pas non plus être exclu. Les touaregs étaient déjà présents dans la Légion Islamique créée par Kadhafi dans les années 1970. Ils ont été rappelés récemment pour renforcer les fidèles du Guide dans leur contre offensive contre les insurgés. En faisant appel aux touaregs du Nord Mali, Kadhafi a  pris un risque, celui d’importer en Libye les trafics en tout genre et plus particulièrement celui de la cocaïne en provenance d’Amérique Latine. De plus, la proximité de certaines tribus touaregs de l’AQMI pourrait permettre à cette dernière d’étendre son champ d’action sur le territoire libyen. Une situation susceptible d’être dangereuse à terme si l’intervention militaire de la coalition se poursuivait sur plusieurs mois.

Des alliances de circonstance entre des partisans de Kadhafi et des membres de l’AQMI pourraient alors voir le jour pour lutter contre les « infidèles en terre d’Islam », à l’instar de la coalition en Irak après 2003 entre des partisans de Saddam Hussein et l’organisation d’Abou Moussab El Zarkaoui. Une telle alliance donnerait à Kadhafi de nouvelles opportunités pour agir en Europe par des actions terroristes. Mais elle est hypothétique à ce stade.

Gageons que la détermination de la communauté internationale et les succès remportés sur le terrain par l’opposition, permettront de bouter définitivement du pouvoir Kadhafi et ses affidés. Ce qui ruinerait toute velléité de mesures de rétorsion de sa part à l’égard des pays qui sont à l’origine de la résolution 1973.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !